Hiver 2004

Je pensai ma moitié trouvée le jour où je croisai le regard de Loane Jestin. Juste avant celui d’un bondissant lampadaire. La jolie jeune femme aux courbes ensorcelantes, stoppée. Ses yeux éclairant ma déconvenue. Je me relevai.

Ensemble, nous pestâmes contre la municipalité qui préférait construire plutôt que remettre en état, nous pointâmes les trous apparus sur la chaussée et les trottoirs, devant chaque habitation. Un terrain miné que ce quartier étudiant que je traversais régulièrement, au moins autant qu’elle. Nous nous l’accordâmes, mutuellement.

Une fenêtre de tir s’ouvrit. Non négligée. J’en profitai pour introduire dans la conversation, en usant de formules de politesse, une invitation. Un verre au bar du coin. Rien de plus. Rien de moins.

Je regardai le lampadaire, l’imaginant en signe du destin au cas où elle accepte ce qui ressemblait fortement à un premier rendez-vous. Le début d’une longue et belle histoire d’amour ?

Intérieurement, je promis à la longue plante courbée un bisou pour une réponse positive. Évitai de lui signifier les conséquences de tout autre choix retenu par celle qui me maintenait en attente prolongée.

Du suspense, Loane en joua. Plusieurs fois, elle sembla décidée à me déverser sa vérité. Puis se retint. Rigola. Si envoûtante étudiante.

Je me détournai du lampadaire et de mes prières pour ne plus regarder qu’elle, puisqu’elle me le demandait. Son aisance à me balader me rappelait ma maladresse dans le domaine.

Loane Jestin, tout en maîtrise, changea de visage, d’expression aussi souvent qu’elle le jugea utile à aggraver la sensation d’apitoiement régnant chez son sujet, moi, son jouet.

Je la laissais me manipuler l’esprit, m’user jusqu’à la couenne. Lentement, sans oser l’interrompre, sans allié, je me décomposais.

Le lampadaire s’alluma. Loane consulta sa montre et elle me laissa, non sans oublier de répondre positivement à mon invitation. La tension accumulée en moi descendit du même coup, soudain. Des larmes de décompression débordèrent de mes paupières.

Je me félicitai de venir d’obtenir un rencard avec une sympathique demoiselle. Intelligente. Élégante.

Entre les doigts, je roulai puis déroulai le petit bout de papier sur lequel apparaissaient les chiffres du numéro de téléphone de Loane. Puis je pris le lampadaire entre mes bras et l’embrassai. Comme promis. Mais rapidement, car j’aperçus des passants m’observant bizarrement.

J’évitai, pour cette même raison, de parler au mobilier urbain, quitte à moins préparer mon prochain discours, celui qui devait permettre de me mener jusque dans le lit de l’étudiante.

Avant notre premier échange verbal, elle demeurait une silhouette. Une parmi d’autres que je croisais, que j’hésitais à aborder, moi le timide illustrateur en devenir.

Maintenant le contact établi, Loane Jestin devenait différente. Une vraie personne, une personnalité davantage qu’un physique. Un prénom, un nom, un numéro de téléphone. Un rire, un sourire.

Une adresse à définir ? Quoique. Son lit pour nous réunir me sembla suffire. Plus qu’à lui téléphoner. Décider d’une date pour ce rendez-vous. Quand l’appeler ? Quand devais-je lui demander de me rejoindre dans un bar. Quel bar ? Quel quartier pour le bar ? Ce quartier aux trottoirs troués ?

Submergé de questionnements, la panique m’emporta. Momentanément. Je me repris, en me remémorant des flirts du passé, rares mais existants. Que je sus prendre des décisions lorsque nécessaire.

Je réfléchissais à la meilleure option, en me tâtant le menton qui venait d’accueillir trois nouveaux poils, différents du duvet sur mes joues.

Je tapotai. Ça sonna. Loane décrocha. Je balbutiai.

Je définis, malgré tout, les contours d’un tête-à-tête.

Une semaine plus tard, nous nous retrouvâmes, passâmes un agréable moment, ponctué d’éclats de rire.

On rigola des couples mariés, surtout moi.

Je cachais difficilement mon attirance pour elle, le temps de cette soirée.

Été 2006

J’entrai dans le PeknoMarket. Mon oncle Diego m’accueillit aussitôt.

— L’artiste ! Viens-là que je t’embrasse !

L’homme costaud vint vers moi et me serra contre lui, contre sa blouse grise crasseuse ouverte, et contre son poitrail velu.

— Ta femme t’a laissé sortir ? ne put-il s’empêcher d’ajouter.

— Ma femme ? On n’est pas mariés… Qu’est-ce que tu me racontes, là ?

Un ricanement mal contenu surgit de derrière le rayon potages.

Je me défis de l’étreinte. J’avançai de quelques pas et aperçus une dame d’un âge avancé, maigrelette, en train de se cacher la bouche.

Une fidèle cliente, appris-je par Diego, le gérant de cette épicerie depuis maintenant presque dix ans. Madame Vidal, s’appelait-elle.

Je l’observai tenir deux soupes en sachet devant elle, puis les reposer.

Elle s’adressa à moi :

— Jeune homme ?

— Moi ?

— Oui, vous ! Pouvez m’attraper quelque chose ? C’est trop haut pour moi. Comprenez-vous.

Mon oncle me laissa avec elle.

— Que voulez-vous ? interrogeai-je.

J’enregistrai une précise description d’un aliment convoité.

Sur la pointe des pieds, j’atteignis la commande. Ensuite, me mettant à hauteur de la cliente, je la livrai.

Elle m’en remercia, elle me questionna :

— Vous êtes le neveu du patron, n’est-ce pas ?

— Oui, Madame.

— Georgette ! Mes amis m’appellent Georgette. Appelez-moi Georgette puisque nous allons être amenés à nous revoir. Vous allez travailler ici, n’est-ce pas ?

— C’est en négociation, pour tout vous dire.

Nous nous regroupions, en famille, dans un bureau situé à l’arrière du bâtiment en briques. Une sorte de réunion.

Il me fallait me décider : travailler au PeknoMarket ou ne pas y travailler ?

L’oncle m’accordait un court délai de réflexion.

— Entre Pekno, on va faire du bon boulot ! argumentait-il.

Je me laissais presque convaincre.

— Et ta femme, elle en pense quoi ? demanda mon frère Chico.

Cette question me parut déplacée. Un long silence entre nous envahit la pièce. Accentué par le lancinant tic-tac d’une horloge.

Je rétablis la liaison.

— Ça n’est pas ma femme… Je veux dire Loane, ma copine, ma meuf, qui décide de ces choses-là pour moi, justifiai-je. De rien du tout d’ailleurs. Elle ne décide de rien pour moi. Je me débrouille très bien tout seul lorsqu’il s’agit de prendre ce genre de décisions. Les horaires, les jours de congés, le salaire, on en a parlé.

Un grincement de porte s’ouvrant. Madame Vidal débarquant.

— Jeune homme ? m’interpella-t-elle. Il est signé ce contrat ? Parce que, voyez-vous, les étalages sont bien trop hauts pour moi ici. Pourriez venir m’aider à attraper quelque chose. Oh ! Trois fois rien. Juste un tout petit quelque chose.

Diego, compréhensif, demanda à la vieille dame de rejoindre la partie magasin, car le bureau restait un lieu réservé à lui et aux membres du personnel. Elle s’excusa.

Je suivis Georgette. Je pus me rendre compte, un peu mieux, de l’ambiance régnant dans le PeknoMarket.

Lors de cette courte immersion, je relevai les critiques de clients, des pénibles.

Georgette m’apparut comme ma meilleure alliée lorsqu’il s’agissait de connaître les secrets de la boutique. Elle en connaissait les recoins.

Fouineuse, l’oreille traîneuse, elle en savait plus que quiconque, sur les uses et coutumes des habitués des lieux.

Je prenais des notes, sur tout ce qui pouvait orienter mon choix de carrière professionnelle. Du moins, en attendant que mes contacts, dans le milieu de l’édition, se manifestent et me signent des contrats d’illustration.

J’espérais que mes dessins attirent l’attention de professionnels du milieu artistique.

— Ça se passe comment avec votre femme ? m’interrogea Georgette.

— On n’est pas mariés…

— Oh ! Excusez-moi, jeune homme. Je suis trop curieuse, parfois. Souvent. Trop souvent. Excusez-moi.

— Non, ça n’est pas grave. Juste que, il est évident que, les meufs, j’y comprendrai jamais rien. L’actuelle comme les précédentes… comme les suivantes.

— Les suivantes ? s’étrangla Georgette.

— Euh…. C’est que…

— Vous êtes un collectionneur ?… Oh que je n’aime pas ce genre d’hommes. Oh que non !…

— Je disais ça comme ça. On ne sait jamais. Si ça se trouve, je vais rentrer chez moi. Et elle ne sera plus là. Ma Loane que j’adore de tout mon cœur, partie avec un autre mec. Il ne me restera plus qu’à m’en trouver une autre, contraint et forcé. Pas prévu ça. Mais on ne peut jamais savoir ce que la vie peut nous réserver.

Mes paroles la rendirent nostalgique.

Je portai son lourd sac de courses jusqu’à la caisse. Elle paya. Un taxi la prit en charge, sitôt celle-ci sortie du PeknoMarket.

Je la saluai puis rejoignis mon frère et mon oncle en train de parler, vulgairement, des femmes. Une de leurs spécialités, en période d’affluence moindre au magasin.

Je prenais le bus pour rentrer chez moi, après ma journée de travail à l’épicerie. Huit arrêts et je rejoignais l’immeuble dans lequel je louais un studio de vingt-six mètres carrés.

La bâtisse, une imposante construction en béton. Un rectangle beige clair aux ouvertures vert foncé. D’une toiture pentue se déversait un filet d’eau près de la porte d’entrée, une gouttière endommagée en cause. Je ne m’y attardais pas, aujourd’hui comme la veille ou l’avant-veille.

La main droite en tant que parapluie, je composais mon code. Un bruit métallique signifiait l’accession rendue possible au hall d’accueil.

Je sortais un trousseau de clefs et ouvrais le logement numéro un. Le mien. Donnant sur un jardin. Pas le mien, celui du voisin, celui qui possédait le plus grand appartement de toute la résidence. De source sûre, un de sept pièces. Avec un espace vert et la partie potager adjointe. Des carottes, des navets, des potirons, il s’y cultivait des légumes, de toutes saisons. Quelques résidents des étages supérieurs plantaient leurs semences lorsque l’endroit, une fois bêché, devenait lieu de semis partagé.

Pour cette activité rassembleuse, possiblement conviviale, je recevais des invitations régulières. Les déclinais les unes après les autres.

De ce voisin, je restais méfiant. Trop souriant, ce voisin. Entouré de jolies femmes, souvent. Trop souvent. Celles qui jardinaient et les autres, toutes les autres. En groupe de quatre, de six, de huit. Il remplissait les pièces de son logement de belles gonzesses, au minimum, un week-end par mois. J’en croisais dans le couloir.

De la lèvre pulpeuse, de la cuisse musclée, j’en observais passer devant chez moi. Sans s’arrêter. Parfois, je récupérais un sourire, léger. Rien de plus. Elles passaient, presque me narguaient puis s’engouffraient au numéro deux.

Depuis des mois, je sortais avec Loane, à présent artiste de rue, ses études mises de côté. Sans pouvoir rivaliser avec certaines des charmantes demoiselles qui se regroupaient dans l’appartement voisin, ma compagne du moment possédait des qualités, physiques et morales. Déjà, elle m’aimait et me le démontrait. Elle se contentait de mon studio.

Loane jonglait devant moi, avec des yaourts. Une nouvelle prestation en préparation. Elle montrait de l’agilité. Elle s’entraînait. Les résultats s’en ressentaient. Elle progressait.

Lors de festivités locales, Loane se donnait en spectacle. Ses représentations mêlaient mimes, crachats de feu, acrobaties diverses. Et bientôt jonglages, comprenais-je. Ou pas. Parce que l’un des trois yaourts manipulés vint exploser sur ma face.

Confuse, elle racla du liquide blanc coulant, d’un revers de la main. Elle lécha le reste, sa langue me chatouillant au moment où elle atteignit le dessus de mes lèvres.

Je pointai la bouche et l’embrassai.

Après, je passais la serpillière.

— On oublie les jonglages ? lui demandai-je, avec imprudence.

— Et pourquoi ?

Loane n’appréciait pas que je me mêle de la conception de ses spectacles. Je le savais, pourtant.

— Oui, pourquoi on oublierait les jonglages ? me rattrapai-je, tant bien que mal. J’aime bien quand les artistes jonglent lors de leurs spectacles.

— Je ne pense pas que je vais jongler lors de mes spectacles. Pas très original. Tous les artistes le font dans leurs spectacles.

Je la laissai poursuivre.

Elle ajouta :

— Je dois ajouter du jonglage à mon prochain spectacle ?

Elle attendait de moi un avis tranché. J’en redoutais les conséquences. Je la connaissais, Loane. Quand elle se tournait ainsi vers moi.

— Tu comptais jongler avec des yaourts ? tentai-je.

— Idiot !

Me voilà bien avancé. Loane crocha dans le bas de ma veste et me tira vers elle.

— Arrête de faire ton idiot ! Est-ce que je dois ajouter du jonglage à mon prochain spectacle ? J’hésite. Je pensais que ça ajouterait un petit plus, tu vois. Un petit quelque chose, en plus. Entre deux mimes.

— Franchement…

— Franchement ?

— Franchement, fais comme tu veux. Moi, j’ai un dessin à terminer.

Insatisfaite, Loane me tourna le dos.

— Bon. Je vais demander au voisin. Lui saura me conseiller. Il sait parler aux femmes. Lui, au moins.

— Tu lui parles, à celui-là ?

— Bien sûr. C’est notre voisin. La politesse, tu connais ? À tout à l’heure, Momo !

— Femme ! criai-je, en pensant l’intéresser et, surtout, en pensant la freiner, voire lui donner envie d’enclencher une marche arrière.

Elle s’arrêta.

— Quoi ?

— Femme ! Tu viens ici !

Je la dirigeai vers moi, en bombant le torse, haussant la voix.

— Je suis ta femme ? Tu veux ? interrogea-t-elle.

— Tu viens !

Loane referma la porte qu’elle venait d’ouvrir. Elle semblait sensible au ton employé, une virilité clairement affichée.

— Là on dirait un animal sauvage, me calma-t-elle.

Elle revenait vers moi, mais pour se moquer de moi. Il fallait dire que le rôle du macho, je le maîtrisais mal.

Loane ressentait mon manque d’assurance, au milieu de ce jeu d’acteur débutant.

— Ça te va pas de jouer les machos, jugea-t-elle. Je te connais, Momo. Tu n’as rien d’un macho. Tu es quelqu’un de sensible.

La remarque me perturba. Disait-elle vrai ?

— Crois-moi, j’en connais des machos, continua-t-elle. Mais pas toi. D’ailleurs, c’est pour ça que je suis avec toi. Je préfère les mecs sensibles. Les hommes romantiques. Les hommes qui n’ont pas peur du mariage.

Comment le prendre ?

Un son festif surgit de l’autre côté du mur, traversa l’épaisse cloison.

— Il y en a qui s’amuse, nota Loane.

— Il y en a. Qui se croient tout permis. Qui ne pensent pas au voisinage. Qui s’en foutent. Irrespectueux personnage ! Toujours le même. Avec sa musique à fond. Musique de merde !

— J’aime bien ce son, moi. C’est dansant.

Loane se permit un déhanchement devant moi, en rythme.

Je regardais le balai qui attendait. Elle me mit en garde.

— Non, Momo, non ! Rappelle-toi. La facture.

— Il l’avait cherché. À me narguer, cet abruti…

— C’est un homme marié.

— Et ?

— Je vais chez lui. Je vais lui demander de baisser sa musique. Un peu. Juste un peu. Faut pas passer pour un couple de vieux cons, non plus.

Je plaçai mes bras autour de sa taille.

— Femme, j’avais pensé à un autre programme pour nous.

— Femme ? Tu veux ? Tu sais que je n’attends que ça de toi. Tu le sais ?

Je voulais la retenir, et sans parler de mariage. J’ignorais comment m’y prendre. Je devais improviser.

Du logement voisin, le volume sonore montait, graduellement. Les basses agissaient sur Loane. L’attiraient. Chez lui. Monsieur Trop Souriant.

Agissant en véritable appeau, ce qui sortait des enceintes de sa chaîne déconnectait les circuits neuronaux de ma compagne. Un hypnotiseur sans scrupule, voilà comment je percevais le propriétaire de l’appartement numéro deux.

Je reçus une tape sur la main lorsque mes doigts approchèrent du balai. Une tape additionnée d’un regard mauvais qui voulait dire : « Je te défends. Tu es un salaud. Cesse de t’en prendre à lui. Il est adorable. »

Je devais changer de stratégie. Proposer de la douceur en réponse aux déconcertantes mélodies enchanteresses. Je m’y décidai.

Je déboutonnai le chemisier rayé de Loane, avec délicatesse. En commençant par le bas.

Un léger bisou sur sa joue droite, en détournant sa tête de la porte d’entrée, du couloir, de la porte d’entrée du voisin, du couloir du voisin trop souriant, du voisin trop charmant.

Je la découvris de ses vêtements et Loane se retrouva en lingerie. Une tenue qui l’obligeait à renoncer à une visite dans l’immédiat, pensai-je.

Loane se dandinait. Je l’accompagnais. Je me calais sur le tempo, sur ses pas. Je caressais ses genoux, ses hanches, son ventre puis d’autres parties de son corps.

Plusieurs fois, je dus lui prendre la main ou le bras pour la ramener au centre de mon studio, le centre de la piste.

Je l’amenai dans le canapé-lit et finis de la déshabiller.

Une partie de jambes en l’air suivit.

— Ta nana ? exclama Loane. Ta nana ? Et pourquoi pas ta pouffe, tant qu’on y est ? Je trouve que ça fait ringard, nana. On dirait un papy qui parle de sa femme. Arrête de parler comme un papy, Momo ! Je suis pas ta nana. Nana, ça fait penser à un coup d’un soir. Ou à une de ces dindes que les mecs traînent avec eux, comme un accessoire de mode, leur nouvelle paire de baskets. Une nana, c’est quoi pour toi ?

— Pour moi, c’est toi. Celle qui vit avec moi. Va pas imaginer autre chose.

Ensuite, Loane rejoignit l’appartement numéro deux. Ensorcelée comme les autres. Comme toutes les autres, toutes les plus jolies gonzesses habitant dans l’immeuble, et ailleurs.

À Loane, je cachais difficilement mon animosité envers ce manipulateur de voisin.

— Il a pris le temps de m’écouter, disait-elle de lui. J’en suis arrivée à la conclusion que je devais jongler lors de mes représentations. Avec des œufs.

— Content pour toi. Avec des œufs. Très bien.

— Je m’entraînerai dans son jardin, le lundi soir et le jeudi soir. Il est d’accord.

— Content pour toi. C’est bien.

— Tu pourras me ramener des œufs de ton magasin ?

Je ronchonnais.

— Il s’y vend des œufs au PeknoMarket ?

— Ouais, ouais. C’est bien. Content pour toi.

— Tu le connais mal, Momo. Toutes ces femmes qui viennent chez lui, toutes ces gonzesses ou ces nanas comme tu les appelles, elles ne sont pas celles que tu crois. La plupart sont des sans-abris. Il les héberge, du mieux qu’il peut. Il leur rend service. Il les approvisionne. Il prend des risques. Il se met hors-la-loi pour elles.

— Tu dois te tromper ? C’est ce qu’il t’a raconté ?

— J’ai pu le vérifier. Moi aussi je croyais qu’il organisait des orgies. Mais non. C’est un homme marié.

— Et la musique ? Ils y faisaient la fête là-dedans.

— Pour que ces pauvres femmes puissent se sortir la tête de leurs problèmes. Pas souvent la fête chez elles. Je passerai au PeknoMarket pour récupérer des œufs.

— C’est pour toi ou pour les sans-abris ? Dis-le moi au lieu de tourner au tour du pot.

Loane m’avoua qu’elle voulait aider ces démunies, ces personnes de sexe féminin qui s’adressaient au numéro deux.

Je lui proposais de venir récupérer les produits, tout juste passés de date, avant qu’ils prennent la direction de la poubelle : Ils restaient propres à la consommation, malgré ce qu’en disait la législation. Des œufs commandés, mais pas que. Des fruits et légumes malformés s’ajoutaient aux produits alimentaires de toute sorte, dès que la date affichée sur les emballages dépassait celle du jour.

Un roulement s’effectuait. Je les mettais de côté. Loane s’en chargeait. Mon oncle et mon frère ignoraient les manœuvres en cours.

Contrairement à ce que je pensais, notre complicité lors des illégales actions tendait à nous éloigner l’un de l’autre, en dehors. Loane changeait de comportement, délaissait ses spectacles en préparation, autant que ses études universitaires des mois auparavant. Et moi aussi, elle me délaissait. Je le ressentais comme tel.

Loane se sentait investie d’une mission. Ces femmes au destin tragique comptaient sur elle.

Elle passait de plus en plus temps à leurs côtés et de moins de moins à mes côtés. Je commençais à les jalouser, même si je connaissais quelles difficultés elles traversaient.

Ces femmes évoquaient en moi l’abandon. Non pas le leur par la société. Mais le mien, celui subi chaque fois que Loane traversait le couloir pour se rendre à leurs chevets.

Nos conversations se réduisaient. Lorsque nous ne parlions pas mariage, nous parlions politique.

Nous parlions des sans-abris et des politiques. Nous parlions des femmes sans abris et des femmes politiques. Des femmes qui s’ignoraient.

Je préférais parler des nanas avec mon oncle et mon frère. Un sujet plus léger qui me rappelait d’anciennes conquêtes, de bons moments passés en boîtes de nuit, des coucheries. Coucheries devenues denrées rares, ces dernières semaines. Loane et moi partagions le même lit. Nous dormions ensemble. Voilà. Deux bonnes nuits, un pour moi, un pour elle. Et dodo pour elle.

Mes encouragements à poursuivre sa mission à caractère humanitaire, je les freinais. Loane pensait aux autres, qu’elle pense aussi un peu à moi.

Les femmes autour de nous, je les percevais en opposantes à notre vie sexuelle.

Je réfléchissais à accepter une des nombreuses invitations que continuait de me poster le voisin. Devoir supporter son trop grand sourire toute une soirée, j’y réfléchissais. Encore davantage depuis qu’il apparaissait, pour Loane, comme son maître à pensées. Son idole.

Je réfléchissais au déménagement, mais le gardais pour moi. Je craignais la réaction de Loane.

J’acceptais mal que nous ne couchions ensemble plus qu’une fois par mois, dans le meilleur des cas. Je dessinais un peu, le soir.

Au PeknoMarket, les pieds sur la troisième marche d’un escabeau, je disposais un paquet de lessive en haut d’un rayon.

— Jeune homme ?

— Oui, Georgette ?

— C’est étrange, me confia-t-elle. Ma liste de courses se compose toujours des produits qui se trouvent placés les plus hauts, chez vous.

— Étrange, comme vous dites. Dois-je en déduire que vous voulez…

Je descendis vers elle ce que je m’activais à ranger convenablement, la marque de l’article à vendre en évidence pour le client. Je le mis dans son caddie sans qu’elle le demande, en profitai pour en ausculter le contenu.

— Vous aimez toujours les sucreries, à ce que je vois.

— Savez, jeune homme, à mon âge. On se prive plus. Une petite gâterie…

Par gâterie, je comprenais bien que ma cliente âgée songeait à une pâtisserie ou une confiserie voire une viennoiserie. Je préférais le penser ainsi. Elle ne confirma rien de cela.

— Et avec Loane ? interrogea-t-elle, ensuite.

— Ça va.

Je mis Georgette au courant de sa dernière activité.

— Heureusement que de braves gens sacrifient leurs vies, leurs vies de famille, pour ces malheureuses, affirma-t-elle. Loane est une sainte. Je vous le dis comme je le pense. Vous devriez vous marier avec elle. Avant qu’elle vous échappe.

— Ouais, ouais. Enfin, elle a ses défauts. Par exemple… Euh… Par exemple…

— Oui ?

— Loane… Elle… Elle pète au lit.

Paume gauche contre bouche, Georgette rit. Puis elle demanda, en me regardant dans les yeux, baissant en avant ses lunettes à carreaux épais :

— Et vous, jeune homme ?

Je reculai.

— Est-ce que je pète au lit ?

— Non, vous avez des défauts, vous aussi, comme tout le monde ?

— Je crois pas. Certainement que je dois en avoir. Un peut-être, un tout petit, un mini. Un riquiqui. Mais là, comme ça… La franchise n’est pas un défaut ?

— Non, je dirai non.

— La générosité ?

— Évidemment que non.

— La bienveillance ?

— Non plus.

— Donc aucun défaut à vous annoncer, chère Georgette.

— On creusera ça. Merci pour la lessive. Je continue mes courses. À bientôt, jeune homme !

— À bientôt, Georgette.

Songeur, j’observai notre plus fidèle cliente s’éloigner dans l’allée, cogner de son caddie les fesses débordantes lui barrant le passage, gronder en gardant son flegme les personnes l’injuriant, rouler sur le pied d’un enfant chahutant, prodiguer des conseils en matière d’éducation à une dame se définissant comme une bonne maman, continuer son chemin puis tourner et disparaître derrière un empilement de cannettes de sodas que je venais d’installer en bout de rayon.

La pyramide orangée de ma construction tint bon, malgré le passage rapproché de Madame Vidal. Un frémissement, mais elle resta debout.

Une tape amicale, bien qu’appuyée, me sortit de mon observation.

— Tu regardes quoi comme ça ? s’intéressa Chico. Au PeknoMarket, on n’est pas payé à rien foutre. Je préfère te prévenir. Notre oncle ne rigole pas avec ça. Il veut des employés modèles. Et aucun privilège pour les Pekno.

— Ouais, ouais. J’ai capté. Je m’y remets. J’étais en train d’aider Georgette.

— Ça n’est pas moi qui le dis. C’est notre oncle.

— Je sais très bien ce qu’il dit. Les Pekno, à votre service !

J’indiquai une pancarte à mon frère.

— Comme c’est écrit ici. Et à six autres endroits du magasin. Je les ai comptées ce matin. Il en ajoute une chaque jour, en ce moment. Je sais pas si ça permet de vendre plus ou moins.

— Il connaît son métier. Le slogan me plaît.

J’aperçus, en rejoignant la réserve, mon oncle en train de coller une nouvelle affiche, la septième donc. Il m’interpella :

— Momo ? Tu peux venir ?

Je le rejoignis.

— Tu veux quoi ?

— C’est bien trouvé, non ?

Diego semblait fier de sa trouvaille.

— Les clients adorent, crut-il bon de m’informer. Ils trouvent mon idée géniale. Les Pekno, à votre service ! Ça fait vraiment pro, qu’ils disent.

Mon oncle mettait notre nom de famille en avant. Le seul de notre lignée à s’y adonner.

Depuis ma plus tendre enfance, je cachais mon patronyme dès que possible. Sans pour autant échapper aux railleries enfantines des cours de récré, de l’école primaire, du collège.

L’appel du jour de la rentrée des classes, un jour redouté qui continuait de me hanter. La nuit, il m’arrivait encore d’en cauchemarder. Des images horrifiantes. Du genre d’un professeur, se mordant l’intérieur d’une joue afin d’éviter d’éclater de rire, annonçant, devant un groupe compact d’élèves prêts à en découdre, que je me nommais Pekno. Et la suite… Un brouhaha de stupides jeux de mots et autres insultes gratuitement envoyées.

Diego me sortit de mes pensées.

— Et ta femme ?

— On n’est pas mariés.

J’exécutais les tâches indiquées sur mon planning, dans l’ordre inverse, sans que mon patron y trouve à redire. Tant que les clients ne tombaient pas sur des rayons vides, il me laissait libre de mes choix. Je disposais d’un pouvoir de décision, moindre, mais existant. Je comprenais ce qu’il voulait. J’agissais en conséquence.

À l’occasion, je déposais de lourds produits ménagers dans le caddie de Georgette.

L’heure de la fermeture approchait, tout comme, de conséquence, la discrète venue de Loane.

Mon oncle me laissait me charger du lavage du sol, sans se préoccuper de savoir pourquoi j’insistais, chaque jour lors de la pause déjeuner, pour que me revienne ce droit. Mon frère ne s’en mêlait pas, content de passer son tour. Surtout que je ne demandais rien en contrepartie. Je continuais d’alterner avec Chico les autres corvées obligées.

Quand Loane se pointa, tout se passa comme à l’habitude, comme prévu.

Je finis mon ménage puis fermai le PeknoMarket à double tour, descendis le volet métallique.

Je pris le dernier bus, de justesse.

Je dînai en compagnie d’une Loane présente, mais pensive. Nous ne parlâmes pas d’un mariage à organiser. Nous parlâmes de la misère humaine et de politique, deux univers qui se regardaient sans se voir. Un peu comme moi et Loane lors de ce repas. Elle songeant aux femmes dont elle se sentait responsable, moi songeant à passer un moment d’intimité avec elle.

Loane que je ne surnommais plus ma nana.

Elle ne s’en apercevait même pas. Loane lui convenait. Même venant de moi.

Je l’appelais par son prénom. Comme ça, froidement. Elle s’en suffisait. À croire que de l’affection, elle en recevait. De quelqu’un autre. De quelques autres ? De ces femmes ravagées par la misère. Par la violence conjugale, crus-je comprendre, au sujet de plusieurs d’entre elles.

Elles lui offraient un retour de ce que Loane leur donnait. Et que Loane ne me donnait plus.

Je ne pouvais me mettre en opposition d’elles, tant je connaissais leurs tristes histoires familiales et les épreuves qu’elles durent endurer.

Parfois, Loane, je l’évitais. Suivant son humeur, à des moments, il me semblait judicieux de l’éviter. Celle que je commençais à imaginer fourrer dans le même sac que mes ex.

Encore un avenir à deux ? Nous deux, moi et Loane ? La question commençait à se poser.

Loane et moi nous remémorions notre rencontre. Les conditions, le lieu, le jour.

J’enchaînai en évoquant nos dernières sorties, en amoureux. À compter sur les doigts d’une main. En cinq mois, je relevai quatre sorties que l’on pouvait qualifier de sorties en amoureux. Loane d’en ajouter une. Que je validai. Cinq en cinq mois, ça restait peu pour moi. Elle s’en contentait, affirmait-elle, sans conviction apparente.

— Tu connais ma cousine Samantha ? me demanda-t-elle, alors que nous entamâmes le dessert, un sorbet.

— Non, je ne crois pas. Elle ressemble à quoi ?

— C’est ma cousine. Elle s’appelle Samantha.

Loane prit un instant de réflexion et poursuivit :

— … et elle voudrait que je vienne avec elle, peut-être en boîte de nuit. Je sais pas encore. Elle doit fêter l’obtention de son permis de conduire. Elle a mis le temps pour l’avoir, mais elle y est arrivée. Si on va en boîte de nuit, on ira en taxi. Ce serait con qu’elle perde son permis à peine celui-ci obtenu.

— Ouais, ce serait une vraie connerie. Elle a quel âge, ta cousine ?

— Pourquoi ?

— Tu me dis qu’elle en a mis du temps à l’obtenir, son permis. C’est pour ça que je voulais…

— Elle a ton âge.

— Ah oui ? Je suis partant pour sa fête. Avec toi. Tu lui diras. C’est quand ?

— Je sais pas. Elle doit me tenir informée.

— Tu me diras ça. Je t’accompagnerai.

Automne 2006

Je montai dans un taxi, accompagnai Loane en discothèque, où nous devions y retrouver sa cousine.

Le compteur défilant, nous accrochâmes nos ceintures de sécurité. Le véhicule démarra.

J’observais les chiffres grimper, ceux du kilométrage et ceux de la note à payer pour la course. Certains semblaient grimper plus rapidement que d’autres. Je me gardais de le souligner. J’évitais tout ce qui pouvait servir d’arguments à Loane pour prendre le chemin du retour.

Nous passâmes le panneau indiquant la sortie de ville. Les balais essuie-glace fonctionnaient, car une épaisse bruine réduisait la visibilité du conducteur.

Ce dernier brisa la glace, en s’adressant à Loane :

— Vous êtes la cousine de Samantha ?

— Ah oui.

— Votre mari ?

— On n’est pas mariés, dus-je intervenir.

J’écoutai lorsqu’ils parlaient de Samantha. Loane restait mystérieuse sur sa personnalité, sur son physique, sur cette personne. Parce qu’elle percevait l’intérêt du conducteur, et le mien.

Il semblait, d’après mes déductions, que Loane connaissait beaucoup les seconds plans, voire les troisièmes, lorsqu’elle se trouvait en présence de sa cousine. Je pensais que ça expliquait pourquoi elle évitait d’en parler, de m’en parler, de nous en parler : elle ne voulait pas se remémorer tous ces moments où on la poussa dans l’ombre, sa vedette de cousine prenant pour elle seule la lumière, les projecteurs, les sourires rêveurs, les mâles bavant de désir.

Je comprenais le caractère exceptionnel de cette sortie du samedi soir.

Les routes empruntées donnaient l’impression que le chauffeur cherchait à rallonger la note. Je connaissais un trajet plus court. Je le gardai pour moi. Loane venait avec moi en discothèque, un week-end.

Cette fameuse cousine, je m’impatientais de la rencontrer, enfin. Mettre un visage et un corps sur ce prénom, Samantha. Petite ou grande ? Mince ou grosse ? Poilue ou non poilue ? Bien coiffée ? Bien habillée ? Bien maquillée ? Intéressante ou du genre vulgaire ? Beaucoup d’interrogations à son sujet. Des zones obscures en voie d’éclaircissement.

Les seules informations disponibles la décrivaient en quelqu’un d’insignifiant. Samantha ? Sans intérêt. À éviter. Des informations évidemment recueillies auprès de celle qui disait la connaître le mieux, Loane.

Encore quelques kilomètres à parcourir. Trois, deux, un. La boîte de nuit apparut. Son parking rempli.

— Putain ! La queue ! déclara Loane. T’as vu cette queue ? Cette longue queue ?

Je minimisai.

— J’ai jamais vu une aussi longue queue, ajouta-t-elle.

Elle me regarda, comme voulant passer un message.

— Dans moins d’une demi-heure, on est à l’intérieur, l’informai-je avec assurance.

— Une demi-heure, tu plaisantes, j’espère ?

— Un quart d’heure, oui, tu as raison. Un quart d’heure grand maximum. C’est moi qui paie le taxi ?

Loane, ronchonnant, sortit du véhicule et claqua la portière. Je donnai des billets au conducteur, qui me souhaita une bonne soirée, teintée d’ironie.

Je pris sa main et nous nous dirigeâmes vers l’arrière de la file d’attente, nos capuches sur la tête.

— Un quart d’heure, tu as dit ? s’inquiétait-elle.

— Ouais, un quart d’heure. Dix minutes peut-être.

— Parce qu’il pleut, là ! Putain. Fais chier. On va être trempés, là !

Loane regarda le taxi partir chercher d’autres clients de la discothèque et ajouta :

— Bon. Il s’est barré, lui, de toute manière, avec sa caisse. On va y aller dans cette boîte.

— Ta cousine nous attend.

Elle consulta sa montre.

— On rentre tôt, n’oublie pas.

— Je sais.

Je l’embrassai.

— Je sens qu’on va bien s’amuser, nous, ce soir ?

Elle ne répondit rien.

Je la protégeais de la pluie qui remplaçait la bruine. Nous avançâmes et nous arrivâmes sous une partie abritée. Je lui souris.

— Je suis trempée, indiqua-t-elle, en rouspétant. Quelle idée de venir ici ! Pour choper la crève…

— On va sécher. Ne t’inquiète pas. Il fait bon dedans.

— Si on y arrive un jour, oui. Dix minutes, tu me disais. Ça fait vingt minutes qu’on attend. Et on est toujours sous la flotte en train de se les geler. Tu t’es foutu de moi ou quoi ?

Je la prenais dans mes bras.

— Tu es mignonne.

Loane restait énervée. Elle appréhendait. Je le ressentais. Ça se traduisait en énervement, en agacement. En reproches. Elle aboyait sur celles qui nous succédaient dans la file d’attente, car elle les disait trop pressantes, trop collantes. Elle les maintenait à distance.

Loane dégagea, en le frappant d’un poing fermé, un parapluie lorsqu’il se déplia trop près de nous, jugeait-elle.

— Tu ranges ta merde, toi !

Je m’excusais pour elle, lui trouvait des circonstances atténuantes.

Pas sortable, Loane. Je commençais à regretter de m’être laissé embarquer là-dedans. Tout ça pour savoir à quoi ressemblait cette cousine, mystérieuse cousine.

Je calmais Loane comme je pouvais. Je la contenais.

Nous nous présentâmes aux portiers, deux types armés pour ce métier. Deux costauds qui n’empêchèrent pas Loane de vivement insulter une fille qui lui marcha sur l’avant de sa chaussure. Elle la traita de grosse pute, entre autres. Elle recueillit des rires. La colère monta en elle. Je lui baisai le cou, la joue. Je lui dis des mots doux.

Je me retrouvai dans l’obligation de la laisser croire à l’éventualité d’une proche demande en mariage.

D’un signe de la main, je montrai aux hommes de la sécurité que je maîtrisais la situation. Ils hésitèrent à nous laisser pénétrer dans le lieu de fête. Acceptant ma demande, exécutée à genoux, en l’embrassant où elle le voulait, Loane s’employa d’un numéro de charme, tiré de l’un de ses spectacles.

Nous pûmes rejoindre le vestiaire, après un passage par la caisse. Je zappais les points négatifs de l’endroit et n’en montrais à Loane que les positifs.

Je songeai à cette rencontre proche d’arriver. La cousine. Samantha.

Je déposai mon blouson, Loane sa gabardine. Je payai le vestiaire.

Nous croisâmes, dans un couloir menant au comptoir, quelques énergumènes déjà bien entamés.

Une heure quarante-huit affichée sur mon mobile.

— On rentre tôt, me répéta Loane.

— Ouais, j’ai compris. On rentrera avant la fermeture.

— Bien avant la fermeture. Ça ferme à six heures.

— Ouais. C’est bien ça.

— On reste pas plus tard que… trois heures. Tu es prévenu. Je vais appeler le taxi pour lui dire.

— Attends. On vient d’arriver. Si ça se trouve, tu vas vouloir rester plus tard.

— Ça m’étonnerait, Momo. Je connais les boîtes de nuit. J’y reste jamais très longtemps.

— Mais ta cousine est là, ce soir.

Loane restait sur son idée de départ. Avant trois heures du matin, on devait rentrer au studio. Je lui promis de ne plus m’y opposer.

Loane attrapa ma main, me tira vers elle. Nous contournâmes le comptoir et débarquâmes sur la piste de danse, la traversâmes au milieu de danseurs.

Dans un coin sombre, une silhouette connue d’elle. Sa cousine, compris-je. Samantha, la fantasmée Samantha.

Loane cria son prénom et celle-ci montra de la joie en l’apercevant. Enfin, je savais.

Je me présentai en tant que Momo l’illustrateur et non en tant que le mec de sa cousine, encore moins comme son futur mari. J’affichais un célibat possible qui dérangeait Loane. Je m’en moquais, à cet instant présent. En cette présence. Charmante présence.

Samantha, un ange. Une douceur émanait de ses traits, de son être, une aura saisissante. Pris aux tripes. La cousine de Loane allumait chez moi des sensations que je pensais disparues.

Son regard me transperçait, j’en dégoulinais, mes jambes flageolaient.

Samantha ! Mais quelle beauté, Samantha ! Et dire que l’autre me cachait ça. L’autre grognasse.

Les laissant discuter entre elles, je comparais les deux cousines.

Je les scrutais, l’une puis l’autre. Globalement, dans un premier temps, et je donnai un point pour Samantha. Ensuite, l’allure générale, un point pour Samantha. L’habillement, la coiffure, le maquillage, trois points pour Samantha. Le vocabulaire employé, un point pour Samantha.

Leurs physiques, je le détaillai. De bas en haut. Les jambes, les cuisses, les fesses, trois points pour Samantha. Le ventre, les bras, les seins, trois points pour Samantha. Leurs visages : Les lèvres, les yeux, deux points pour Samantha.

En résumé, de très nombreux points pour Samantha. Aucun pour Loane.

Aux côtés de sa sublime cousine, Loane passait pour un déchet.

Je ne regardais plus que Samantha. Loane devenait transparente pour moi.

Le reste de cette soirée me parut court. Je dus quitter, à deux heures vingt-quatre, la plus jolie fille et rentrer chez moi avec celle qui partageait mon lit.

J’arrivai dans mon studio, en compagnie de la cousine de Samantha. Une copie de médiocre qualité. Une impression de traîner jusqu’à mon logement un brouillon de cette beauté dont je dus me séparer. Désabusé.

Je ressentais le poids de l’engagement envers l’autre, la grognasse encore furieuse de notre courte attente sous une fine pluie. J’osais, pourtant, l’interroger :

— Où travaille Samantha ?

Pas de réponse.

— Tu peux inviter Samantha chez moi, si tu veux ? Quand tu veux ?

Pas de réponse.

— Samantha est célibataire ?

Une réponse :

— Pourquoi ? Tu veux te la faire ?

Tous les jours, plusieurs fois par jour encore mieux, songeai-je.

— Non, répondis-je. Je suis fidèle. Je ne t’ai jamais trompée. On est ensemble ?

— Oui, on est ensemble. Et on va bientôt se marier. Si tu te décides à…

— Alors, la question ne devrait même pas te traverser l’esprit. Si on est ensemble, alors, on est ensemble, et je ne sortirai, ne me taperai, ne me ferai pas d’autres nanas que toi. C’est toi, ma nana !

En lui sortant tout ceci, je m’imaginais m’adresser à la belle Samantha. Je continuai :

— Tu es ma nana. Tu es la seule qui compte à mes yeux. Tu es la seule. Tu es la seule qui compte à mes yeux… Bon, ça, je te l’ai déjà dit. Mais c’est parce que… je le pense vraiment. Au plus profond de mon être. De tout mon cœur. Mon cœur qui est à toi. Rien qu’à toi. Mon cœur, moi. Je suis à toi. Je ne veux que toi. Je t’aime Samantha…

Je me repris :

— Loane, je veux dire. Tu me troubles aussi, Loane. Tellement je suis amoureux de toi que j’en suis troublé. À t’appeler comme ta cousine. Ta jolie cousine Samantha qui ne me plaît absolument pas. Contrairement à toi. Ta superbe cousine Samantha dont je ne sais rien. Ta merveilleuse cousine Samantha qui habite où, au fait ? Elle habite où ? Où est-ce qu’on peut la revoir ? Elle travaille où ?

Les sculpturales courbes de sa cousine restaient gravées en mon esprit. Autant que ses lèvres pulpeuses qui me tendaient les bras. Autant que son sourire constitué de dents parfaitement alignées. Sans oublier sa manière de se déhancher, tout en sobriété malgré la horde de mâles, des bourrins bourrés en rut, à ses pieds.

De cette soirée écourtée, les images qui me restaient la mettaient toutes en scène. Elle détenait le premier rôle dans chacune d’entre elles.

Je ne me souvenais que d’elle, Samantha. La cousine de l’autre, cette grossière copie avec qui je devais, encore une fois, partager mon lit.

J’étiquetais des articles au PeknoMarket. Mon frère se trouvait à proximité.

— Chico ?

— Quoi encore ?

— Tu peux garder un secret ?

— C’est au sujet de ta femme ?

— On n’est pas mariés.

Il se rapprocha de moi et, ensemble, nous collâmes des prix sur les produits.

— Tu me laisses t’expliquer ?

— Vas-y ! Je t’en prie. Pour une fois que tu n’es pas en train de papoter avec la petite vieille.

— Georgette ? Une dame fort sympathique. Elle mérite qu’on s’intéresse à elle. Elle est très cultivée. Elle en a connu. Des guerres, déjà. Des maris. Des divorces. Elle me parle de ses enfants, de ses petits-enfants et de ses arrières-petits-enfants.

— Très intéressant, effectivement.

— Mais tout en l’aidant à faire ses courses. Je suis aussi payé pour ça. Pour conseiller et être aux services des clients. Les Pekno, à votre service ! Ça te dit quelque chose ?

— Sinon, tu voulais me parler de ta nana ? Tu t’adresses à la bonne personne pour ça. Les nanas, je connais. C’est ma spécialité. Je reste discret, sur le sujet, mais je t’assure, les nanas, elles ne me résistent pas.

— Tant mieux pour toi.

— Rien que la semaine dernière, j’en ai foutu trois dans mon pieu.

— Tant mieux, tant mieux.

Sa vie sentimentale ou amoureuse ou sexuelle, je ne m’y attardais pas. Pour moi, Chico demeurait cet adolescent qui me piquait mes voitures miniatures, mes jeux de société, mes billes. Jamais des filles. Je devais admettre qu’il s’intéressait à d’autres jouets, à présent.

De sa parole, il collectionnait les jolies poupées. Je n’y croyais qu’à moitié.

Aussi brièvement que possible, je lui décrivis ma situation, quels sentiments j’éprouvais pour une autre que mon officielle. Caractère aggravant, il s’agissait de la cousine de celle-ci qui comblait mes nuits en torrides rêves, malheureusement rien qu’en torrides rêves, qu’en érotiques rêves.

Je donnai les précisions demandées puis l’interrogea :

— Tu la connais ?

— Elle semble si parfaite.

— Elle l’est. Je sais pas où elle se cache. L’autre veut rien me dire. Et dans son portable, aucun numéro trouvé.

— Tu as fouillé…

— Pas le choix. Elle veut rien dire, l’autre. Obligé de fouiller. Compliqué. J’ai vraiment dû la jouer fine pour réussir à mettre la main sur son portable, sans qu’elle s’en aperçoive. Elle le lâchait pas. La grognasse !…

— Et tu comptes rester avec ? L’autre…

— Pour le moment, oui. Elle me chauffe le lit.

— Et elle aide les démunies.

— Ouais, ça lui arrive. Mais de moins en moins, je crois.

Un air surpris apparut sur le visage de Chico.

— Ah bon ?

— Je sais pas trop, en fait. Je la surveille pas. Elle vit sa vie…

— Ça papote ici, mais est-ce que ça travaille ? intervint notre oncle.

Mon frère et moi, sans surprise, lui répondîmes par l’affirmative.

— Je suis sûr que vous parlez des nanas ?

Nous confirmâmes les suppositions, suite à un long silence que nous dûmes combler.

Diego expliqua :

— À chaque fois que je vous surprends à discuter au lieu de travailler, vous parlez des nanas. Les nanas !… Vous n’y connaissez rien, gamins que vous êtes. À votre âge, moi aussi que croyais tout savoir d’elles.

— Samantha, ça te dit quelque chose ? lui demanda Chico.

Le patron se gratta le menton.

— Samantha ? Samantha comment ?

Je dus intervenir.

— Samantha.

— Elle est comment ?

— Une déesse.

— Au travail ! cria mon oncle.

Les prix collés sur les articles de l’ensemble du rayonnage, je retrouvai Georgette Vidal. Elle tendait les bras vers des boissons en promotion.

— J’arrive ! J’arrive ! signalai-je.

— Vous tombez à pic, jeune homme. Regardez-moi ça. C’est votre oncle qui vous demande de les placer si haut ?

— Ouais, les produits les moins chers, le plus haut possible. Limite inaccessible, comme il dit.

— Limite ? Carrément, oui.

— Pour vous. Le commerce, vous savez. Moi, je ne fais qu’appliquer les ordres. Je suis payé pour ça. Pas pour les discuter.

— Je comprends. Pouvez m’attraper deux packs d’eau, s’il vous plaît ? Puisque vous êtes là.

— Les Pekno, à votre service !

Georgette obtint ce qu’elle demandait puis elle compléta son chariot.

— Elle est très jolie…

— Mais je croyais que vous aviez déjà une… nana, comme vous dites ici. Jeune homme, que lui voulez-vous à cette Samantha ?

Une arrivante répéta la dernière phrase de la fidèle cliente, dans un ton nettement moins amical. Loane. Surgissant. Au mauvais moment. Comme bien souvent.

De suite, elle interpella Georgette :

— Il vous parlait de qui, ce grand con ?

La vieille dame agit en mon sens.

— À qui ai-je l’honneur ?

— C’est mon futur mari, ce grand con !

— Dois-je en déduire que vous êtes Loane ?

— Vous déduisiez bien. Vous êtes ?

— Georgette pour les amis. Vous pouvez m’appeler Madame Vidal.

Je ravalai ma salive. Ça se corsait. D’un côté, Loane, remontée. De l’autre, Georgette, d’apparence paisible, mais, si besoin, prête à ouvrir les hostilités. Autant elle considérait Loane comme une sainte parce qu’elle s’occupait de misérables, autant elle intervenait lorsque quelqu’un, peu importe son identité, s’en prenait à moi.

Devais-je intervenir ?

Georgette prévint Loane de ses années en temps de guerre, en lui montrant ses biceps tatoués.

— Ma petite, on touche pas au jeune homme ! Compris ?

Loane préférait en sourire.

— Eh ! Tu te moques pas de moi !

Georgette envoya un violent coup de canne dans le genou droit de son opposante, qui cria et injuria. Je reculai. Je prétextai devoir terminer un travail demandé par mon oncle.

— On se verra ce soir, annonçai-je à Loane, en train de se masser la zone frappée, en pestant.

— On est vraiment reçus comme de la merde dans ce magasin de merde ! Les Pekno, que des cons !

Loane rebroussa chemin sans rien acheter, au grand dam du patron.

J’en reçus les conséquences. Il me répéta : « Ça sera retiré de ta paie ! ». Il me menaça : « Tu as de la chance que je te vire pas, sur le champ. Tu as de la chance d’être un Pekno ! ».

Profil bas, j’encaissai.

Il ajouta : « Et que ça se reproduise plus. Jamais. Tu m’entends ? Jamais. Jamais un client doit partir du PeknoMarket les mains vides. Tu m’entends ? Imprime-toi ça dans le crâne. Profond. Bien Profond. Momo, décidément, tu as vraiment de la chance d’être un Pekno ! ».

La solidarité entre Pekno me permit de garder ma place au sein de l’entreprise familiale. Je finis, donc, ma journée de travail.

Je m’occupai du ménage. Loane ne vint pas chercher de quoi remplir les assiettes de ses démunies. Je fermai le commerce puis je pris un bus.

Je ne dessinais presque plus.

Je recevais Loane dans ma chambre. Le radio-réveil indiquait trois heures dix-huit. Je l’observais se déshabiller, en pensant à Samantha.

Loane se retourna vers moi.

— Je ne te plais plus ?

— Si. Pourquoi ?

— Je veux dire physiquement.

Elle se tâta quelques plis graisseux placés au-dessus des hanches.

— Tu trouves que j’ai grossi ?

— Non. Pourquoi ?

— Tu aimes les grosses ?

Je lui signifiai de venir se coucher.

— Je me réveille tôt demain.

Loane retira son soutien-gorge puis sa culotte. Gardant ses épaisses chaussettes, elle s’engouffra sous la couverture. Elle se blottit contre moi.

— Un moment j’ai cru que tu voulais te taper ma cousine Samantha. Quelle idiote je fais.

— Ouais, quelle idée. Quelle idiote tu fais.

— Elle est plus mince que moi, ma cousine Samantha. Tu as remarqué ça ?

— Ouais, vaguement. Non, j’en sais rien. Je peux pas te répondre, Loane. Je l’ai pas regardée. Ça se fait pas, ces choses-là. Quand on est en couple, on regarde pas les autres nanas. C’est comme ça.

— Ça me dérangerait pas. Si c’est que regarder. Moi, je regarde les beaux mecs quand j’en croise… Mais, au fait… pourquoi est-ce que tu parlais de ma cousine à cette vieille bique ? Elle lui voulait quoi ?

Je remontai la couverture sur mon torse et sur sa poitrine.

— C’est une cliente. Elle est un peu… À son âge, c’est normal. Faut pas t’inquiéter pour ça. On a réglé ça au PeknoMarket.

— Je ne suis plus ta nana ?

— Si. Bien sûr que si. Pourquoi ?

— Tu ne m’appelles plus ta nana. Avant tu m’appelais tout le temps, ta nana. Maintenant, tu ne m’appelles plus, ta nana. Tu as trouvé une autre nana ou quoi ?

Loane vérifia ce qu’il se passait dans mon bas de pyjama.

— Je ne t’excite plus, conclut-elle.

Je me trouvais dans une impasse. Je lui parlai de mécanique.

Elle éclata en sanglots.

— Je suis moche ! Bouh ! Que je suis moche ! Bouh ! Trop moche que je suis !

Je dus la consoler et essayer de moins penser à sa cousine, largement plus belle qu’elle.

— Tu n’es pas moche, affirmai-je, avec un cruel manque de sincérité dans la voix. Tu es comme tu es.

— Grosse et moche ! Immonde !

Afin de la rassurer sur son physique, je reparlai de mécanique, la seule explication qui me venait.

Dans ses larmes, Loane s’endormit. J’éteignis la lampe de chevet.

Je me réveillai, en sursaut.

— Quoi ?… Qu’est-ce qui se passe ?

Je crus à un attentat.

— Samantha ! Dépêche, on nous attaque !

De crocher dans le bras de Loane.

— C’est toi ?

Sa bouche s’étira, des deux côtés, en forme de banane, vers le bas, vers son menton. Puis s’ouvrit.

Voici ce qu’il en sortit :

— Je ne suis pas Samantha. Ça te déçoit, je le vois. Mais c’est ainsi, Momo. Je t’ai écouté pendant que tu dormais. Tu parles beaucoup en dormant. Très instructif. Je sais tout ce que tu penses de ma cousine. Tout le bien que tu en penses, devrais-je dire. Pendant presque une demi-heure, tu en as parlé.

— Ah…

— Espèce de sale obsédé ! Momo, tu n’es qu’un sale obsédé !… Mon futur mari, un sale obsédé ! Un pervers !… Quand je pense que vis avec un pervers, un pervers sexuel ! Quelle horreur ! Et encore… Et encore… Obsédé ! Détraqué ! Putain, qu’est-ce qu’il faut pas entendre ?… Sale type !…

Je cherchai un endroit pour me cacher. Loane me suivit partout dans l’appartement, en parlant de l’anatomie de sa cousine, et de ce que je rêvais d’y mettre. Elle me décrivit chacun de ses orifices comme si j’en ignorais la fonction.

J’en pris pour mon grade. Tout ça pour quelques paroles évadées de mes songes. Suffisamment, semblait-il, pour que de la colère la rende très agressive. Décidément, je la préférais pleurante sur son sort et moi à devoir la consoler.

Je subissais les foudres. Je courbais l’échine, mais ne rompais pas. Il fallait attendre qu’elle cesse son défoulement, que je jugeais fortement démesuré.

Sans les minimiser, je relatais les faits, avec précision. Je plaidais coupable de parler en dormant. Mieux que ronfler en dormant, plaisantai-je même. Et lui proposai de remplacer le prénom Samantha par le sien, arguant que, dans les rêves, il arrivait que les prénoms se mélangent, s’intervertissent.

Dans l’idée d’appuyer mon raisonnement, je lui rappelai mon année d’étude à l’université, section psychologie et mon mémoire de tutorat, bien noté, justement traitant du rêve et de ses mécanismes.

Je la sentis se laisser convaincre, un début de réconciliation.

— Donc ça veut dire que tout ce que j’ai entendu pendant que tu dormais m’était destiné ?

— Il semblerait... d’après mes calculs... que oui.

— Ça change tout.

Sa bouche prit une autre courbe, les commissures se dirigeant vers les oreilles. Des incisives et des canines apparurent. Un sourire. Loane souriait. Mission accomplie.

Le sourire grandissait et son visage embellissait. Elle devenait presque baisable, Loane. Pour un autre que moi…

— À quoi tu penses ? m’interrogea-t-elle, me surprenant.

— À… À rien. Si, à nous.

— Tu veux bien qu’on se marie ?

— Il est quelle heure ?

— Tu vois, qu’est-ce que je disais ?

L’horloge indiquait que je pouvais passer une heure à discuter avec Loane, de tout ce qu’elle voulait. De mariage, par exemple.

— Je dois aller bosser, moi, lui annonçai-je, pourtant. On en reparlera, si tu veux. Ce soir ?

— Tu vois, exactement ce que je disais. Dès qu’on parle de sujets sérieux, Monsieur, il…

— C’est pas toi qui bosses au PeknoMarket.

— Je te le confirme. C’est une affaire de Pekno. Je vous laisse entre Pekno.

Loane reprit place dans le lit.

Je sortis du studio.

Dans le hall, je ne croisai personne. En descendant les deux marches de l’entrée l’immeuble, je reçus de la flotte, en grande quantité sur le crâne. La gouttière non réparée. Je râlai, en avançant dans l’allée. D’étalés nuages se déplaçaient dans le ciel, grisonnants pour la plupart.

Un bus pris et je marchai sur le trottoir, en direction de mon lieu de travail. Je passai devant. Ses portes fermées à cette heure matinale. Contrairement à celles de deux autres commerces situés dans cette rue, une boulangerie et un bar. Une personne, de ma connaissance, en terrasse. Samantha ?

Hiver 2006

Une simple et légère dispute. Un motif futile limite ridicule en point de départ des hostilités, d’après moi. Beaucoup moins pour Loane. Chacun retranché, gardant ses positions.

Des remparts qui se dressèrent, annonciateurs d’une lutte âpre. Dans la durée. Aucune compromission. D’aucun côté. Conflit de valeurs. Bataille d’orgueil. Phrases assassines. Ça surgissait de partout, en provenance de camps soudain opposés.

Face à Loane. Pour quoi ? Pour des écarts de langage, des écarts de langage successifs à une découverte. Rien du tout, pour moi. Pas rien du tout, pour elle, qui m’accusait de minimiser.

Une suite de vagues. Oscillations de calme, de tempête. Nos mois de vie commune menaient à ça. Nous nous renvoyions les torts. Le combat restait heureusement verbal. Aucun coup porté à dénombrer, bien que certains mots lancés agissent en jets d’épées aiguisées, commettent des dégâts. Je réagissais, je ripostais.

Nous, deux êtres s’aimant, et baisant, devenus ennemis.

Une étonnante froideur se dégageait de notre manière de communiquer par les armes. Les attaques blessantes touchaient leur but avec un taux de réussite élevée. En raison, la connaissance de l’opposant, de ses points de faiblesse, quelles zones privilégiées pour l’atteindre, le piquer, le meurtrir, le voir ramper, s’excuser, pleurnicher, encore ramper, s’agenouiller avant de ramper, oui encore une fois, les genoux en sang à force de ramper, et gémir de douleur, bien sûr.

Sans ménagement, nous nous écharpâmes ainsi une bonne partie de la journée. En pratiquant une et même détermination à vouloir que l’autre plie.

La pièce dans laquelle se joua la mouvementée scène reçut de la vaisselle contre ses murs. Une assiette vola, se cassa. À contre-temps, je me baissai. Une ampoule au plafond explosa. La tension, d’un cran, encore monta.

Et un coup de pied dans mes… Ouille !…

Le haut, long et large bâtiment réservé aux universitaires accueillait le désordre.

Une infidélité de commise ? Alors même qu’elle se trouvait en couple avec moi. Pour qui me prenait-elle ? Pour quoi ? Je m’en offusquais.

Malgré la culpabilité qui me rongeait, je jouais la révolte.

Pour qui me prenait-elle ? Un prince en quête d’un harem. Et elle ? Une servante de ce harem ? À mes pieds.

Elle pensait que je la voulais à mes pieds. Je me retins de l’insulter quand me vinrent des images d’une autre époque.

Mon imagination de dessinateur encore amateur m’amena dans un royaume gouverné par une autorité, un tyran. Comme ça qu’elle me qualifiait.

Sans démentir, Loane m’adressa des couverts, cette fois : fourchettes, couteaux. Ils se plantèrent tous près de mon visage, un à un, de plus en plus proche.

Malgré les menaces du voisinage de contacter les forces d’ordre, perdurait cette lutte pas classe.

Des injures, certaines plutôt drôles tant elles semblaient hors jeu. Des rires, sortis des étages inférieurs et supérieurs, le témoignant.

Je reculai, me rapprochai de la porte d’entrée de la chambre étudiante.

Je pensai utiliser en alliés, quelques étudiants logeant là, mais m’en gardai, après réflexion. Ils habitaient si près de ma rivale du moment. Comment penser qu’ils me suivent, qu’ils me défendent moi et non elle ? Je m’en méfiais. De vue, j’en connaissais certains. Des curieux. Ils pouvaient rester écouter le sitcom derrière la porte ou derrière les fines cloisons. Ils rêvaient s’ils pensaient prendre place aux premières loges et, comme au théâtre, applaudirent les répliques.

Le spectacle, nous le créions. Nous le gardions. Pour peu que l’un de ces curieux reçoive un ustensile à un endroit mal placé de son anatomie. Aucun de nos deux camps rivaux ne se voyait défendre sa cause devant les tribunaux.

La scène nous appartenait. Lui appartenait, rappela Loane, façon de suggérer que je devais, à un moment de l’affrontement, rebrousser chemin. M’avouer vaincu. Battre en retraite. La queue, pendante, entre les pattes.

Malgré une nouvelle rasade de munitions, des bricoles sorties d’un tiroir du bureau placé au fond du logement étudiant, je persistai dans mon désir de cueillette d’informations entourant ma révélée infidélité.

Vu la situation actuelle, je ne regrettais plus de garder cette bague de fiançailles que je lui destinais dans cette si bonne cachette, au fond d’un sac, sous des couches de vêtements, de chaussettes, de slips. Je venais de l’échapper belle. Loane Jestin montrait son vrai visage.

Elle voulait que je me taise, car elle jugeait mes paroles méprisantes.

Loane me demandait de rentrer chez moi, de la laisser tranquille.

Elle redevenait agréable, sa voix s’adoucissait. Je vérifiais alors le contenu de mon sac à reproches. Encore quelques-uns là-dedans. Beaucoup, en réalité. Si je voulais sortir libre de ce territoire ravagé, je ne pouvais les garder en moi. Je le savais.

Je les livrais, sans sommation, aucune. Brutalement. D’un bloc. Peignant une horrible personnalité de cette jeune femme d’allure si douce. Une somme considérable de défauts projetée. Des mois de récolte déversés en une fois.

Loane accusa le coup. Parut se remettre. Se garda de riposter.

Drapeau blanc. Fin des combats ? Mi-temps ?

Une accalmie, très légère. Et puis ça repartit. De plus belle.

Je reculais. Loane Jestin avançait.

Une main se posa sur la poignée de la porte. La mienne. Je la tournai, dans le sens des aiguilles d’une montre. Une ouverture vers un dégagement.

Une haie d’honneur se déploya, m’invita à regagner mon chez-moi. À les laisser entre étudiants, moi l’autodidacte. Moi et mes dessins. Moi en recherche d’emploi dans le domaine artistique.

Hiver 2007

Un code d'entrée tapé, je rejoignais le hall d’un immeuble du quinzième arrondissement parisien. De dégradées moquettes habillaient la zone d’accueil. Des nids à arachnides tapissaient l’endroit, mais également les parties communes. D’une couleur unique et indéterminable, usé en tous cas, les éléments de décoration attestaient du goût douteux de l’équipe succédant aux architectes.

Je me rapprochais de l’appartement familial, slalomais entre des figurines en plastique dur abandonnées dans le couloir, pensait en ramasser une.

Soldats en plomb du vingt et unième siècle, les collectionneurs de tous pays en possédaient, derrière leurs vitrines, dans leurs boîtes d’origine. Quelques exemplaires trônaient sur une étagère de ma chambre. Connaissant leur valeur sur les marchés, aujourd’hui, comme d’autres fois où j’en croisais, j’évitais d’en écraser, les casser, les démembrer pour jouer.

Je me ravisais, penché, la main prête à attraper un chevalier en armure ailé. Quand un cri enfantin résonnait. Une avalanche de sons suraigus annonçant le début de la récréation à l’étage. Une troupe de bambins revenue de l’école se ruait vers moi. Je me décalais, collais les fesses contre un radiateur éteint. Me retenais de prendre le rôle du moralisateur lorsque je voyais les garnements désosser, désarticuler, parcourant leurs méfaits de hurlements à l’intensité croissante. Leurs parents absents.

Une étrange odeur atteignait mes narines et mon corps tout entier. Elle provenait d’une cuisine que je fréquentais, celle où sévissait Bérengère, ma marraine.

Je la rejoignais, le court couloir de l’appartement parcouru. Des embrassades. Des questions sur la préparation culinaire en cuisson.

Un épais nuage noir envahissant la pièce après retrait du four d’un plat carbonisé, disons bien grillé, afin de ne pas accabler celle qui sua à éplucher des légumes et garnir une volaille. Juste à point, de son avis.

Les avis divergèrent, entre nous, jusqu’à la tombée de la nuit.

Après dîner, la table débarrassée, la vaisselle terminée, dans ma chambre, je retrouvais mon tri, commencé des jours auparavant.

Des cartons ouverts, d’autres fermés car remplis d’affaires au sort tranché qui prenaient la direction d’un nouveau logement, qui devaient passer le périphérique pour atterrir dans une barre d’immeuble située en banlieue, d’ici moins d’un mois. Les rémunérations accompagnant mes dernières réalisations artistiques, ainsi que les preuves de nouvelles entrées d’argent, via des signatures de sérieux contrats, permettaient l’accès à ce type de locations. Leurs proximités avec mon réseau professionnel en tant que principal critère sélectif.

Je m’asseyais et jugeais les objets, devais décider ce que j’amenais, et ce qui restait. Une somme considérable de paperasse fila directement dans le container. De la paperasse à caractère promotionnel. Aucunement des dessins, sur quelque support ils apparaissent. Ceux-là, je les stockais soigneusement dans des classeurs et autres rangements. Pour eux, j’envisageais l’organisation d’expositions, afin de leur donner une seconde chance. Il s’agissait, tout de même, d’une centaine d’œuvres d’art qui ne trouvèrent preneurs auprès de mes décideurs les éditeurs. Aux formats divers. De la carte postale au poster.

Le film du dimanche soir terminé, je voyais ma marraine venir aux nouvelles. S’introduire dans ma chambre, sans frapper. Une habitude chez elle.

Concentré sur le contenu des objets que je mettais, ou non, dans les cartons, les fesses posées à présent sur mon lit, je bondissais lorsqu’elle apparaissait.

Bérengère s’assit près de moi et, en tournant un fin bracelet argenté autour de son poignet gauche, me dit :

— Stresse pas comme ça, ça va bien se passer. Je suis certaine que tu vas te trouver une belle gonzesse, là-bas. Une, que dis-je. Tu vas nous faire des ravages, toi. Tu vas toutes les mettre dans ton pieu, toutes te les…

Lorsqu’elle parlait ainsi, en usant du ton familier en usage dans l’usine où elle œuvra et où s’y fabriquait, huit heures par jour, des joujoux pour adultes, j’intervenais. Sans succès, la plupart du temps.

Hermétique, Bérengère se moquait bien des critiques. Davantage lorsque celles-ci sortaient d’une bouche connue, familiale. La mienne, celle de son fils adoptif. N’en déplaise à certains, maintenant retraitée, elle agissait à son rythme, à sa convenance. Déjeunait, dînait, se lavait comme bon lui semblait. À moi, et aux autres, de s’adapter. J’y parvenais, tant bien que mal. J’acceptais les repas seuls, face à la télévision, fréquemment.

— Encore plongé dans tes pensées, me reprit-elle. Je sais bien que ça va te faire drôle d’habiter sans ta marraine adorée. Et puis, ton nouvel appartement, il est pas si loin que ça. Pas si loin de moi. Tu pourras venir me voir. Autant que tu veux. Avec ta fiancée. Tes fiancées. Si tu veux. Je suis ouverte d’esprit, moi. Trois, quatre, comme ça te va. Tu sais, quand je travaillais à l’usine, j’en ai entendu de ces choses.

— Je sais, je sais. Mais, je… je sais pas. Je les connais pas. Il doit y en avoir de sympas, mais je les connais pas. Je verrai bien. Quand j’y habiterai. On verra ça. On verra bien. Je te tiendrai au courant, ne t’inquiète pas.

— Faut pas faire son timide, mon garçon. Qu’est-ce qu’elles attendent de toi, ces gonzesses ? Que tu leur montres qui c’est l’homme. Elles veulent pas d’une gonzesse, ces gonzesses. Elles veulent un mâle, un vrai. Viril. Les mecs galants, elles s’en foutent. Elles veulent de la virilité. Pas de la mauviette. Les gonzesses, elles veulent grimper au rideau, elles veulent se faire…

Nouvelle interruption de l’emballement langagier. Ces propos me gênaient. Elle le remarquait. Continuait, pourtant. Passant de la marraine protectrice, trop protectrice, étouffante d’affection, voulant garder son orphelin sous sa coupe, à la marraine désireuse de me voir quitter son cocon familial et lui pondre un petit-fils. Un enfant qu’elle garantissait considérer comme son petit-fils.

Afin que je la laisse parler, Bérengère promit une mise de côté des sujets que je jugeais tabous.

Deux minutes consacrées aux prévisions météorologiques.

J’entourais d’une bande adhésive un nouveau colis. Le décollage se précisait. D’autres cieux en perspective. La pièce perdait ses marqueurs enfantins. Des pages de vie se tournaient, avec leurs souvenirs accolés. La nostalgie s’emparait de moi.

— Ça va bien se passer, se voulait rassurante Bérengère, qui enchaînait en narrant des épisodes passés, comment la rencontre de mes parents.

J’écoutais quand elle parlait d’eux. Sans pouvoir dénouer le vrai du faux. Ma mère, la sœur de Bérengère, toujours admirable. Au sujet de mon père, les versions se succédaient, en se transformant. Question d’humeur de la raconteuse.

Tantôt, selon elle, mon père apparaissait tel un héros moderne, sauveur d’une humanité en voie de perdition, toujours au soutien des plus faibles, aidant, soignant les âmes corrompues, au chevet des malades, prêt au sacrifice financier pour défendre une noble cause, et cetera dans des termes élogieux qu’elle ajoutait aux expressions de sympathie en direction de sa personne, naturellement, ouvertement, spontanément.

Tantôt, en période de tracas émotionnel, le portrait paternel se modifiait, devenait celui d’un personnage abject, détesté, car détestable, un minable, un bon à rien qui délaissa sa famille, d’une hypocrisie rare…

— Au fait, tu sais s’il reste des cartons à la cave ? la coupai-je, en levant les yeux vers elle.

Une interrogation symbolisant un départ imminent. Qui prenait forme. Cette fois, Bérengère paraissait ressentir véritablement, en elle, la sensation d’une séparation. À différencier d’un abandon, comme dus-je le préciser.

Elle en rigolait, comme souvent, pour masquer le chagrin la comblant lorsqu’elle semblait associer le départ du foyer familial avec celui précipité de sa sœur adorée et de mon père, pour un autre monde. Outre-tombe.

Ce qu’il advint de mes parents, d’après une solide expertise scientifique qui dura le temps que ça dura, les résultats indiquèrent qu’il s’agissait, avec une certitude proche du cent pour cent, d’un banal accident, bête, une idiotie, une connerie, la boulette qui leur valut de finir au fond d’un lac, leurs membres tranchés, quatre pour ma mère, cinq pour mon père. Les deux corps lestés par une très très grosse et très très lourde pierre, enfermés dans un lourd coffre-fort aux serrures bouchées.

Jugée responsable des faits, avouant largement d’après les journaux, mais d’eux seuls, désignée coupable par une enquête, possiblement, rondement menée, ma marraine Bérengère, pour négligence, écopa d’une étonnante condamnation : exterminer toute trace d’une jupe longue portée lors de sa convocation judiciaire, ce qu’il fallut de jurés, hommes comme femmes, la désignant, lors du médiatisé procès, d’une laideur difficilement pardonnable.

À contrecœur, Bérengère s’acquittait de la sentence ordonnée par le groupe d’incorruptibles jurés. Incorruptibles jurés, ah bon ? Tous hormis ceux qui finirent dans son pieu, beaucoup.

Tout de même, elle s’activa dans la tâche administrée. Mais à la limite du délai voté, histoire de montrer qu’elle restait la décideuse.

Le flou entourant la disparition de mes parents et la responsabilité de ma marraine, tout aussi floue, me laissait sans avis sur cette affaire. Je préférais croire Bérengère victime d’accusations mensongères. Depuis toujours. Depuis qu’elle obtint l’exclusivité de ma garde.

L’écoutant d’une oreille fustiger les travers d’une modernité capitaliste, après un passage rapide par la cave, je continuais de remplir les cartons, en vue de ce nouveau déménagement.

Je continuais de trier, vidais des placards puis une commode, regroupais mes affaires, les séparais de celles de ma marraine. Je démêlais, défrichais, organisais, rangeais. Je marquai un arrêt.

Un chien face à un gibier.

Pris d’émerveillement, secoué.

En un instant, je me revis trois ans en arrière. Sur un trottoir. Accompagné. Par qui ?

Loane Jestin. Cette beauté.

Scotché. Pétrifié. Statufié. Retourné.

Devant moi, je levai une photographie. Restai en admiration, me souvenant de mes meilleurs souvenirs associés à mon ex-nana : Loane, qui voulait que je marie avec elle.

Je lus le poème écrit derrière le cliché en couleurs. Une intimité révélée dans des phrases rythmées, non sans touche humoristique. Toute Loane résumée en treize courtes lignes.

Je regrettai l’absence, dans mon répertoire téléphonique, d’un autre numéro pour la joindre que celui recueilli auprès d’elle, un numéro qui mena à l’accueil d’une boucherie-charcuterie pendant quelque temps, avant de disparaître des annuaires.

Avec étonnement, je m’aperçus d’une similitude entre les traits de personnages dont je me servais pour mes illustrations et ceux de mon premier amour, Loane Jestin. La quasi-totalité des femmes que je dessinais lui ressemblait. À croire qu’elle hantait mon esprit, mon inconscient, bien plus que je ne l’imaginais.

Ne sachant dans quel carton la ranger, je posai la photographie sur mon bureau. Je voulais éviter de la froisser. Pire la plier, la déchirer.

La violence de notre rupture me revint, malgré tout, en dégageant nos doux moments. Pour une futilité ? Pas vraiment. Une infidélité. Avec sa cousine Samantha. Avec qui ça ne mena à rien, en plus.

Je ne préparais pas mon déménagement, je dessinais aussi bien dans le registre fantastique que dans celui du récit d’aventure, ou du trip érotique.

Parfois un éditeur commandait la couverture d’un livre contenant des faits policiers, souvent on me contactait pour ma qualité d’adaptation. Des albums jeunesse, du dictionnaire de plantes herbacées, des bouquins traitant de développement personnel, je savais régler mon crayonné. Afin de satisfaire à la demande. Tant qu’elle possédait le qualificatif d’artistique et qu’une honorable paie s’y adjoigne. D’où qu’elle vienne. Il pouvait s’agir des groupes d’édition, des éditeurs indépendants.

La photographie de mon premier amour, mon seul grand amour, toujours sur le bureau.

Je me retenais de fantasmer sur cette image sur laquelle Loane apparaissait dévêtue.

Je choisis d’enfouir le cliché, devenu soudain dérangeant, dans un tiroir.

Je déboutonnai ma chemise à fleurs orangées marquée de transpiration aux aisselles.

Un entrepôt remplaçait la chambre. Plusieurs empilements de colis cubiques enrubannés réduisaient considérablement l’espace. Jour après jour, d’autant que les rangements se vidaient de leur contenu, le passage d’accession au lit se compliquait. Je les déplaçais, alors. Puis devais les replacer pour avancer. Case après case. Un pas à la fois. Mais bientôt un nouveau logement.

Quelques jours passèrent. En ouvrant un meuble de la cuisine, je tombai sur un album photo à la couverture d’une modernité passée. Je m’y intéressai. Son intérieur m’intriguait.

Un signe du destin ? Je me le demandai en apercevant Loane Jestin, encore elle, de ses dix-huit à ses vingt-ans, posant avec féminité sur plusieurs clichés.

Je refermai, regardai autour de moi, cherchai à définir la présence ou non de ma marraine, dans les parages.

Je rouvris, discrètement.

Loane en vacances, Loane à la plage, Loane en maillot de bain, Loane entièrement nue, à l’aise, entourée d’un groupe de naturistes en train de jouer aux boules. Des boules parmi des boules.

Je me défis de cette soudaine pudeur, que je jugeai inadaptée, en me rappelant du contexte, ce camp dans lequel nous passâmes un séjour, les fesses à l’air.

Entre rigolades et baignade. De respectueuses rencontres avec des étrangers de passage. Tous à poil. Des vacances au poil.

Prévues pour un renouvellement annuel, la rupture sentimentale ne le permit pas. Restèrent ces photographies que j’accompagnai de celle trouvée plus tôt, un portrait estimé réalisé ce même été. Son teint hâlé, parmi quelques points de correspondance évidents, semblait l’attester.

Une autre époque. Avec Loane Jestin, cette époque. Ça se passait si bien entre nous. Avant que… Avant que… sa cousine Samantha… Quelle conne, celle-là !…

Ma marraine venait de rentrer. Croyant dans les signes du destin, je partis l’informer.

— Encore à ressasser le passé, me reçut-elle, en lieu et place d’une attendue bien qu’improbable chaleureuse étreinte, orale ou physique. C’est pas comme ça que tu vas nous trouver une gonzesse, Momo. Une de perdue et dix de retrouvées, qu’on dit. Ça veut dire quoi ? Qu’il y a dix gonzesses qui attendent que toi. Et toi, tu fais quoi ? Tu les laisses passer.

— Mais non. Et puis, même si… Tu vas nous ressortir le couplet de la grand-mère et de ses petits-enfants. Tu as croisé ta copine du dessous, en montant ?

— Avec toute sa famille, oui. Enfants. Petits-enfants. Ils sont si mignons, ces petits bouts de choux. Et toi, quand est-ce que nous en fait un ? J’aimerais bien savoir, moi.

Bérengère déposa son chapeau à plumes de paon sur un cintre près de l’entrée.

— Tu crois aux signes du destin, il me semble.

— Mais pas du tout. De la connerie, ça. Je t’en ficherai des signes du destin, idiot, va. Si tu attends des signes du destin pour agir avec les gonzesses, tu peux être sûr qu’on va te les piquer, les plus belles gonzesses. Je peux t’en assurer. Il faut leur montrer que tu en as. Va les voir, courtise-les, je vais pas te faire un dessin.

Bérengère s’habilla d’un rire gras et ajouta :

— Ben non. C’est toi le dessinateur. Je vais pas te faire un dessin. Lui, la tête qu’il me fait. Eh, arrête de faire ton sérieux, c’est chiant, là. On n’est pas à un rendez-vous d’affaires. On parle gonzesses. Je sais que… Depuis cette Loane. J’ai rien dit, mais j’ai bien remarqué. Tu restes pas bien longtemps avec elles, à chaque fois. Mais ça… C’est bien aussi d’essayer le matos. Avant de s’engager.

J’attendais que son monologue s’achève. En moyenne, ça durait un bon quart d'heure. Ensuite, la discussion reprenait. À deux. Un interlocuteur, un récepteur. Un échange.

Bérengère, le temps de sa prise de parole unilatérale raconta quelques blagues qui donnaient au personnage féminin prénommée Loane le rôle d’une cruche ou d’une écervelée. Ou d’une cruche écervelée, les plus drôles.

— Au fait, j’ai… crus-je le moment venu d’annoncer le fruit de ma si étonnante découverte.

Et non. Les quinze longues minutes tout spécialement dédiées à critiquer les femmes ressemblant à Loane devenaient vingt longues minutes. Puis une grosse demi-heure. Ma marraine savourait de les rabaisser.

— Elle a beaucoup compté pour moi, lui avouai-je. On a passé des mois ensemble.

Je ne trouvai rien à redire quand Bérengère compara la durée de notre histoire d’amour à celle d’un flirt avancé.

Je subis.

— Qu’est-ce que tu crois, toi ? Ça fait bien longtemps qu’elle t’a oublié. Et tu penses faire quoi ? Tu vas aller la voir. Tu vas débarquer, comme ça. Salut, c’est moi, Momo. Tu te rappelles de moi. On a couché ensemble en… en quelle année ?

Je le lui indiquai, précisant que notre amour ne pouvait se réduire à une simple histoire de sexe, en employant des mots appropriés à la situation.

— Je n’ai pas parlé d’un plan Q.

Je me gardai de lui indiquer que, de son avis, elle traînait trop sur les sites de rencontres.

Bérengère reprit.

— Je disais quoi, moi. Ah oui. Qu’est-ce que… Oui, voilà… Tu vas débarquer chez elle, plein de bonnes intentions. Et tu vas te prendre sa porte au nez. Tu t’en sortiras pas indemne. J’irai pas te voir à l’hôpital. Je t’aurai prévenu. Elle va te briser le cœur. Ces gonzesses, elles sont mauvaises. Crois-en mon expérience. Elles retournent les mecs, comme des crêpes. Comme ta Loane.

— …

— Pas comme… Une négresse. Une qui veut des enfants, sinon ça sert à rien… Une gonzesse qui veut pas de gosses, tu éviteras, Momo. On n’en veut pas chez nous. On est bien d’accord ?

Elle devait comprendre que je persistais dans mon idée de vouloir réparer. La récente découverte causait en moi des remords. Je culpabilisais.

Bérengère se rapprocha.

— Le passé, il faut le laisser là où il est. Les erreurs du passé avec.

Je pensais différemment. Et commençais à imaginer reprendre une vie de couple avec Loane Jestin, là où elle s’arrêta.

— Va pour une négresse, si ça te convient, lança Bérengère. Ça me convient. Je ferai avec. Mais une négresse qui veut des enfants, on s’entend bien ? Je suis d’accord, Momo. Tu peux nous ramener une négresse à la maison. Momo ?

J’occultais ce qu’elle raconta sur une métisse travaillant dans le quartier, sur une Africaine qu’elle croisait dans le métro, sur une jeune femme noire de peau et aux cheveux tressés.

Je pensais à Loane Jestin, ne pensais qu’à Loane Jestin.

— Tu vas faire quoi ? abdiqua Bérengère. Tu sais même pas où elle habite. Tu sais même pas si elle est encore vivante…

Je m’offusquai.

— Mais ça va pas de dire des choses pareilles. Tu es vraiment… Toujours le mot qui… blesse. Tu… Tu me fais chier.

L’emportement contre Bérengère démontrait à quel point l’attachement pour mon premier amour revenait au goût du jour. Il fallut de quelques signes du destin, les appelais-je ainsi, pour que Loane Jestin retrouve une place au sein de notre famille.

— Sans vouloir t’être désagréable, se permit Bérengère, en posant une main sur mon épaule droite. Tu me parles, tu ne cesses de me parler de Loane Jestin, depuis ce matin. Mais pourquoi penses-tu qu’elle s’appelle encore Loane Jestin. Si elle est mariée, elle a changé de nom de famille.

Je me résolus à admettre cette possibilité, bien qu’elle ne m’arrange guère et décidai, dorénavant, de l’appeler par son prénom.

— Et si elle veut pas d’enfants, on fait comment ? s’inquiéta Bérengère. Tu arrives à la retrouver. Tu arrives à la reconquérir, pas facile, mais jouable si tu écoutes mes précieux conseils. Et là, elle t’annonce, comme ça, comme une connasse, qu’elle veut pas que tu lui fasses de gosse. Tu la gardes pas, tu en trouves une autre. Une autre ex, si tu veux ? Ou une des négresses dont je t’ai parlé, je dois pouvoir récupérer leurs numéros de téléphone, si tu veux les contacter. Ta Loane, elle rentre pas dans la famille si elle veut pas de gosses. On est bien d’accord. Momo ?

Elle n’en démordait pas.

— On improvisera, m’en défis-je, avant de me retirer dans ma chambre où je retrouvai des commandes à honorer, quelques feuilles à gros grains dispersées sur le bureau.

Dans une trousse, je piochai un crayon. Puis je traçai.

Les contours d’une figure féminine apparurent. Sous une armée de créatures horrifiques jaillissant de juteuses pommes déversées par une rondouillarde ogresse à barbichette verte, dans un récipient garni d’une onctueuse crème pâtissière.

Des esquisses. De quoi présenter les bases d’une couverture à réaliser pour une maison d’édition spécialisée dans les ouvrages de science-fiction.

Je m’obligeai à dessiner le corps et le visage d’une femme en opposition à celles que je plaçais, habituellement sur les couvertures qui le demandaient. Je montrai des difficultés. Aucun modèle ne me venant à l’esprit. Sur qui s’appuyer ? Malgré des années de pratique, je me retrouvai démuni de devoir, comme personnage principal d’une œuvre, mettre en valeur les formes, les courbes, la silhouette, la présence, le charisme d’une femme ne ressemblant pas à Loane Jestin.

Je pris du recul. Notai les parties à arranger. Hésitai, en griffonnant l’avant de la poitrine de la femme dessinée. La lui réduire, la lui grossir. Je lui gommai les tétons, tronçonnai. Trois tailles de bonnet en moins. Suivit une période de réflexion, avec grignotage du bout de crayon.

Dans ma difficulté à trancher, l’ouvrage à illustrer s’y prêtant, je pris la décision d’affubler de mamelles de truie ce personnage dessiné qui posait tant de problèmes. J’ajoutai un groin quand je ne sus quelle rondeur offrir à son fessier.

Je trouvais le résultat satisfaisant. La créature imaginaire ne portait aucun des charmants traits de mon premier amour, déjà ça.

M’aidant d’écrits fournis pour l’élaboration de la composition, j’usai néanmoins ma gomme mie de pain plus qu’à l’habitude.

Même s’il m’arrivait de me laisser guider par mon instinct, je préférais dessiner ce que je connaissais. Je m’adaptais, mais en me basant sur des éléments que je vécus ou que je croisai, ou que je tirai de visionnages, de lectures de bandes dessinées, de livres illustrés par d’autres.

Je m’apercevais, alors, que les castings des derniers films vus au cinéma se composaient uniquement d’actrices ressemblant à Loane Jestin.

Je vivais avec le spectre de la séparée, en permanence. Autre signe du destin ? Je le pensai.

Je me remis à dessiner. Je devais servir la commande artistique commencée avant le surlendemain. L’allure générale de l’illustration me convenait toujours. Ça se précisait. La tâche se compliquait, je devais me passer de ce qui ramenait à Loane. Je me sentais vide. L’imagination sèche. Je raturais, grassement. Devenais brouillon, m’échappais dans un tourbillon circulaire qui couvrait entièrement le support. Je l’attrapais, le roulais. Une boule de papier.

Quelle idée de vouloir changer mes habitudes de travail ? me disais-je. Mes clients, ils viennent me chercher pour quoi ? Pour les splendides personnages féminins que je leur livre. Je dessine des femmes qui ressemblent à Loane Jestin. Et alors ? Qu’est-ce que ça peut foutre ? Ouais, on s’en fout. Chacun son style… Loane, mon premier amour. Le plus beau, le premier. Celui qu’on n’oublie jamais. Le premier. Moi, je suis certain qu’elle n’est pas mariée, qu’elle m’attend. Et moi ? Qu’est-ce que j’attends, moi. J’attends quoi pour aller la retrouver ?

Printemps 2008

Je débutai une enquête. Avec pour seule ambition la réparation. Par ma faute, je m’en accablais, je cassai l’amour. Le seul. Le vrai. Ce que je ne retrouvai plus jamais ensuite.

D’interrogatoire en interrogatoire, de ville en ville, de bar en bar, je fondai un espoir. Une réelle possibilité de la revoir. Loane Jestin ou Loane tout court. Elle tout simplement. Un souvenir. Une envie de vivre une suite à notre histoire.

Les personnes que je rencontrai sur ce chemin que je savais, gardant la foi, mener au bon endroit, compatissaient. Elles me menèrent dans des culs-de-sac, mais elles se montrèrent compatissantes.

J’accumulai les marches arrières et les demi-tours. Les obstacles, que j’accueillis comme autant de sanctions méritées, je les passai.

Je recoupai les indices, le moindre élément synonyme d’un rapprochement corporel avec ma belle.

Une information me vint et de la déception m’emplit. Des kilomètres entre elle et moi, par centaines. Moi à Paris, elle retournée vers ses origines.

Ma dernière commande réalisée et postée, je pris le train un matin.

À plusieurs reprises, je vérifiai le contenu de ma valise. Le ciré jaune à capuche et les bottes en caoutchouc bien là, je m’en assurai et m’en rassurai.

Loane sera une formidable mère pour nos enfants, deux ou trois, pensais-je. Une fille et deux garçons. Ou deux filles et un garçon. Ou trois filles. Ou trois garçons. Ou une fille. Ou un garçon.

Je la laisserai choisir les prénoms, à ma Loane. De mon avis, c’est la mère qui doit choisir, ces choses-là. En concertation avec le père. Ça va de soi.

Le message d’arrivée dans une gare me sortit de mes interrogations. Je me faufilai. Avec mon bagage, je cognai des genoux crieurs de noms d’oiseaux marins. J’avançai dans l’allée bondée. Poussai. Écartai du bras.

J’atteignis la sortie du wagon, puis le quai. Ma valise s’ouvrit en entrant en contact avec le sol. Loane méritait que je vienne pour elle, me répétais-je, en ramassant mes affaires, au milieu du passage. Entre les pieds des passagers partant, arrivant.

Je rejoignis un taxi, des indications recueillies sur comment retrouver Loane. Ça m’étonna de pouvoir parler en français avec le chauffeur sans que ce dernier se sente obligé, au cœur de ses phrases, d’ajouter des mots en patois.

Je déviai de ma quête sans intention de l’abandonner, cherchai un hôtel pour la nuit.

Résigné, atteint de recevoir des refus en pagaille de maisons d’hôtes auxquelles je pus sonner, je branchais mon téléphone portable dès mon arrivée dans une chambre d’un complexe immobilier, que je dus louer à la semaine. Le minimum accepté. Des voleurs, des profiteurs, de mon avis. S’en prenant aux étrangers. À moi, paumé étranger.

La lune éclairait la nuit. La circulation diminuant. Les commerces fermés. Je posais mon mince mètre quatre-vingt sur l’unique chaise présente en ces lieux. Ainsi assis, accoudé, regardant par la fenêtre mi-close, je me disais que mon premier amour, ma nana se trouvait juste là, à côté, si proche de moi. Pris par le sommeil, je m’évadais dans une rêverie, les paupières tombantes, se fermant, m’empêchant de lutter. Je me courbais, graduellement. Mon menton, caché sous une barbe, approchait d’une table en osier d’apparence bon marché. Je me laissais couler. Des images de Loane, les dernières d’elle que je gardais en mémoire, venaient me percuter. M’enrobaient. De leurs douceurs.

Une heure après, une bosse dans le pantalon, je me réveillais. Je retirais chaussures, chaussettes, et slip kangourou porté depuis près d’une semaine. Derrière moi, je jetais ma chemise, tout comme mon t-shirt. Ils atterrirent près du lit.

Ne pensant plus vraiment à mon futur déménagement de Paris vers la banlieue, je m’allongeais, me saisissais d’un oreiller et le plaçais sous ma tête. Je relevais sur moi un drap puis une couverture.

Je me souhaitais une bonne nuit. Je répondais merci, bonne nuit à toi aussi.

Le lendemain, je reprenais l’enquête en cours. Dégagées les turpitudes de la veille, je regagnais en détermination. J’en oubliais de rappeler ma marraine et de la tenir informée. Prématuré. Seulement en cas de retrouvailles assurées, en cas de bonne nouvelle à annoncer.

À la tombée de la nuit, je rentrais dans ma location hebdomadaire. Un début de piste à mon actif. Le début d’un début.

Je me préparais un repas. Je me souhaitais bon appétit, n’y répondais pas, on ne parle pas la bouche pleine, question de bonnes manières.

Je dînais, me couchais.

Je creusais mon trou, ma tombe, ma dernière demeure, le début de début de piste s’avérant un début de début de rien. Une voie sans issue. L’impasse. Un trou. Mon trou. D’une profondeur abyssale dans lequel tombaient mes derniers espoirs. Au fond du trou.

Je vidais une bouteille de vin bouchonnée, en me parlant, en me traitant de connard, de minable même pas fichu de retrouver son amour perdu.

Je désespérais : Jamais plus, jamais, avec Loane, je ne coucherai.

Une rencontre fortuite. Comme elle m’apparaissait, après une nuit passée à dormir, somnoler disons, décuver sous le porche d’une église.

Costard-cravate de sortie, Ernest Rey, maire en fonction, vint à ma rencontre.

— Vous allez rire, lui révélais-je, goguenard, je vous avais pris pour un voleur. À vous voir rôder comme ça autour de cette baraque.

— C’est vous qui rôdiez.

Je me présentai.

Le maire affichait sa sympathie. Surjouée, basée sur d’évidentes méthodes commerciales. Je me laissais, néanmoins, brosser dans le sens du poil. Jamais désagréables, ces choses-là.

Je répondais à ses questions, toutes relatives au pouvoir, à ceux qui le détenaient dans la capitale française. Je m’inventais des amis, de la famille en communication directe avec des membres du gouvernement en place. Mais revenais, mon déplacement devait y mener, à mon sujet principal.

— Loane Trichard. Ça vous dit quelque chose ?

— Tu lui veux quoi ?

Ce changement de ton me surprit. Je dus m’adapter à la situation.

— C’est sa maison ? cherchais-je à savoir en indiquant une grande bâtisse en pierres de taille, au lieu de lui dire que Loane, je voulais la reconquérir.

— Oui, c’est sa… Non. Bien sûr que non. Elle est pas là, de toute manière.

Ernest Rey ne semblait plus savoir comment agir face à moi, ce visiteur qui osait demander auprès de Loane. Je m’en apercevais.

L’hypothèse d’un autre courtisan me venant, il en passait par un test. Sous la forme de quelques ajouts aux paroles tenues lors de la suite de notre conversation, heurtée conversation. Et ça semblait fonctionner. L’homme politique s’apaisait, en m’entendant lui mentir, affirmer que je recherchais Loane, car il s’agissait, pour moi, de retrouver rien d’autre qu’une lointaine cousine. Perdue de vue sur un malentendu.

— Si ça n’est que ça, indiqua le maire, je peux bien vous l’avouer, Monsieur Pekno, cette splendide maison, au charme certain, appartient bien à Mademoiselle Loane.

— Mademoiselle ? Ah… Mais je croyais que…

— Ou Madame. Peut-être, oui. Un détail.

Je comptai les mètres de barbelés entourant la propriété. M’en intriguai. D’autant plus qu’elle résidait la seule des environs ainsi sécurisée.

L’œuvre d’un mari affreusement jaloux, appris-je du bavard maire. Un con doublé d’un taré de paranoïaque persuadé que l’entièreté de la gent masculine veut lui piquer sa princesse.

Ernest Rey marqua son attachement pour mon ex-nana, en défonçant, de durs mots, celui qui partageait, à présent, sa vie.

— Elle mérite mieux que ce sale type, me confia-t-il, lâchant sa retenue. Sans aucun doute. Encore, si j’étais le seul à le penser. Dans mon village, tout le monde le dit. Mes conseillers municipaux, mes adjoints. Tout le monde, je vous dis. Dans quoi qu’elle s’est embarquée, Loane. Quand je pense… à nous. Nos balades en forêt. Comment elle me regardait lorsque j’enfouissais mon gros et long champignon dans son pochon. De l’amour. Ça, c’était de l’amour. Le regard, ça ne trahit pas. Jamais. Elle me regardait amoureusement, je vous dis, Monsieur Pekno. De l’amour, rien que de l’amour entre nous. Et ça a duré. Platonique amour, je voulais pas la brusquer. C’est une romantique, Loane, je le sais. Et moi aussi, d’ailleurs. C’est pour ça que l’on s’entend si bien. Tous les deux. Moi et Loane. C’était ma Loane. J’étais son Ernest. Nous nous aimions. Oui, Monsieur Pekno, nous nous aimions. Comme je vous le dis. On n’invente pas ces choses-là. Les corps parlent. Quand deux êtres éprouvent une attirance mutuelle, rien ne peut s’y opposer.

— Son mari, il arrive quand dans votre histoire ? m’impatientai-je.

— J’allais y venir, Monsieur Pekno. Le passage le plus douloureux. Sortez les mouchoirs !

Ernest Rey pointa d’un pied mon bagage.

— Il doit bien y en avoir là-dedans.

Je confirmai et il put continuer.

— Où en étais-je ? Si vous me coupiez pas aussi… Ah oui. Voilà. Nous nous aimions. Et… nous nous aimions. Moi et Loane. Tous les deux, rien que nous deux. Amoureux. Platonique amour, ça vous savez. Ce que vous ne savez pas, c’est ce qu’il s’est passé lorsqu’un dénommé Adolphe Trichard fit irruption. Comme un cheveu sur la soupe, les pieds dans le plat, un éléphant dans un magasin de porcelaine. Un intrus. Un voleur de cœur. Un con. Ce taré de sale type. Qui s’est marié avec elle, dans ma mairie. Vous imaginez le truc. La méchanceté de ce type. Dans ma mairie. Il lui a fait signer les papiers qui l’engageaient, la cadenassaient à lui. Dans ma mairie. Quand j’y repense. Vraiment faut le faire. J’aurais dû lui foutre mon poing sur la gueule… Putain, j’ai pas osé. Je pensais à ma réélection… Qu’est-ce qu’une réélection quand on peut vivre de si beaux moments en compagnie d’une si merveilleuse créature ?

Je n’osai lui dire pas grand-chose, bien que je le pense, évidemment.

Ce concurrent, je préférai le laisser ignorant mes réelles ambitions, ma profonde envie de serrer dans mes bras, comme autrefois, celle qu’il me décrivait, avec tendresse et bienveillance.

Il me dit :

— Je vous souhaite un bon séjour parmi nous, Monsieur Pekno, et de profiter de notre beau village, des magnifiques paysages, de la mer, de la campagne, pensez aux balades. À l’office du tourisme, ils pourront vous renseigner sur les activités. Sur les possibilités de logements. Des locations. Un hébergement à l’année. Pensez-y. Le marché, aller donc y faire un tour. C’est le mercredi matin. Si vous aimez les légumes et le poisson frais. Bonjour à votre cousine.

Il se reprit.

— Non, Monsieur Pekno. Il ne faut pas que… Je la verrai prochainement, de toute manière. Je pense.

Celui-ci recula, en apercevant de futurs électeurs, qui semblaient demander après lui, plus loin dans cette rue à sens unique.

— Et bien, Monsieur Pekno, je vais devoir vous laisser découvrir, par vous-même, toutes les merveilles de notre belle commune. Le devoir m’appelle. Je dois m’assurer du bien-être de mes sympathiques villageois. C’est mon boulot. Une écharpe de maire, ça n’est pas juste fait pour les photos. On a des obligations avec. Des obligations, que dis-je, servir mes concitoyens, moi, je vois ça comme un plaisir. Le plaisir de… les servir. Ils m’ont élu pour ça. Et je les en remercie. Au service des autres ! Tiens, c’est un bon slogan de campagne, ça. Non ? Vous ne trouvez pas, Monsieur Pekno ?

— Ça peut. Ça peut.

— Merci Monsieur Pekno. Je vous souhaite une agréable journée.

Je le saluai, puis attendis qu’il s’éloigne de la maison en pierres, l’homme politique en train de distribuer des tracts à deux passantes, des dames très maquillées, traînant des cabas, et qui semblaient ouvertes aux propositions masculines, de toutes sortes.

Ernest Rey m’apparut comme un rival moins sérieux que pensé au premier abord. Il me prouva, d’une manière particulière, ses sentiments pour Loane. Mais il sembla éprouver une autre attirance, une vers la chose politique, le pouvoir, diriger, dicter sa loi. Tyranniser ? À s’en méfier, tout de même.

Je m’approchai du haut portail symbolisant une entrée barrée. Je cherchai une sonnette. N’en trouvai pas. Si, j’en aperçus une, mais vissée à la maison. Pour l’actionner, il fallait d’abord pouvoir accéder au jardin.

La lumière dans le logement indiquait une présence. Loane ou son mari. En tous cas, une présence qui restait cloîtrée, et qui m’ignorait.

En me retournant, je m’écorchai un coude. Je m’en pris aux enroulements griffant, les coupables de la blessure saignante, sans qu’ils réagissent. Je ne pouvais attendre autre chose d’eux.

Une sonnerie téléphonique retentissant, je m’empressai de sortir mon mobile. Ma marraine. Encore prématuré de décrocher. Aucune retrouvaille à lui annoncer.

Je laissai, donc, l’appareil redevenir muet.

Ensuite, je me le collai à l’oreille droite et écoutai le message laissé sur la boîte vocale.

— Momo ? C’est moi ! Oui, encore moi. Mais tu me rappelles pas, aussi. Allô ? Momo ? C’est moi. Mais… que… Ça n’a pas décroché. C’est la messagerie. Fais chier ! M’emmerde ta messagerie. J’aime pas parler là-dessus. Bon, je raccroche, je te rappellerai… Je raccroche… Ah ! Ça y est. Momo ? C’est toi ? Tu vas bien ? Ça se passe comment ?… ? Ah oui. Il fallait que je te raconte un truc… Les gonzesses comme elle… Quand je disais qu’il fallait t’en méfier. Ils en parlent dans un magazine. Un article très sérieux. Il confirme mon idée. Je vais te présenter à une de mes négresses. Je saurais la convaincre de te faire un gosse. Elle va m’écouter, tu peux me croire. Tu n’auras rien à faire. Ou… À peine. Juste y planter ta petite graine. Le reste, je m’en charge. Tu n’as vraiment pas à t’inquiéter pas pour ça. Des bricoles. Et il y a de place à l’appartement. Tu m’écoutes ?… Momo ? Mais… Mais c’est encore cette connerie de messagerie. Fais chier ! M’emmerde… C’est une blague ou quoi ? Ta messagerie, vraiment, elle commence à me casser les…

Je rangeai mon mobile.

Et si je devais l’écouter, ma marraine, et laisser tomber Loane ? Pour de bon. Une femme mariée. Quelle idée saugrenue de vouloir la reconquérir ? L’affaire pliée. Depuis longtemps.

Les images d’un passé radieux en sa si plaisante compagnie se brouillèrent en moi. Les rares disputes, parmi lesquelles la fatale, qui ombragea notre histoire d’amour, prit davantage de place.

En y repensant, se mêlèrent des éléments d’une couverture dernièrement réalisée. Loane, dans mes souvenirs, se transforma en abominable ogresse. Prête à m’ingurgiter. Avec sa gigantesque triple bouche, aux sabres remplaçant les dents, m’assénant d’une volée d’injures enfantines. Une putain d’hystérique. Une folle. Quel con de venir ici. Pour ça. Cette arriérée mentale. Et qui me trompa… Non, qui ne me trompa pas. Une espèce de… Une…

Une très jolie jeune femme ! C’est qui ? Gaulée, la meuf !

La splendide voisine des Trichard, surgissant. Sexy. Bandante, oui.

Je me retins de tout sentiment d’attraction échappé, en me rappelant à mon créneau de toujours, Loane.

Je ne pouvais me résoudre à l’abandonner, une autre fois. Je me demandais ce qu’elle attendait pour venir me rejoindre, alors que sa stupide voisine me draguait, si, ça voyait quand elle levait son derrière musclé en ramassant sa provocante lingerie de dévergondée, tout en se léchant les lèvres comme invitant au partage charnel, montrant une souplesse de sportive au corps défini gracieusement.

Je crus apercevoir une paire de jumelles, à travers la baie vitrée. Un observateur. Certainement pas Loane, ça. Le mari ?… Quel taré !

Cette nouvelle information m’arrangeait, finalement. Moins de remous intérieurs, chassés les remords. Je ressentais la culpabilité de casser le couple s’évaporer, ce faux couple. De Paris, je venais leur rendre service. Voilà comment je qualifiais, plutôt, les raisons de ma venue en ces terres. D’où je voulais revenir les mains pleines, pleines de ma belle. Mon premier amour. Elle, mariée, sous la contrainte, forcément, ou alors, dans un état second lors d’une soirée de beuverie. Comme ça arrivait fréquemment dans cette région, estimais-je.

Les rares ouvertures entre les fils barbelés ne permettaient en rien d’avertir de ma présence. Contrairement au système de surveillance que je détectai. Des caméras enfouies, ici dans le creux d’un arbre, là sous une ardoise, dont le mouvement allié à un reflet rougeâtre m’alerta. Et on ne m’ouvrait pas. Pour qui me prenait-on ? Vraiment !…

Doué à l’exercice, de par mon activité professionnelle, de mon bagage, je sortis de quoi relayer mon message.

Je dessinai une suite de schémas auxquels j’ajoutai des bulles et du texte. Aux yeux électroniques, je décrivis, ainsi, mon inventée situation, bloqué là, couchant dans la rue, demandant seulement qu’on me laisse retrouver ma famille, ma seule famille, ma cousine éloignée, Loane. Le coup de l’orphelin paraissant apitoyer, ces derniers temps, je le replaçai au milieu d’une tragique histoire. Une sorte de bande dessinée à cinq planches esquissées.

Le portail resta clos. Désespérément clos.

De dessous ma valise, en la basculant sur le côté droit, se déplia un tube rigide en métal, coudé. Je m’en étonnai. Un deuxième, identique, apparut derrière moi. Je me trouvais entre les deux. Mais deux quoi ? Je m’interrogeai sans les craindre. Un faisceau électrique les joignit. Et, par conséquent, me toucha à une jambe. Pris d’un tremblement, avant que la sensation d’un gong me frappant à la tête survienne.

Cette désagréable sensation de déranger me prit aux tripes. Je devais l’extraire. Le taré de mari, il se trouvait de l’autre côté du portail. Et il habitait avec celle que je recherchais.

Je comprenais ma difficulté à situer son logement. Son mari se l’accaparait. Plus que ça, il la tenait. En laisse, Loane.

Comment put-elle en arriver là ?

Elle ne devait pas s’en rendre compte. Je ne voyais d’autres explications. Au fil du temps, le perturbé ajouta, régulièrement, discrètement, sournoisement, des couches protectrices, surprotectrices, une véritable camisole autour d’elle, une corde nouée qui l’encerclait et qu’il serrait, continuait de serrer, avec une admirable efficacité.

Il la tenait. Ferrée en premier lieu puis serrée. Prise. Sous emprise. Mariée. Avec un con. Un con de taré de sale type.

Je me pensais, après le choc électrique, autre qu’un vilain rôdeur, un sauveur. Loane, ma Loane, ma nana, je devais la sauver.

Autour du pâté de maisons, je cherchai la faille. Dans le jardin d’à côté, il me sembla qu’une possibilité d’accéder à la demeure sécurisée se dégage.

Aucune autre voie en perspective, je m’y résolus. Contraint, forcé, je me présentai à la jolie voisine, qui s’appelait Flavie. Lorsqu’elle m’interrogea sur les raisons de ma venue, chez elle, évidemment je répondis sans lui dire la vérité.

La voisine de Loane me parla de ses cours de fitness, proposés, depuis peu, aux villageois. Et aux visiteurs, même aux vacanciers, si ça les intéressait. Je trouvai un moyen d’y échapper, en indiquant un planning chargé et un séjour court. Flavie insista. Voulant éviter de la contrarier, je me montrai patient et l’écoutai décrire mon physique d’artiste passant du temps à dessiner assis derrière un bureau, sans oublier de mentionner l’entièreté de mes zones de faiblesse, de mollesse.

À un moment de gêne passager suivirent des rires, partagés, sincères.

Finalement, j’adhérais plutôt à cette forme d’humour spontané. Elle collait à sa personnalité d’une franchise avouée et démontrée. Ces premières minutes entre elle et moi se passèrent bien. De quoi envisager la seconde étape avec sérénité.

Si je voulais atteindre une brèche, la seule brèche selon loin, je devais escalader son garage. Comment lui demander ça ? Surtout comment lui demander ça sans qu’elle se braque ? Sans qu’elle prévienne les flics ? Sans que j’en passe par la case prison et qu’à cause d’un problème informatique lié à une administration française une fois encore poussive, me retrouve dans un avion, parmi des réfugiés, vers une direction inconnue, un aller sans retour. Et très loin, très très loin, très très très loin, encore plus loin de Loane.

Il me fallait me montrer convaincant. Éviter de trébucher. User de méthodes qu’habituellement j’excluais.

Flavie se montrait tactile, causant un évident rapprochement. En profiter ? En quelque sorte la manipuler ? L’amener à croire que quelque chose puisse exister entre nous ?

D’une main glissante, elle frôla mon fessier, en m’invitant à entrer chez elle. Je me tendis, me raidis. Jusqu’à mon bas ventre.

Mais je ne pouvais pas trahir ma belle, ma princesse à délivrer. Je me voulais fidèle à mes principes.

Entrer chez elle ? Entrer en elle ? Chez la voisine de cette voisine que je le désirais. Ne pas tout mélanger. Pas à cette voisine de la voisine de la voisine. Je m’emmêlais. Pris dans un étau, que je sentais se refermer sur moi. Avec, pour l’actionner, la séduisante voisine qui sentait une odeur différente de la sueur.

Autant qu’Adolphe Trichard tenait sa femme, Flavie me tenait.

Fallait-il que j’en passe par là ? me demandais-je, m’inquiétais-je. Coucher avec cette superbe rousse au corps sculpté ? Le prix à payer. Bon. Si je dois en passer par là. Pour le bien de Loane, allons-y… Non, elle va tout lui raconter. C’est sûr. Mauvaise idée. À moins que… Rien.

Je trouvais drôle, presque charmant, de voir la coache sportive prendre des poses régulières, comme si elle attendait qu’un photographe la shoote. Je me gardais de le lui souligner. Toujours cette posture délicate à maintenir de celui qui s’efforçait de paraître quelqu’un de confiance, quelqu’un qu’on voulait aider, et sans contrepartie.

Quelle surprise de l’entendre, la voisine, me proposer de me montrer sa chatte. L’animal ? Hein ? crus-je bon de lui demander de préciser, en attente de confirmation.

Elle parlait d’une chatte, de sa chatte, une belle chatte, située où ? Entre ses cuisses…

Entre ses cuisses ?

Je tournai rapidement ma valise, plusieurs fois, et sur elle-même, afin de détourner l’attention. Mais elle répéta la proposition, en affichant un sourire d’actrice recevant un prix. Quasi identique à celui d’une boxeuse après un combat remporté moins les arcades sourcilières explosées et le nez pété. Comme ça, sans avertissement préalable, qu’elle me le balança, à ma petite tronche d’artiste parisien, d’hypersensible confirmé. D’illustrateur en proie aux incertitudes sur ce que mon prochain déménagement, un autre, prévoyait d’engager dans mon quotidien.

En interprétant ses paroles, je comprenais que Flavie, sans raison définie, se disait prête à vouloir baisser sa culotte, me montrer ce qu’elle y cachait. Une chatte ? Quoi d’autre ?

Je devins curieux. Tout en m’épongeant un front dégoulinant. Psychologiquement secoué. Éprouvé, mais intrigué.

Remettant à plus tard ma quête, je finis par répondre favorablement à la proposition, indécente ou pas, peu importe.

Au lieu de le retirer, elle me déçut en soulevant d’un doigt son mini-short, les jambes s’écartant ensemble. Dans un miaulement de félin de compagnie, comme elle s’amusait des hommes depuis son arrivée au village, elle me laissa regarder la chatte, sa chatte, sa belle chatte. Un tatouage !

Juste un tatouage… grognais-je d’exaspération. Au moins autant que le mari de Loane, appris-je de la bouche aux lèvres léchées de la coache farceuse.

Sa meilleure blague du mois, selon elle, me laissa dans un état de frustration. Je me vis reléguer au même rang que tous ceux qui en passèrent par là.

Bien que ça me titille, je parvins à me retenir de la traiter d’allumeuse. Plutôt je feignis de prendre mal la supercherie. Je la voulais culpabilisant. Elle ricana, plaça ma susceptibilité parmi des défauts à corriger si je prétendais devenir un réel gentleman. En plus de suivre ses cours de fitness, bien sûr, la base.

Dès sa mise à découvert, je l’aperçus. Loane !… Et moi, en guise de réaction : soudain vacillant, tremblant, chancelant, m’évanouissant.

Flavie dut me rattraper dans ses bras musclés.

— On va pas le laisser comme ça, entendis-je de Loane.

— C’est à cause de toi ! l’accusa sa voisine. Toi et ton mari. Le pauvre, il est choqué. Je suis douée pour diagnostiquer ces trucs-là, moi. Ça fait partie de mon métier. Je dois reconstruire les corps, mais aussi, bien entendu, les âmes. Les bleus à l’âme. Lui, il a vraiment besoin qu’on s’occupe de lui.

Mon ex, remarquais-je, ne goûtait guère la manière de Flavie de la juger responsable de mon état mental, tout en me réconfortant.

— Je crois qu’on va te laisser, indiqua Flavie à Loane, en me couvrant de douces paroles.

Et moi, pris son emprise, comme hypnotisé.

Loane traita sa voisine de profiteuse. Celle-ci la renvoya dans les cordes, entourées de fils barbelés.

Loane, qui disait ne pas comprendre tout ce qu’elle racontait, s’éloigna, rejoignit une robinetterie cimentée sur un mur extérieur. Elle dévissa, elle déroula un tuyau d’arrosage, de ses doigts serra une gâchette, me visa, m’atteignit.

Un discours qui dégageait la voisine de mes envies sexuelles, je lui reprochais ses manières. Envers un étranger, un peu paumé. Un chevalier en quête d’une princesse à reconquérir.

Mes muscles sursautaient lorsque je me rapprochai de Loane. De la nervosité, m’excusai-je, en évitant d’incendier son mari et ses méthodes guerrières. Preuve d’une courtoisie qu’elle releva, avec sourire et étonnement.

Il fallait dire que, dans le quartier, il devenait de rare qu’un visiteur l’aborde de la sorte, la femme d’Adolphe Trichard, raconta-t-elle.

Son seul costume à disposition, ici, celui d’une dame mariée à un enfant du pays, fils de paysans, eux-mêmes petits-fils de paysans, des arrières-petits enfants de colonisateurs devenus paysans.

Nous passâmes nos bras entre les barbelés et nos mains se rejoignirent, se serrèrent l’une contre l’autre.

Obligés de garder une distance raisonnable, afin de contourner les piégeux obstacles semés autour de nous, nos échanges de regards valaient de grands discours.

— J’ai cru te perdre, finit-elle par avouer.

— Je suis là. Je suis revenu. Tout va bien aller maintenant pour toi.

Elle jugea judicieux de préciser sa pensée, sentant poindre un fâcheux malentendu. Surtout voulant préserver son mariage.

— Je voulais dire, tout à l’heure. Pas il y a…

— D’accord.

— Pour être gynéco ? C’est bien, ça.

— Et oui.

— Et oui. C’est bien ça. Gynéco… Et… Et donc, Loane, tu vas voir des… Enfin, toute la journée… Tu vois ce que je veux dire… Des pénis et des vagins…

— Des pénis et des vagins ? Ah ! C’est pour ça que tu venu, Momo ? Pour me parler de ça ? Oh ben merde, alors ? Mais où est passé le charmant jeune homme, le romantique que j’ai connu sur les quais parisiens ? Un obsédé sexuel, Momo Pekno ? C’est toi, ça, maintenant ? Dis-moi que je me trompe, s’il te plaît, dis-le-moi.

— Je suis illustrateur.

— Ah oui, c’est vrai que tu dessinais…

— Et oui.

— Ah oui…

— Et oui.

— C’est bien ça.

— C’est bien ça…

— Et tu dessines quoi ? À part des pénis et des vagins, je veux dire.

— …

Devant le portail fermé, alors qu’elle devait me l’ouvrir sans tarder. Toujours là. Fidèle à ma parole. Discrètement, je retournai dans le jardin voisin, cette fois, sans demander l’autorisation de la locataire.

D’arbre en arbre, j’atteignis la toiture d’un garage. Tout près de ce qui ressemblait à un passage entre les lianes piquantes.

Du mieux que je pus, en m’aidant d’une branche cassée, j’écartai les barbelés en mesure de me déchirer la peau lors du saut, à venir, dans un tas de gazon en train d’essayer de sécher.

Je chus plus que réellement bondis. Faute à une brusque bourrasque de vent de forte intensité. Mais j’arrivai où je le désirais. Un testicule, le gauche, reposant à moins de deux centimètres et demi d’une tranchante lame dissimulée sous l’herbe coupée.

Loane arriva avant que mon index droit appuie sur une sonnette.

Elle me défendit de continuer mon geste, me plaqua le bras contre une hanche.

— Oh ! Momo ? Ça t’a pas suffi, tout à l’heure ! me gronda-t-elle. Tu touches à ça, tu grilles sur place, mon pauvre. J’ai plus de place dans le congélateur, moi. Les voisins, ils commencent à se poser des questions, avec leurs animaux de compagnie qui disparaissent sans laisser de trace. Mon mari pense qu’un jour on pourrait se les cuisiner. Tu sais comment on cuisine le chien, toi ?

— …

— C’est vrai que toi tu es illustrateur, pas cuisinier.

— …

— Je rigole ! On les enterre. Mais, bon, tu n’es pas venu de Paris pour parler de ça. Tu es en pleine forme, toi.

Loane me dévisagea, de haut en bas. Elle ajouta :

— Quoique… Un petit remontant, je t’ai promis un petit remontant. Mais avant…

— Oui, avant, j’avais quelque chose à te dire…

Je signifiai devoir lui apprendre quelque chose, cela concernait la raison de ma venue chez elle, les signes du destin, pourquoi je voulus la retrouver des mois après notre rupture, que je qualifiais de grossière erreur. Prenant les torts, tous, sur moi. Cette infidélité, impardonnable.

Je pleurnichai.

— On verra ça après, repoussa-t-elle, soumise à la crainte que son mari débarque.

Des bruits de pas affolèrent Loane.

— Il arrive, putain, on dit quoi, alors ? Qu’est-ce qui te paraît le plus crédible, Momo, dis-moi. Dépêche ! Putain, Merde ! Déconne pas !

Je lui caressai le dos, à hauteur d’une omoplate. Sentis une légère excitation monter en moi.

— Calme-toi ! Moi, il ne me fait pas peur.

— Il devrait. Tu le connais pas, ça se voit.

Adolphe Trichard se présenta.

— Comment il est entré ? demanda-t-il, de suite, à Loane, en parlant de moi.

— C’est-à-dire que… la clef du portail… je… Excuse-moi, j’aurais dû te demander la permission, bafouilla-t-elle, presque en s’agenouillant. Excuse-moi, je ne recommencerai plus, c’est promis, mon mari.

Percevant mon regard désapprobateur, à l’écoute de ses paroles de soumission, Adolphe changea de ton :

— Me demander la permission ? De quoi ? Tu es libre ? Tu es ma femme. Mais tu es libre. Encore heureux. Hein ?

Il se tourna vers moi.

— Hein ?

— Encore heureux, acquiesçai-je.

Adolphe me demanda :

— T’es qui ?

Loane intervint.

— C’est un vacancier…

— Un cousin, je suis un cousin, éloigné, depuis longtemps, depuis trop longtemps éloigné de Loane. On s’est connu à P…

— Oui, un cousin ! C’est un cousin, et il est en vacances. Il habite dans un petit patelin. Il n’habite pas à Paris.

— Ah non ?…

— Non, il n’habite pas à Paris.

— Non, elle a raison. Écoutez-là, Loane a toujours raison. C’est pour ça que je l’aime… Que je l’aime, en toute amitié. Comme une cousine, éloignée. Voilà, on y est. Vous êtes le mari ?

Ensuite, Loane lui narra, en montrant qu’elle aussi possédait un imaginaire fourni, les mésaventures de son récent cousin, moi en l’occurrence, indiquant plusieurs changements d’identité forcés.

Mon passé d’espion, aujourd’hui relevé de ses fonctions, donc en possibilité de rendre visite à ma famille, et sans couverture. Finalement, tout ce qui pouvait expliquer qu’elle ne lui parle jamais de moi. Le mari jaloux sembla plus ou moins convaincu par la soupe qu’elle lui servait.

Je pris des notes, avec attention, des fois que je dus la resservir.

Un peu plus tard, je me laissai diriger jusqu’à une étagère, positionnée près d’un réservoir conséquent d’armes, blanches et à feu.

— Qu’ils essaient… qu’ils essaient, maugréait Adolphe Trichard.

— Qui ?

— Eux.

— Bon.

— Qui d’autres ?

— …

Face à une débutante collection de jeux vidéos, je me sentais plus à mon aise.

— Tu reposes ça ! me sermonna le mari. On touche avec les yeux. La dernière fois que quelqu’un…

Il lança un regard sévère en direction de Loane puis il continua :

— Elle sait très bien de quoi je veux parler, la gynéco. Ta cousine.

— Moi, je sais pas. Dites voir !

Adolphe recula, le ton employé l’amena à attraper un sabre japonais, qu’il me plaça sous les parties.

Décidément…

Le mari me prévint, moi le supposé cousin :

— On vient pas faire sa loi chez moi ! Le dernier qui s’y est essayé, dans le jardin qu’on l’a enterré. Avec tous les autres. Il reste de la place, derrière les plantations. Si tu vois ce que je veux dire ?

J’attendis que Loane, dans un grand éclat de rire, m’annonce qu’il plaisantait. Elle s’en garda. Elle me proposa de rester dîner.

Le mari remit l’arme blanche à sa place. Dans une accolade, me dit :

— C’est que tu commences à m’être sympathique, toi. Hein qu’on va pas se laisser piquer notre boulot par ces sauvages ? On leur demande rien, nous. On se démerde très bien sans eux. Qu’ils restent chez eux. Le pire, je crois, ce sont les parigots. Hein, cousin, ils sont… Pouah ! Eux, mais alors eux, je les déteste. À un point… Avec leurs manières de… Vraiment… Mais comment font-ils pour toujours se balader avec un balai dans le cul ? C’est quand même pas super commode, dans la vie de tous les jours, ça. Franchement, il ferait mieux de se le retirer, au lieu de se la péter. Et de nous donner des leçons. Des cons de donneurs de leçons, ces cons de parigots ! Ils veulent nous commander, eux. Ils veulent nous diriger, ces parigots… Ils ne rentreront pas chez nous. Pour faire leur loi. Tout est prévu. Je peux t’assurer, le cousin, que si j’apprends qu’un parigot s’est introduit sous mon toit… Et ben… et ben, j’aime autant te dire que j’aimerais vraiment pas être à sa place… Il aura beau me supplier… Il avait qu’à pas venir nous emmerder, chez nous… Alors ? Tu sais ce que je lui ferai ?… Le parigot…

Je pâlissais, me prenais des coups de coude dans les côtes flottantes à chaque fin de phrases du narrateur remonté, n’osait plus parler, craignant la maladresse révélant ma véritable identité.

Je semblai des plus mal tombé. Moi, le parisien aux côtés de celui qui détestait le plus, au monde, les parisiens. Dans son coin, Loane compatissait.

Une sonnerie en provenance de mon bagage et je m’éloignai.

Je m’enfermai dans une vaste salle de bain et décrochai mon téléphone portable.

— C’est toi ? demanda ma marraine l’interlocutrice.

— Qui veux-tu que ça soit d’autre ?

— Tu pourrais décrocher quand je t’appelle !

— C’est ce que je viens de faire, non. Tu voulais quoi ?

— Ta gonzesse veut des gosses ?

Je m’assis sur le rebord d’une large et brillante baignoire couleur camouflage.

— Tu es encore là ? Tu vas bien ? Ils t’emmerdent pas, au moins ? Sinon… Je sors mon carnet d’adresses. Je leur envoie quelqu’un à ceux qui t’embêtent. Il leur pète leurs gueules. Juste un coup de fil à passer, tu sais. Pour moi, il y en a qui peuvent faire beaucoup. Après, tes problèmes, ils sont réglés, ceux qui t’emmerdent, ils deviennent inoffensifs. Très efficace, comme méthode, crois-moi.

— Je sais, marraine, je sais.

Une personne frappa à la porte.

— Momo ? Tout va bien ? interrogea Loane, dans une voix inquiète.

— Je suis au téléphone avec ma marraine !

— Tu lui passeras le bonjour !

Je collai la partie inférieure du mobile à ma bouche.

— Tu as entendu ? Loane te passe le bonjour. Elle est toujours aussi sympa. Tu vois, je ne me suis pas trompé sur elle.

Haussant la voix, je poursuivis l’éloge, en pensant que la future gynécologue m’écoutait dans le couloir.

— C’est juste une gonzesse, nuança Bérengère de son appartement à Paris. Rien de plus, rien de moins.

— Elle est sympa.

— Ça va peut-être te choquer de l’apprendre, mais ça lui arrive aussi de faire caca.

— …

— Et de pétarader. Elle doit envoyer des gros prouts de princesses, comme toutes les gonzesses, ta Loane d’amour.

— Ah oui, ça…

— Oui ?

— Elle est sympa. Je te disais : Elle est sympa.

— Elle ressemble à quoi, maintenant ?

— Elle est sympa.

— Mais physiquement, elle est comment ?

— Elle est sympa.

J'ouvris soudainement la porte de la salle de bain et m’aperçus que le couloir s’avérait vide.

Je repris la conversation téléphonique.

— Tu voulais savoir quoi ?

— Je me demandais, un truc que toutes mes amies parisiennes se demandent, elle a des enfants ?

— Non.

— Elle veut des enfants ?

— …

— Allô ? Momo ?… Momo ? Eh ! Oh ! Ça y est, ça recommence… pourtant, j’ai touché à rien, moi. Cette connerie de smartphone. Il a encore basculé sur la connerie de messagerie. Putain, je leur avais bien dit, moi, je veux un téléphone, je n’en veux pas de votre connerie de smartphone. Allô ? Momo ?… Tu es là ? Ça n’est pas ta messagerie, je t’ai entendu. Ah ! Tu me fais encore une blague. Petit chenapan, va !…

— Marraine ?

— Oui ?

— La situation est plus compliquée que prévu, je dois te l’avouer. J’aurai peut-être besoin d’un conseil.

— Tu veux que je t’envoie quelqu’un ? Tu te trouves où ? Donne-moi juste une adresse. Il vient. Il lui pète les jambes. Et le reste. C’est réglé !

— Non, c’est que… Loane est mariée. Je crains devoir rentrer sans elle. C’était une mauvaise idée de venir ici.

— Tu vas abandonner ? Ah non. Chez nous, on n’abandonne pas. J’appelle quelqu’un pour toi. Il élimine le problème. Tu reviens avec ta belle…

— Ta belle, tu as dit ? Tu peux me répéter ça ?

— Ta gonzesse, se corrigea Bérengère. Tu vois de qui je veux parler. Mais tu es où ? Tu es avec elle ? Tu es chez elle ?

Plusieurs fois encore, je dus la retenir de contacter ce quelqu’un, un tueur à gages de sa connaissance avec qui elle couchait régulièrement, un de ses plans Q.

Je sursautai lorsque Loane m’annonça, à travers la porte, le repas prêt, plus qu’à mettre les pieds sous la table.

Avant que Bérengère parte en monologue, je raccrochai.

Je rejoignis Loane et son mari dans la salle à manger, décorée selon des goûts très militaires. Jusque dans la couleur des serviettes en papier pliées en forme de soldats, des premières lignes repoussant l’envahisseur.

Loane posa, sur la table à manger, le premier plat, une spécialité dont sa famille détenait des secrets de fabrication enviés.

En dehors de quelques accrochages contrôlés, le reste du repas se déroula plutôt sereinement.

Encore, je désirais Loane.

Je me laissais guider dans la demeure par le mari. Pièce après pièce, décrites à la manière d’un agent immobilier.

Il se glorifiait de trouvailles anti-nuisibles. Il en gardait secrètes, sa confiance en moi restant à acquérir.

Avec excès ou réalisme, difficile à définir, il décrivait des morts lentes, des agonies, des tortures. Des scènes de films d’horreur.

Adolphe Trichard me rassura, m’assurant que ma filiation me préservait de goûter à sa fureur.

Comment mon premier amour pouvait vivre avec un tel énergumène ? m’interrogeais-je.

L’aimer ? Je repoussais l’idée de mon esprit. Ils cohabitaient.

Loane ne l’aimait pas. Elle aimait le mariage. Elle aimait qu’on la considère en femme mariée.

Encore à me questionner sur nous deux, malgré la situation.

Loane, une nana pour moi ? Oui, Loane, une nana pour moi. Une femme pour moi. Ma femme. La femme de ma vie. Une évidence, à présent.

Ces kilomètres parcourus pour la retrouver, pour la reconquérir. Pour la demander en mariage.

Monsieur Adolphe Trichard entre nous. Un obstacle. Et alors ? Un coup de fil à ma marraine, un coup de fil de ma marraine : Plus d’obstacle.

Un genou au sol. Une alliance proposée. Une demande en mariage. Une hésitation.

De la compréhension. Moi accordant à Loane un délai de réflexion.

Printemps 2020

Confinés dans notre nouveau logement. Loane et moi. De nouveau ensemble. Dans la chambre. Par terre. Des bagues aux doigts depuis moins d’un mois.

Loane en attente. Moi en approche.

Je plaçai mes mains sur ses hanches, offertes à mes désirs.

Je la caressai.

En dehors du monde, au septième ciel, nous deux, hors d’atteinte des malheurs annoncés par les actualités.

Enfermés. Le matin, l’après-midi, le soir, la nuit. Le temps de nos congés, confinés.

Nous nous aimions. Nous profitions de nos corps, de nos retrouvailles, de moments d’intimité, de nous redécouvrir.

Nous nous essayions à de nouvelles expériences. Tant de pratiques dont nous dissertâmes en tant qu’adolescents et que nous ignorions en tant qu’adultes.

Réunis, pour longtemps, espérions-nous. Moi l’illustrateur reconnu de ses pairs, elle, la gynécologue débutante.

Nous alternions, nous nous documentions et puis passions à la pratique. Dans notre nid douillet.

Contre la morosité ambiante, nous prônions la sexualité. Nos corps, un terrain de jeu. Un lieu de fête, de joie.

L’un dans l’autre, une entité. Un couple marié.