Le salon d’une grande villa. Ninon est avec sa petite sœur Maud et et sa mère Jocelyne qui mâche un chewing-gum.

Maud. — Ne t’inquiète pas. Tu finiras pas te trouver un mec bien.

Ninon. — Mais… Oui. Enfin, c’est que… J’ai déjà…

Maud. — Ah oui ? C'est qui ?

Ninon. — …

Jocelyne. — Quand est-ce que tu me le présenteras ?

Ninon. — C’est à dire que…

Jocelyne. — Il ressemble à quoi, ce beau jeune homme ?

Ninon. — Maman !…

Maud. — Un bel athlète ?… Avec une longue perche !

Jocelyne rigole.

Ninon. — J’ai quelque chose à faire, moi.

Maud. — Un beau chef d’orchestre ?… Avec une petite baguette !

Jocelyne rigole.

Ninon. — J’ai quelque chose à faire, moi.

Dans un café à la décoration rustique.

Charles-Henri et Théo discutent.

Théo. — Et sa baraque… Sa demeure… Son manoir…

Charles-Henri. — Oui, je sais. C’est à sa famille.

Théo. — Et sa voiture… La bagnole rouge de la duchesse… La duchesse… Tu l’as sautée ? Charles-Henri a sauté la duchesse !

Ninon entre dans le café.

Théo. — Je les connais, ces gonzesses. Elles font genre de ne pas y toucher mais ce sont les plus grosses cochonnes. Ouais, je les connais, ces gonzesses-là. De grosses cochonnes !

Théo imite le cri d'un cochon.

Ninon rejoint, au comptoir, Charles-Henri et Théo.

Ninon. — Vous parliez de quoi ?

Charles-Henri. — De rien.

Ninon. — Vous parliez de moi ?

Charles-Henri. — De rien.

Ninon se tourne vers Théo, voulant connaître sa version.

Théo. — De rien.

Ninon. — Deux machos !

Ninon sourit à Charles-Henri.

Ninon. — Je suis prête.

Charles-Henri. — Prête ? Pour ?

Ninon. — Je t'attends.

Les toilettes du café.

Ninon, un genoux au sol, lève les yeux vers Charles-Henri qui tient une bague dans sa main droite et qui ne semble pas savoir quoi en faire.

Ninon. — Dès que je t’ai vu, j’ai su que c’était toi. Mon âme sœur…

Une personne frappe à la porte des toilettes, qui est couverte de graffitis : Il s’agit de Théo.

Théo. — Vous êtes là ?

Ninon se lève et colle sa bouche à la porte.

Ninon. — Oui, on est là.

Théo. — Vous faites quoi ?

Ninon. — Une demande en mariage !

Ninon attend une réponse de Théo, de derrière la porte et colle son oreille.

Ninon. — Tu es toujours là ?

Théo. — Oui et je ne suis pas seul. Il y a une longue queue qui attend. Dépêchez-vous ! S’il vous plaît.

Ninon fait quelques vocalises.

Ninon. — Je reprends. Mon âme sœur. Le seul qui peut combler mon cœur. Le seul qui peut faire mon bonheur. Dès que je t’ai vu, j’ai su…

Théo. — Ça va être encore long ?

Ninon colle sa bouche à la porte.

Ninon. — Pas trop. Mais si tu m’interromps à chaque fois… Un peu de patience.

Ninon refait quelques vocalises et se repeigne.

Ninon. — Vraiment… C’est un moment important. Pas tous les jours qu’on fait une demande en mariage. Encore moins, à l’endroit de notre première nuit d’amour. Je reprends. Je disais : Dès que je t’ai vu, j’ai su. J’ai su que c’était toi l’homme de ma vie. Donc, par conséquent, c’est pourquoi… En conséquence de quoi… je te le demande, mon chéri : Veux-tu m’épouser ?

Charles-Henri paraît hésitant.

Ninon. — Dis oui ! Dis oui ! Dis oui !

Elle pose sa main sur la cuisse de Charles-Henri.

Ninon. — Dis oui ! Dis oui ! Dis oui !

Charles-Henri retire sa main.

Ninon. — Et tu sais, chéri, les terres… Les terres, tu les auras. Si on se marie, tu les auras. Le ruisseau sera à toi. Ton ruisseau où tu aimes tant aller. Le ruisseau, rien qu'à toi.

Charles-Henri regarde la bague dans ses mains, tandis que Ninon se met à genoux.

Ninon. — Et pour la voiture… Tu pourras conduire la voiture rouge. La sportive…

Charles-Henri. — La sportive…

Ninon. — Elle sera à toi. Si on se marie.

Charles-Henri devient songeur.

Rêverie.

Accompagné de quatre jeunes femmes taille mannequin en bikini sexy, Charles-Henri conduit une décapotable rouge luxueuse, à petite allure.

Charles-Henri. — La sportive…

La décapotable longe une plage.

Les quatre jeunes femmes. — Dis oui ! Dis oui ! Dis oui !

Quelques jours plus tard. Dans la salle du même café.

Charles-Henri. — Elle est sexy. Quand elle veut, tu ne trouves pas ?

Esther. — La duchesse ?

Charles-Henri. — Oui, la duchesse.

Esther. — Je t’avais conseillé de ne pas t'embarquer là-dedans. Tu ne m’as pas écouté. Je ne peux plus rien pour toi. Désolée.

Charles-Henri. — Tout de manière, c’est trop tard. J’ai dit oui.

Esther. — Je sais bien.

Charles-Henri montre sa bague de fiançailles à Esther.

Charles-Henri. — Je crois que j’ai pris la bonne décision.

Esther. — Je sais bien.

Ninon tapote sur l'épaule d’Esther, qui se retourne vers elle.

Ninon. — Vous parliez de quoi ?

Charles-Henri. — De rien.

Esther. — De rien.

Ninon. — Vous parliez de moi ?

Charles-Henri. — De rien.

Esther. — De rien.

Ninon s’adresse à Charles-Henri.

Ninon. — Tu viens ?

Charles-Henri. — J’arrive !



J – 1 AN


Les vêtements de Ninon et de Charles-Henri sont étendus parmi les hautes herbes de la végétation qui entourent le ruisseau.

De derrière de longues herbes ils apparaissent allongés côte à côte, près d’une nappe sur laquelle il y a de quoi faire un pique-nique.

Ninon. — Le traiteur. J'en connais un très bien. Cuisine traditionnelle mais diététique. Ou sinon, cuisine italienne. Ce serait original, non ? J'en connais un très bien, tu verras. Un ami de la famille.

Charles-Henri. — Très bien.

Ninon. — Ou sinon… Non, c’est bien comme ça. Ce serait bien avec lui. Sinon, il y a… le voyage de noces. Faut y penser aussi, à celui-là. Dans les îles. Je veux aller dans les îles pour mon voyage de noces… Quelles îles ? Les Baléares. Non, les Caraïbes.

Charles-Henri. — Très bien.

Ninon. — Et le fleuriste. Parlons un peu du fleuriste… Des fleurs roses. Des fleurs bleues. Des fleurs jaunes ? Non, pas de fleurs jaunes. Des fleurs oranges ? On va dire oui. Donc, en résumé : des tapis de fleurs roses, des tapis de fleurs bleues et des tapis de fleurs oranges. Tu aimes les fleurs mauves ?

Charles-Henri. — Ça va.

Ninon. — Allons pour des tapis de fleurs mauves. Mais c'est vraiment pour te faire plaisir. Moi je n'aurais pas choisi de fleurs mauves pour le mariage mais bon, si ça peut te faire plaisir, on mettra un tapis de fleurs mauves. Près de l'entrée… Dans un coin. Tu veux vraiment des fleurs mauves pour notre mariage ? Quelles fleurs mauves ? Des roses mauves ? Un tapis de roses mauves ?

Charles-Henri. — Un tapis de roses mauves, très bien.

Ninon. — Je te garantis rien. Je vais contacter le fleuriste. Mais je doute qu'il ait des roses mauves. Tu ne seras pas trop déçu, s'il n'y a pas de tapis de roses mauves pour notre mariage.

Charles-Henri. — Sinon, tu prendras des roses… jaunes.

Ninon. — Des roses jaunes ? Certainement pas. J'ai une copine, elle avait un tapis de roses jaunes, le jour de son mariage… Elle a divorcé quinze jours plus tard. Alors, tes roses jaunes. Tu sais où tu peux te les mettre ?

Charles-Henri. — Ou des roses de couleur… J'en sais rien, moi. Prend ce que tu veux. C'est ta famille qui paie, alors… Prends ce que tu veux. Je te fais confiance.

Dans la rue. Ninon et Charles-Henri marchent, ils sont assez proches l’un de l’autre.

Charles-Henri porte un sac de courses.

Esther s'avance vers eux.

Esther. — Salut !

Charles-Henri. — Tu vas bien ?

Ninon. — Laisse-la. Allez viens !

Esther. — Paraît que vous allez vous marier.

Ninon. — Tu n'es pas invitée.

Charles-Henri. — Non, désolé.

Ninon tire Charles-Henri par le bras.

Ninon. — Viens !

Elle prend la main de Charles-Henri.

Ils remontent la rue.

Le soir même. Dans la villa.

Ninon et Charles-Henri, yeux dans les yeux.

Ninon. — Non, elle ne viendra à mon mariage.

Charles-Henri. — Notre mariage.

Ninon. — Oui, c’est pareil.

Maud intervient.

Maud. — Maman a mis de la musique.

Ninon. — On arrive.

Ils regardent Maud monter sur une chaise, danser sur une table.

Ninon observe Charles-Henri la regarder tortiller des fesses.

Ninon éteint la musique et s’adresse à Maud.

Ninon. — Tu descends de là !

Maud. — Pourquoi ?

Ninon. — …

Ninon montre un certain contentement lorsque Maud descend de la table, sous ses ordres.

Ninon. — C’est comme ça qu’il faut lui parler, à la dévergondée…

Charles-Henri. — Ta sœur ?

Ninon. — Oui, ma sœur.

Jocelyne, qui mâche un chewing-gum, rallume la musique.

Un slow se diffuse dans la pièce.

Ninon se rapproche de Charles-Henri pour continuer de critiquer les manières de sa petite sœur.

Ninon. — Elle…

Maud tend une main à Charles-Henri.

Maud. — Tu danses avec moi ?

Charles-Henri. — Euh… Si tu veux.

Ninon paraît surprise que Charles-Henri accepte la proposition.

Elle montre du mécontentement que Charles-Henri prenne la main de Maud, tout sourire.

Ninon reste observer, attentivement, les mains de Charles-Henri lorsque celles-ci descendent presque jusqu’aux fesses de Maud, lorsqu’ils dansent ensemble.

Ninon se rapproche de Charles-Henri et de Maud qui continuer de danser ensemble, lors d’un deuxième slow.

Jocelyne danse seule.

Ninon pose sa main sur l’épaule de Charles-Henri qui n’y prête guère attention et qui continue de danser avec Maud.

Ninon. — Charles-Henri ?

Elle voit Maud se retourner vers elle, à la place de Charles-Henri.

Maud. — Quoi ?

Ninon. — Non. Rien.

Charles-Henri. — Je danserai avec toi, après. Si tu veux.

Maud. — Elle veut pas.

Elle ne contredit pas Maud et retourne dans son coin.

Ninon fait la moue pendant que Charles-Henri et Maud dansent ensemble ce deuxième slow, collés serrés.

Sa possessivité de sortie, Ninon s’avance vers Maud et donne l’impression de vouloir la frapper.

Elle croche dans le col de Maud.

Ninon. — Tu vas voir, toi. Je vais te…

Maud. — Quoi encore ? Ça te dérange que je danse avec Charles-Henri ?

Ninon grogne de colère.

Maud. — Oui ?

Ninon. — Toujours à remuer ton petit cul pour exciter les mecs. Tu peux pas t’empêcher de faire ça ? Tu peux pas t’empêcher d’allumer tous les mecs que tu croises ?

En dansant, Jocelyne arrive.

Jocelyne. — Ninon ?

Ninon. — Quoi ? Je lui pose juste une question, à ma petite sœur.

Jocelyne. — Tu ne devrais pas te mettre dans des états pareils, ma fille. Tu sais, moi, à ton âge, je…

Ninon se bouche les oreilles.

Elle se met à chantonner tandis que Jocelyne lui parle de ses relations amoureuses.

Elle enlève les doigts de ses oreilles.

Ninon. — Et puis, ça n’a rien à voir avec tes histoires. Nous on va se marier. Il y a des choses qui ne se font pas avec un homme qui va se marier.

Jocelyne. — Ta petite sœur ne fait que danser avec Charles-Henri.

Ninon. — …



 J – 6 MOIS


Charles-Henri en train de rentrer chez lui.

Esther. — Je peux venir chez toi ?

Charles-Henri. — Chez moi ? Tu veux passer chez moi ?

Esther. — On peut aller discuter chez toi ?

Charles-Henri. — Discuter ?

Esther. — Oui, après on verra ce qu’on fera mais commençons par aller discuter, chez toi.

Charles-Henri. — Pour discuter. Très bien. Après toi.

Esther monte un escalier et Charles-Henri la suit, en regardant ses fesses. C’est au deuxième !

Esther poursuit son ascension. Il continue de regarder ses fesses.

Esther. — Elles te plaisent ?

Charles-Henri. — Pardon ?

Esther. — Je te plais ?

Charles-Henri. — Pardon ?

Esther. — Moi aussi je suis célibataire.

Charles-Henri. — Je ne suis pas célibataire. Je vais me marier. Et tu le sais.

Esther arrive devant la porte d’entrée du studio de Charles-Henri, qui porte le numéro 6.

Esther. — C’est ici, chez toi ?

Charles-Henri. — Oui.

Ninon ouvre la porte d’entrée.

Ninon. — Chéri ! Je suis là !

Elle ne reçoit pas de réponse de la part de Charles-Henri.

Ninon. — Chéri ?

Ninon ne reçoit toujours pas de réponse de la part de Charles-Henri mais garde le sourire.

Elle fait le tour d’un logement, qui ne ressemble pas à celui de Charles-Henri.

Des photos laissent penser que Charles-Henri mène une double-vie et à une famille.

Ninon semble perturbée.


La main d’une femme, qui est accompagnée de ses deux enfants, redresse le 6 du numéro de porte d’entrée, qui devient alors le numéro 9.

Ninon sourit.

La femme indique un autre logement à Ninon, comme étant celui de Charles-Henri.


La porte s’ouvre sur un studio, qui est bien celui de Charles-Henri.

Esther. — C’est chouette chez toi !

D’un geste de la main, Charles-Henri propose à Esther de s’installer dans un canapé.

Charles-Henri. — Installe-toi ! Je t’apporte à boire ! Tu es… mon invitée. Tu veux boire quoi ?

Esther indique une bouteille d’eau présente sur la table basse devant elle.

Esther. — Ça, c’est bien ! Je ne suis pas venu pour vider tes placards. Je suis venu pour toi. Pour discuter avec toi.

Elle s’installe dans le canapé.

Esther. — Viens donc près de moi !

Après hésitations, Charles-Henri s’assoit à ses côtés dans le canapé.

Esther penche sa tête et la pose sur l’épaule gauche de Charles-Henri, qui la laisse faire.

Elle approche ses lèvres de celles de Charles-Henri.

Il recule.

Esther. — ??

Charles-Henri. — …

Esther se redresse dans le canapé.

Esther. — Je vais être patiente. Avec toi. Mais c’est bien parce que c’est toi. Et puis que… d'après les dernières nouvelles, il n'y aurait plus pour long à attendre. Partout dans le centre-ville, on entend que ça. Charles-Henri et Ninon : Rupture imminente.

Charles-Henri. — Les commères, ça.

Esther. — Pas qu'elles, non. Je suis sérieuse. D’ailleurs, ça ne m’étonne guère. Je t’avais prévenu. Je t’avais conseillé de ne pas t’engager avec celle-là. La duchesse…

Charles-Henri. — Des racontars, ça. Tu te fais des films. C'est vrai qu'avec Ninon, ça n'est pas toujours… le grand amour. Les disputes, ça arrive. Comme dans tous les couples. Ça met un peu de piment. Lorsque la monotonie risque d'apparaître. Le quotidien du couple. Tu connais pas, j'oubliais.

Esther. — Je te l'accorde. Mais c’est parce que tu n’as pas voulu.

Esther cherche à le prendre dans ses bras.

Charles-Henri. — Eh ! Esther ! Arrête ça !

Esther. — Je comprends que… avec la duchesse… Je comprends que ça te mette dans des états pareils. Surtout avec le mariage qui va être annulé. Mais moi, je n'y suis pour rien.

Charles-Henri. — … Oui.

Esther. — Oui ?

Charles-Henri. — Oui, tu as peut-être… raison.


Ninon marche, en direction du studio de Charles-Henri.


Charles-Henri essaie de retirer sa bague de fiançailles.

Et sa bague. Tu sais où elle peux aller se la fourrer ?

Esther sourit.

Charles-Henri montre des difficultés à retirer la bague.

Charles-Henri. — Sa bague de… Merde ! Vraiment de la merde, sa bague. Merde !

Il n’arrive pas retirer la bague de son annulaire gauche.

Charles-Henri. — Ah. Tu avais raison. Ce jour-là, je n’aurai pas dû…

Esther. — Je sais bien.

Il attrape un flacon de savon liquide posé sur le bord d’un évier.

Charles-Henri. — Ce jour-là, je n’aurai pas dû…

Esther. — Je sais bien.

Il asperge son annulaire gauche de savon liquide.

Charles-Henri. — Ce jour-là, je n’aurai pas dû…

Esther. — Je sais bien.

Charles-Henri parvient à retirer la bague de fiançailles de son annulaire.

La bague tombe dans le trou de l’évier parce que le bouchon a été retiré.

La bouche bée de Charles-Henri.

Rêverie.

Charles-Henri, en longeant une plage, voit les quatre jeunes femmes taille mannequin en bikini sexy monter dans une décapotable rouge luxueuse.

Charles reste seul, sur le bas-côté de la route.

Charles-Henri affolé.

Charles-Henri. — Merde ! Putain ! Qu’est-ce que j’ai foutu ? Vite ! Il me faut la récupérer !

Esther. — Mais je croyais que…

Charles-Henri. — Vite ! Putain ! Dépêche ! Le mariage… Je dois me marier. Il me faut cette bague !

Esther ne sourit plus.

Ninon vérifie que le numéro du studio, devant lequel elle se trouve, est bien le 6.

Les jambes et les pieds de Charles-Henri et d’Esther entremêlés.

Charles-Henri. — Écarte ! Bien grand. Écarte !… Mon doigt n’entre pas. Tu dois écarter encore. Encore un peu plus. Écarte !

Esther. — J’écarte…

Charles-Henri. — Écarte, écarte !

Esther. — Mais j’écarte…

Charles-Henri. — Ah. Ça y est. J'ai entré un doigt.

Esther. — Ouille !

Charles-Henri. — Esther ? Ça va ?

Esther. — Oui. Ça va. C’est quand tu as entré ton doigt, j’ai pris comme un coup à l’estomac.

Charles-Henri. — Ah oui. Excuse-moi.

Esther. — Ça va. Ça va… Un doigt suffira ?

Charles-Henri. — Non ! Mais non. Évidemment que non. Qu’un doigt ne suffira pas.

Esther. — Je me disais aussi.

Charles-Henri. — Je dois y entrer mon instrument. Jusqu’au bout. Au bout du bout de la tuyauterie. Allez, on y va. Ensemble. Tu écartes bien. Tes jambes… Attends que je puisse passer. Merci, c’est bon comme ça. Écarte encore un peu. Mon instrument ne rentre pas. Écarte ! Tes cuisses…

Esther. — Ah oui, tu as raison. Je dois écarter. Et maintenant, comme ça ?

Charles-Henri. — Mieux. Ça y est. Ça glisse ! Ça entre !

Ninon entre dans le studio.

Charles-Henri. — Ça entre bien dans le trou.

Esther. — Ça vient ?

Charles-Henri. — C’est bon ! C’est bon !…

Esther. — C’est bon ! C’est bon !…

Charles-Henri. — C’est bon ! C’est bon !…

La mine perplexe de Ninon.

Ninon. — ??

Charles-Henri et Esther se relèvent et aperçoivent Ninon.

Charles-Henri. — Ninon ?

Ninon. — Vous faisiez quoi ?

Charles-Henri montre sa bague de fiançailles à Ninon.

Ninon. — Tu as retiré la bague que je t’ai offerte ? Mais qu’est-ce que ça veut dire ?

Charles-Henri. — Au début, j'ai eu du mal à rentrer dans le trou. Mais quand elle a commencé à écarter…

Esther. — J'ai écarté. Ça, oui, j'ai écarté…

Charles-Henri. — Et là j'ai pu pénétrer.

Ninon. — Pourquoi tu as retiré la bague que je t’ai offerte ? Je peux savoir ? Charles-Henri ?

Charles-Henri embrasse Esther sur la joue.

Charles-Henri. — Merci pour ton aide.

Ninon. — Au revoir !

Ninon, Maud, Jocelyne et Charles-Henri se trouvent près du ruisseau.

Ninon donne un tube de crème solaire à Charles-Henri. Il étale de la crème solaire sur son dos.

Un couché de soleil sur le ruisseau.

Ninon. — Encore elle !

Maud. — Qui ?

En maillot de bain, sur l’autre rive, Esther se rapproche, à petits pas, du ruisseau.

Ninon. — Elle a peur de rien, elle. Elle doit pas savoir que c’est privé, ici. Le ruisseau est à nous. Il est à nous !

Jocelyne. — Presque.

Ninon. — Il est à nous.

Jocelyne. — Si tu veux.

Ninon. — Avec la propriété, si, c’est comme ça.

Jocelyne. — Pas exactement. Mais si tu veux.

Ninon. — Elle va comprendre. Ici, c’est chez nous ! Ici, c’est à nous !

Décidée à la chahuter, Ninon vient à la rencontre d’Esther, suivie par Maud.

Ninon éclabousse Esther qui lui répond par du dédain.

Ninon. — Il est à nous !


Ninon, Anne-Louise et Charles-Henri sont attablées devant un jeu de scrabble.

Des pièces de scrabble dans la main droite de Ninon.

Ninon. — A.I.M.E.R ! Aimer !

Anne-Louise. — C’est à toi de jouer !

Ninon ne parvient pas placer ces cinq lettres sur le plateau de jeu.

Anne-Louise. — Tu passes ton tour ?

Elle pioche d’autres lettres de scrabble

Ninon. — A.M.O.U.R ! Amour !

Elle ne parvient pas davantage à placer ces 5 lettres sur le plateau de jeu et elle peste.

Ninon. — Amour ! Amour !… Putain… Amour ! Putain d’amour…

Anne-Louise. — Tu passes ton tour ?

Ninon change ses lettres et passe son tour, en grommelant.

Charles-Henri se lève de table.

Ninon. — Tu vas où ?

Charles-Henri. — Je reviens. Jouer sans moi. Je reviens.

Ninon regarde ses nouvelles lettres, en les étalant devant elle.

Les pièces forment le mot : DIVORCE.

Ninon change, à nouveau, ses lettres de scrabble.

Anne-Louise. — Tu passes ton tour ? Mais, pourtant, tu pouvais facilement…

Ninon envoie un regard sévère en direction d’Anne-Louise.

Ninon. — On va bien se marier !


Charles-Henri est au téléphone, avec Esther.

Charles-Henri. — Non, désolé… Elle ne veut pas. On se verra une prochaine fois.

Ninon rejoint Charles-Henri dans le couloir.

Il raccroche son téléphone portable lorsqu’elle se rapproche de lui.

Ninon. — Oh ! Tu fais quoi ?

Charles-Henri. — Non. Rien. J'avais cru entendre…

Ninon. — Quoi ?

Non. Rien.

Ninon. — Ta mère attend ton mot compte triple.

Charles-Henri. — Très bien. J'arrive.

Charles-Henri caresse le bras de Ninon.

Charles-Henri. — Chérie ?

Ninon. — Chéri ?

Charles-Henri. — On ne pouvait pas l'inviter ?

Ninon. — Non.

Charles-Henri. — Esther, je te parle d’Esther. On ne…

Ninon. — J’avais compris. Et c’est non !

Charles-Henri. — On en rediscutera.

Ninon. — On n'en rediscutera pas. C'est non.

Charles-Henri. — On en rediscutera.

Ninon. — C'est non.

Charles-Henri. — Mais c'est… ma meilleure amie. On en rediscutera.

Ninon. — Pas avec moi. C’est non !

Charles-Henri. — Ta mère en pense quoi ?

Ninon. — J'invite qui je veux à mon mariage.

Charles-Henri. — C'est aussi mon mariage.

Ninon. — Oui, enfin, c'est ma famille qui a tout payé. Je pense avoir le droit de choisir les invités, non ?



 J – 3 MOIS


Une salle dans une crêperie remplie de moitié.

Charles-Henri est accueilli par Esther.

Esther. — Bonsoir !

Charles-Henri. — Esther ! Mais je…

Esther. — … ne savais pas que tu travaillais ici, ma meilleure amie, que je n’invite pas à mon mariage.

Charles-Henri. — Mais ça fait longtemps que… ? Tu aurais pu me prévenir. Et Ninon qui va… Merde !… Je crois qu’on va devoir annuler. Content de t’avoir revue, Esther. Bonne soirée ! Salut !

Charles s’apprête à faire la bise à Esther mais une main s’interpose. Cette main tend un manteau en fourrure à Esther. La main appartient à Ninon.

Charles-Henri. — Ninon ?

Ninon s’adresse à Esther.

Ninon. — Mademoiselle ! Débarrassez-moi, voulez-vous ?

Esther. — Mais bien sûr, Mademoiselle.

Charles-Henri. — Très bien.

Esther prend le manteau.

Alors que Ninon et Charles-Henri attendent près de l’entrée de la crêperie, Esther suspend le manteau en fourrure à un porte-manteau.

Elle revient vers eux.

Esther. — Voilà. Je vous montre votre table ?

Ninon enlève et tend son pull à Esther.

Ninon. — Mademoiselle, vous pourriez… ?

Esther. — Mais bien sûr, Mademoiselle.

Esther prend le pull et va le mettre le porte-manteau.

Elle revient vers Ninon et Charles-Henri.

Esther. — Voilà. Je vous montre votre table ?

Ninon semble hésitante.

Esther. — Mademoiselle, je vous montre votre table ?

Ninon semble hésitante.

Esther s’adresse à Charles-Henri.

Esther. — Je vous montre votre table ?

Ninon. — Montrez-nous notre table, Mademoiselle !

Esther. — Suivez-moi ! Mademoiselle et… Monsieur.

Charles-Henri. — On se connaît, Esther. Tout de même. Ma meilleure amie. Qu’est-ce que… ?

Esther. — Je travaille.

Ninon montre sa bague de fiançailles, et celle de Charles-Henri, à Esther.

Ninon. — On va bien se marier !

Ninon et Charles-Henri se voient proposer de s’installer à une table réservée.

Esther. — Votre table !

Charles-Henri. — Très bien.

Ninon. — Merci Mademoiselle !


Ninon et Charles-Henri sont assis à la table réservée pour eux.

Esther se présente à la table de Ninon et de Charles-Henri et leurs donne des menus.

Esther. — Pour vous !

Charles-Henri. — Merci Esther !

Ninon. — Merci Mademoiselle !

Esther. — De rien, Mademoiselle !

Ninon et Charles-Henri prennent les menus.

Esther s’adresse à Charles-Henri.

Esther. — Vous me direz quand vous aurez fait votre choix ?

Ninon. — On te dira ça.

Charles-Henri. — Oui, merci Esther.

Ninon. — C'est bon, on te dira ça.

Esther. — Très bien.

Esther remonte l'allée centrale de la crêperie.

Ninon. — Tu mates son cul ?

Charles-Henri. — Moi ?


Esther, portant des plats, passe dans les allées de la crêperie. Elle passe entre les tables et Charles-Henri la regarde.

Sous la table, Ninon lui met un coup de pied.

Charles-Henri et Ninon sont attablés et Esther est debout, à leurs côtés.

Charles-Henri. — Tu as choisi, Ninon ?

Ninon. — Oui, mon chéri. Et toi, tu as choisi, mon chéri ?

Charles-Henri. — Oui, Ninon.

Ninon. — Tu prends quoi, mon chéri ?

Charles-Henri. — Une salade. Et toi, Ninon ?

Ninon. — Une salade, mon chéri.

Esther. — Deux salades ! Et avec ceci ?

Ninon. — Repassez donc pour la suite, Mademoiselle !

Ninon se penche et embrasse Charles-Henri sur la bouche. Esther recule.

Ninon se rassoit.

Ninon. — Il va quand même falloir qu’elle comprenne qu’on va bien se marier.


Esther propose une bouteille de vin à Charles-Henri, en accompagnement d’une crêpe qu’il déguste.

Pour vous, Monsieur. Vous goûter et vous me dites.

Esther sourit à Charles-Henri.

Ninon. — Et moi ? Moi, non ? Je n’ai pas mon mot à dire.

Esther. — Si. Bien sûr que si.

Ninon. — Ah. Quand même.

Esther voit Ninon tendre son verre afin d’être servie en priorité.

Ninon. — Verse !

Esther exécute les ordres de Ninon et verse un peu de la bouteille dans son verre.

Esther reçoit des projections de vin sur son visage lorsque Ninon recrache le vin dans le verre.

Ninon. — Dégueulasse !

Esther regarde Charles-Henri.

Charles-Henri. — …

Esther se tourne vers Ninon.

Ninon. — Une autre !

Esther regarde Charles-Henri.

Charles-Henri. — Une autre !

Esther fait grise mine.

Ninon. — Va nous chercher une autre bouteille !… Et avec le sourire, si c’est pas trop demandé. Mademoiselle…

Esther fait un sourire forcé à Ninon.

Esther. — Je vous amène une autre bouteille.

Esther ne rigole pas quand Ninon, pour la narguer, sort son annulaire, portant la bague fiançailles, de la braguette de son pantalon et le lève devant elle, en imitant le barrissement d’un éléphant.

Ninon. — On va bien se marier ! On va bien se marier ! On va bien se marier !…

Esther pose l’addition dans l’assiette vide de Ninon.

Ninon et Charles-Henri marchent dans la rue.

Ninon. — Je crois que, cette fois, le message est bien passé. Elle va arrêter de nous emmerder. Elle va nous laisser tranquillement nous marier.


J – 2 MOIS


Ninon est debout devant Charles-Henri affalé dans le canapé.

Ninon. — Je vais faire du shopping. Tu viens avec moi ?

Charles-Henri donne l’impression de subir un malaise cardiaque et inquiète Ninon.

Ninon. — Ça va pas ?

Charles-Henri. — C’est… C’est le mariage. Ça me… Tu dois comprendre ça. Je vais me reposer un peu dans le canapé avant le repas.

Ninon. — Tu es sûr que ça va aller ?

Charles-Henri. — Ça va aller. Ne t’inquiète pas pour moi.

Ninon. — Je ne tarde pas. Tu as mon numéro si…

Charles-Henri. — Va faire ton shopping, Ninon. Je t’attends pour le repas.

Elle paraît hésitante à le laisser seul à la maison après ce qui vient d’arriver. Elle recule, en marche arrière.

Charles-Henri. — Va faire ton shopping !

Ninon ferme la porte d’entrée derrière elle.

Charles-Henri se lève du canapé et se dirige vers la chambre de Ninon.

Apparaît un ordinateur posé sur un bureau.

Charles-Henri s'installe, derrière l’écran.

S’affiche une page d'un site de rencontres.

La page se compose d'une photo du visage d'une femme et du pseudonyme Sublimé Créature.

Charles-Henri tape au clavier. Le message qu’il écrit s'inscrit dans une zone de texte, sous la photo de la femme.

Message Le beau gosse. — Vous avez une grande maison ?

Message Sublime créature. — Pourquoi ?

Charles-Henri semble hésiter dans sa réponse à fournir.

Il tape au clavier.

Le message écrit s'inscrit dans la zone de texte qui se trouve sous la photo de la femme.

Message Le beau gosse. — Pour cuisiner. Vous cuisinez bien ?

Message Sublime créature. — Il paraît. C’est un de mes nombreux talents.

Message Le beau gosse. — Vous avez une grande voiture ?

Message Sublime créature. — Pourquoi ?

Message Le beau gosse. — On pourrait se voir ?

Message Sublime créature. — Pourquoi pas.


Charles-Henri et Pamela, qui porte un t-shirt sur lequel est inscrit Sublime Créature, marchent côte à côte, en s’envoyant des regards amoureux.

Pamela. — Charles-Henri, jamais je n'ai rencontré un homme tel que vous. Vous me faites rire. Quand vous parlez de l’autre… Cette Ninon, que vous appelez, avec tellement d’humour, ce boulet.

Charles-Henri. — Un boulet. Un gros boulet… Je vous aurais rencontrée avant ce boulet, nous aurions… nous aurions… Et je suis tombé sur ce boulet. Je vous aurais rencontré avant ce boulet, nous aurions… Déjà, je vous aurais épousé sur le champ. Dans une chapelle. Au milieu d'un champ. Près de la mer. Où vous auriez voulu… Mais je suis avec le boulet.

Pamela. — Vous aime-t-elle ?

Comme au premier jour. Toujours au petit soin avec moi. Charles-Henri. — Même quand…

Pamela. — Même quand vous êtes un parfait goujat.

Charles-Henri. — À peu près ça.


Quelques pas et voilà Charles-Henri devant la porte d’entrée de la villa. Il enfonce une clef dans la serrure et la tourne.

Il éclaire le passage avec l’éclairage de son téléphone portable, en pénétrant dans la villa, discrètement.

Une personne se trouve là.

Il s’agit de Ninon.

Charles-Henri bondit, surpris.

Charles-Henri. — Le bou… !… Ninon ?

Pas de réponse de Ninon.

Charles-Henri. — Mais je te croyais…

Ninon. — Et bien non.

Charles-Henri se rapproche de Ninon, avec méfiance néanmoins. Il tente une approche : il commence à dégrafer le chemisier rayé de Ninon.

Repris, Charles-Henri. Étonné que Ninon se refuse à lui.

Charles-Henri. — Ninon ?

L’atmosphère se charge d’électricité.

Charles-Henri. — Tu veux que je…

Ninon. — Non.

Coupé dans son élan, Charles-Henri.

Charles-Henri. — Tu voulais me dire quelque chose ? Ma chérie…

Ninon. — Oui.

Une goutte de sueur perle sur le front de Charles-Henri.

Charles-Henri. — Que voulais-tu me dire ? Ma chérie…

Ninon. — Je la connais.

De l’affolement mêlé à de l’incompréhension s’affiche sur le visage de Charles-Henri. Il recule puis avance. Il recule. Il ne semble pas savoir comment agir.

Charles-Henri. — Tu connais qui ? Ma chérie…

Elle maintient le suspense, en donnant l’impression de s’apprêter à lui répondre mais sans sortir le moindre son de sa bouche.

Il s’assoit sur une chaise et commence à retirer une de ses chaussures.

Ninon. — Je sais tout.

Il sursaute, et jette, du même coup, la chaussure devant lui.

Charles-Henri. — Tout ?

Ninon. — Tout.

Il semble inquiet.

Charles-Henri. — Qui ? Quoi ?

Ninon. — Je la connais. Je sais tout. Dans les moindres détails.

Il essaie de garder son calme sans y parvenir.

Charles-Henri. — Ma chérie, tu me connais. Toi et moi, on… Toi et moi. Ma chérie. Ma chérie. Ma chérie…

Il se force à sourire à Ninon, afin de la rassurer.

Charles-Henri. — Je ne vois vraiment pas de quoi tu veux parler, ma chérie. Je crois que tu te trompes, ma chérie.

Ninon. — Je suis au courant.

Charles-Henri. — Pour ?

Ninon. — Je suis au courant.

Charles-Henri. — De quoi ?

Ninon. — De tout. Dans les moindres détails. Tu ne comptais pas m'en parler.

Charles-Henri. — Ninon…

Ninon. — … Tu étais avec… ?

Charles-Henri. — Avec… ? Qui ?

La lune éclaire la bouche de Ninon.

Ninon. — Tu viens d’où ?

Il délace sa deuxième chaussure.

Charles-Henri. — De… chez… J’étais à l’usine. Ils ont appelé. Ils avaient besoin de mon aide.



J – 1 MOIS


Charles-Henri paraît confus.

Charles-Henri. — Désolé.

Ninon. — …

Charles-Henri recule et laisse Ninon.

Charles-Henri. — Non mais… Je… C’est… C’est le boulot. Je t’en avais parlé, Ninon. Je ne peux rien y faire. Ils m’ont appelé. Je dois y aller.

Il essaie d’embrasser Ninon sur la joue mais celle-ci se retire.

Ninon. — Parce que, ma mère, sa potée aux choux, combien de fois qu'elle me le demande : Quand est-ce que ton chéri, il va venir goûter ma potée aux choux ?

Charles-Henri. — Ça…, oui. Ça… Mais là, je ne peux pas. Je suis… Je suis en pleine négociation avec…

Ninon. — Tu la baises ?

Charles-Henri. — …

Ninon. — Tu la baises, elle. Et moi ? Ça remonte à quand, tout ça ? La dernière fois ? Tu ne t'en souviens même pas ?

Charles-Henri. — Pense ce que tu veux. De toute manière, avec toi, on ne peut pas discuter. Quoique je dise, j'ai tort.

Ninon. — Là, tu dis vraiment des conneries.

Charles-Henri. — Tu vois.

Ninon. — Merde !

Ninon barre le passage de Charles-Henri voulant sortir de la propriété.

Charles-Henri. — Cassée. Par un de ses abrutis. Un abruti. Casser une machine. Au prix où ça coûte. C'est du solide normalement. Ils ont dû s'acharner dessus. Abrutis !

Ninon. — ??

Charles-Henri. — Ces machines, ça se manipule en douceur. Des abrutis. Des brutes. Des brutes complètement abrutis. Pas faute de leur avoir répété. En douceur, bande d'abrutis, en douceur. Il ne m'écoute pas. Je dois vraiment y aller, à ma boîte. Je suis entouré d'abrutis dans cette boîte. Que veux-tu que j'y fasse ? Ça n'est pas moi qui casse les machines. Moi je les répare, les machines.

Ninon. — De plus en plus souvent, je trouve.

Charles-Henri. — Parce que ces abrutis les cassent de plus en plus souvent.

Ninon. — De plus en plus souvent le week-end, je trouve.

Charles-Henri. — Parce que ces abrutis les cassent de plus en plus souvent le week-end.

Ninon. — Mais tu es vraiment obligé de travailler le week-end ? Avant tu ne travaillais pas le week-end. Ni les jours fériés, d’ailleurs.

Charles-Henri. — C'est-à-dire que… dans la boîte… on a… il paraît qu'il va y avoir… une restructuration du personnel. Des employés. Tu vois le genre ? Ils vont virer du personnel. Je te l’ai déjà dit. C’est pour ça que j’étais en négociation avec la direction. Et en premier, ils vont virer qui, à ton avis ? En premier, ils vont virer ceux qui ont refusé de travailler le week-end et les jours fériés, ces idiots. Ça n'est pas moi qui décide de ça. C'est la nouvelle direction.

Ninon. — Elle nous fait chier, ta nouvelle direction. Elle nous emmerde, ta nouvelle direction.

Charles-Henri. — Elle me paie, la nouvelle direction.

Ninon. — Des broutilles, qu'elle te paie. Tu travailles six jours sur sept. Le week-end. Les jours fériés. Quand je vois ta fiche de paie, excuse-moi mais ce sont des broutilles qu'elle te paie pour ça. C'est comme si tu ne travaillais pas le week-end et les jours fériés. Et encore, c'est comme si tu ne travaillais que cinq voire quatre jours dans la semaine.

Charles-Henri. — Tu as regardé mes fiches de paie ?

Ninon. — Je suis tombée dessus. Par hasard. J'ai regardé un peu, du coup. Vite fait. Il y a quelque chose qui m'a un peu étonné. La fiche de paie ne mentionnait que quatre jours rémunérés par semaine. Alors que…

Charles-Henri. — Normal.

Ninon. — Pourquoi ? Normal ?

Charles-Henri. — C'est que… En fait… Depuis que la nouvelle direction… C'est elle qui a mis ça en place. Je ne trouve pas ça très pratique mais bon, on s'y fait. On ne va quand même pas discuter des choix de la nouvelle direction… C'est simplement que… simplement que les autres jours rémunérés apparaissent sur une autre fiche de paie. On ne les reçoit pas le même jour.

Ninon. — Tu me la montreras ?

Charles-Henri. — Je peux pas.

Ninon. — Ah non ?

Charles-Henri. — Non. On ne les reçoit pas. Par courrier. Par la poste, quoi. Non, ces fiches de paie, on les reçoit… par internet. Et… à peine arrivées, elles filent tout droit… dans les spams. Un problème informatique, je crois. Si c’est que la nouvelle direction disait lors de notre dernière réunion. Et tu sais ce qui arrive aux spams ? Ils filent tout droit dans la poubelle. Et la poubelle… Aux ordures… Bon, on se voit plus tard ?

Ninon. — …


Charles-Henri baisse la jupe de Pamela puis sa culotte.

Il enlève les chaussettes de Pamela.

Une truite est posée sur un papier journal, sur l'évier.

Ninon la prend dans le creux de la main.

Maud. — Il va venir, c'est sûr ?

Ninon. — Mais oui. Il a un peu de retard, c'est tout. C'est son boulot. Il est très demandé.

Maud. — Son boulot ? Tu parles… Une femme derrière ça, oui.

La truite glisse dans l'évier.

Ninon. — Dis pas de sottises.

Ninon récupère la truite dans l'évier.

Maud. — On connaît ça. Notre père.

Ninon. — Dis pas de sottises, Charles-Henri n'est pas comme lui.

Maud. — Il t'aime, ton chéri, je sais. Et il ne viendra pas.

Ninon. — Mais si, tu verras.

Maud. — Tu veux un coup de main, peut-être ?

Ninon. — Je me débrouille.

Maud. — Comme tu voudras.

Ninon. — Mets toujours la table.

Maud. — Pour trois personnes ?

Ninon. — Pour quatre personnes.

Charles-Henri et Pamela s’embrassent, leurs vêtements en partie retirés.

Charles-Henri embrasse le cou de Pamela, en lui caressant la nuque et les cheveux.

Ninon écaille la truite à l'aide d'un couteau à beurre.

Ninon sort son téléphone portable. Elle appuie sur une touche du téléphone. Elle attend, l’oreille droite collée à son téléphone, durant le temps de plusieurs sonneries.

Charles-Henri est allongé sur Pamela qui a les jambes écartées.

Le mobile de Charles-Henri, qui est posé sur une table de chevet à gauche du lit, vibre.

Il tend le bras pour décrocher.

Pamela. — C'est encore elle ? Charles-Henri, vous m'aviez bien dit… Ce week-end…

Pamela, dans une roulade, attrape le mobile et appuie sur une touche.

Pamela. — Tu as raccroché ?

Charles-Henri. — ??

Pamela. — Vous avez raccroché ?

Pamela lui sourit.

Pamela. — Vous êtes à votre boulot, non ?

Charles-Henri. — …

Par le bras, elle le tire jusqu’à elle.

Ninon ouvre aux ciseaux de l'orifice anal de la truite jusqu'à sa tête.

Ninon. — Esther. C’est cette Esther. Encore cette Esther. Je suis sûre que c’est elle, cette Esther. Mon chéri, où est-ce qu’elle t’a encore traîné ? Cette traînée… Sérieusement, cette Esther, elle mériterait de se faire…

Elle enlève les entrailles de la truite.

Son téléphone portable collé contre son oreille droite, Ninon écoute une voix annonçant l’arrivée sur la messagerie vocale de Charles-Henri.

Ninon. — Salut mon chéri ! C’est…

Elle s’apprête à raccrocher. Elle positionne son téléphone portable contre son oreille droite.

Ninon. — Salut mon chéri ! C’est Ninon. C’est pour le mariage. Tu te rappelles, on en avait parlé. C’est juste pour savoir si…

Elle laisse un autre message sur le répondeur téléphonique.

Ninon. — C’est moi, mon chéri. C’est ta chérie. Enfin, bon, tu avais reconnu ma voix. Et mon numéro de téléphone… C’est Ninon. Je t’attends, moi. Je commence à m’inquiéter, moi. Tu me dis que tu vas rentrer sans tarder…

Elle donne l’impression de réfléchir.

Ninon. — … Si, tu m’as dit ça, mon chéri. Je crois, oui. Si. Et toi, tu n’es toujours pas rentré. Et moi, je t’attends.

Ninon prend son téléphone portable. Elle appuie sur des boutons jusqu’au numéro affiché de Charles-Henri. Elle paraît hésiter à l’appeler une nouvelle fois pour prendre de ses nouvelles, pour savoir à quelle heure elle va rentrer.

Elle laisse un autre message.

Ninon. — C’est Ninon, mon chéri. Je voulais savoir si tu allais bien. Rappelle-moi.

Elle laisse un autre message.

Ninon. — C’est encore moi, mon chéri. Ninon. Rappelle-moi.

Elle laisse un autre message.

Ninon. — C’est ta tigresse, mon chéri Je suis chaude comme la braise. Mon corps t’appartient. Je suis toute à toi. Rappelle-moi !


Ninon boude dans le canapé lorsque Maud vient aux nouvelles.

Maud. — Et ce mariage ?

Ninon montre de la déception.

Maud. — Ça va pas ?

Ninon. — Il ne décroche pas.

Maud. — Charles-Henri ?

Ninon. — Il ne répond pas. Il ne répond plus.

Ninon regarde son téléphone portable, en attente d’une réponse de Charles-Henri.

Maud. — Tu lui as laissé un message ?

Ninon. — …

Maud. — Et ?

Ninon vérifie si un appel manqué apparaît sur son écran mais il n’y en a pas.

Ninon. — Rien.

Elle tient son téléphone portable devant elle, toujours en attente d’une réponse de Charles-Henri.

Elle repose son téléphone portable, branché pour recharger la batterie.


Ninon éteint un four, en tournant un bouton sur la porte. Portant des gants, elle sort un plat fumant du four. Elle pose le plat sur la table à manger.

Une sonnerie téléphonique retentit.

Ninon sourit.

Ninon. — Ah. Quand même.

Maud et Jocelyne se montrent moins enjouées.

Ninon. — Je vous l’avais bien dit. C’est mon chéri !

Ninon rigole.

Ninon. — On va bien se marier !

L’oreille collée à son téléphone portable, Ninon écoute ce que lui raconte son interlocuteur.

Ninon. — Mais qu’est-ce que tu me racontes, mon chéri ? Ça n’est pas drôle. Je t’attends, moi… Je parle français, oui. Pourquoi ? Charles-Henri ? Tu veux me faire une blague ?… En France, oui. Pourquoi ?… Et pourquoi tu prends cette voix bizarre pour me parler ? Et pourquoi tu ne m’appelles pas avec ton téléphone ? Tu as un problème, mon chéri ? Tu veux qu’on vienne te chercher ? Tu es où ?… Rien à foutre de ces conneries ! Pouviez pas le dire plutôt ? Allez vendre vos conneries d’aspirateurs à quelqu’un d’autre ! Et bien le bonjour chez vous !

Ninon raccroche, les larmes aux yeux.

Les pieds de Charles-Henri et de Pamela dépassent du lit.

En tenues de nuit, Charles-Henri et Pamela sont assis côte à côte, au bord du lit.

Pamela. — Non, je ne vais pas vous mentir plus longtemps, non je n’ai pas de voiture de sport, pas plus que de grande maison ou de voilier, ni même de chalet à la montagne. Ça vous dérange, cher Monsieur ?

Charles-Henri. — …

Pamela. — Ça vous dérange, cher Monsieur ?

Charles-Henri. — …

Charles-Henri devient songeur.

Rêverie.

La décapotable rouge luxueuse est garée sur la plage.

Charles-Henri joue au volley avec les quatre jeunes femmes taille mannequin en bikini sexy.

Charles-Henri. — La sportive…

Les quatre jeunes femmes. — Dis oui ! Dis oui ! Dis oui !

Pamela pose une main sur une épaule de Charles-Henri. Il la repousse.

Pamela. — C’est parce que vous l'aimez encore ?

Charles-Henri. — Oui, c’est ça.

D’un bond, il sort du lit.

Charles-Henri. — Oui, c’est ça. Allez, Salut !

Pamela. — Eh ? Monsieur ?

Charles-Henri s’arrête.

Charles-Henri. — Quoi encore ?

Pamela. — Vous n’oublierez pas de payer. Pour la chambre d’hôtel.

Charles-Henri. — Ah, parce qu’en plus…

Pamela. — Et oui.

Charles-Henri. — Merde !

Le plat se trouve toujours sur la table. Jocelyne essuie une larme coulant le long de la joue de Ninon.

Ninon, de rage, jette son téléphone portable contre un mur devant elle.

Ninon. — Connard !

Jocelyne, qui mâche un chewing-gum, regarde Ninon qui ramasse son téléphone portable. L’écran est cassé.

Ninon. — J’en achèterai un autre.

Jocelyne. — D’accord.

Ninon. — C’est un gros con.

Jocelyne. — Qui ? Charles-Henri ? Ton futur mari ?

Ninon. — Je suis célibataire.

Charles-Henri se présente.

Charles-Henri. — Qui est célibataire ?

Ninon. — Tu es revenu ?

Charles-Henri. — Le repas est prêt ?


Ninon est face à Charles-Henri.

Ninon. — Et moi… Et moi… Et moi… qui croyais que tu ne voulais plus de moi. Tu sais, j’ai été m’imaginer de ces choses.

Charles-Henri. — …

Ninon. — Ça veut dire que… Tu veux encore de moi ?… Nous ?… Le mariage ?… On va bien se marier ?

Charles-Henri. — On va bien se marier !

Elle tourne sa bague de fiançailles en la lui montrant.

Charles-Henri. — Elle est si jolie.

Ninon. — Toi aussi.

Elle attend un compliment en retour mais il ne vient pas.

Charles-Henri. — La sportive…

Ninon. — Pardon ?

Jocelyne et Maud suivent la conversation entre Ninon et Charles-Henri, sans rien dire.

Charles-Henri. — Toi aussi. Tu es jolie. Comme une sportive. Comme une belle voiture de sport remplie de belles gonzesses, qui se trouve dans le garage d’une très belle demeure avec vue sur la mer et sur son port privé dans lequel se trouve ce si grand voilier rempli de belles gonzesses, toutes nues, aux corps sublimes.

Ninon. — Merci.



LA VEILLE DU MARIAGE


Deux menottes sont attachées aux barreaux d'une tête de lit. Les mains menottées appartiennent à Charles-Henri.

Charles-Henri. — Tu as la clef ?

Ninon. — Mais oui, mon chéri.

Elle montre la clef des menottes à Charles-Henri.

Ninon. — Tu vois, mon chéri.

Elle pose les clefs des menottes sur une commode, près de l'armoire. Devant Charles-Henri, elle commence un strip-tease. Un bas atterrit sur la commode, près des clefs. Le bruit d'une porte du rez-de-chaussée qui claque.


Ninon, à moitié dévêtue, se tient face à Esther.

Esther. — Charles-Henri est là ? N’est-ce pas ?

Ninon est devant Esther.

Ninon. — Non.

Esther. — Je sais qu'il est là.

Ninon. — Tu lui passeras un coup de fil.

Esther. — Je n’ai pas son nouveau numéro. Et il ne passe plus au café.

Ninon. — Possible.

Esther. — Et il ne passe plus dans le bourg. Et il ne sort plus. Tu en as fait quoi, de Charles-Henri, toi ?

Ninon. — Ça n'est pas ton problème, ça. Charles-Henri, il est à moi.

Esther. — Ah d’accord…

Ninon. — Il est avec moi. Charles-Henri est avec moi… Et pour ce qui est du mariage. Tu n’es pas invitée. Pas la peine d’insister.

Esther. — Je m’en fous de ton mariage !

Ninon. — Pardon ?

De la chambre, Charles-Henri appelle Ninon.

Esther. — Tien. Je connais cette voix. Ça vient de là-haut. De l'étage.

Ninon. — Sors de chez moi ou… je…

Charles-Henri continue d'appeler Ninon.

Charles-Henri. — Chérie !

La clef des menottes est posée au bord de la commode.

Un cri d’Esther s’entend.

Charles-Henri, affolé, déplace le lit afin de pouvoir atteindre la commode, et la clef des menottes posée dessus. Le lit est bloqué par l'armoire. Charles-Henri tire le lit d'un grand coup. Le pied du lit tape la commode. La clef de menottes tombe derrière la commode.

Charles-Henri. — Merde !

Un échange de coups de poings et de coups de pieds se déroule entre Esther et Ninon.

Ninon envoie un coup de boule dans la bouche d’Esther qui crache trois dents, en reculant.

Esther se rattrape à un rideau blanc qui se décroche et la recouvre.

Charles-Henri, allongé par terre, est en train d'essayer d'attraper la clef des menottes qui se trouve derrière la commode.

Ninon entre.

Charles-Henri. — Esther ? Où est Esther ?

Ninon. — C'est tout ce que tu as à me dire ?

Charles-Henri. — Où est Esther ?

Ninon. — … Tu veux quelque chose d’autre ?

Charles-Henri. — La clef des menottes, oui. Donne-la moi ! Elle est derrière la commode.

Ninon s'accroupit.

Charles-Henri. — Derrière, là. Derrière la commode. Allez, Ninon. Dépêche…

Ninon s'agenouille lentement.

Ninon passe, lentement, sans conviction, une main derrière la commode.

Charles-Henri. — Tu l'attrapes ?

Ninon. — Attend.

Charles-Henri. — Tu attends quoi ?

Ninon. — Eh !

Charles-Henri. — Ninon ? Dépêche…

Ninon brandit la clef des menottes.

Ninon. — Et pas la peine de me parler sur ce ton.

Charles-Henri. — Ouvre ça ! Ninon…

Ninon. — Eh !

Ninon ouvre les menottes.

Charles-Henri se lève.

Charles-Henri. — Où est Esther ?

Ninon. — Encore elle…

Ninon essaie de prendre Charles-Henri dans ses bras.

Ninon. — Et moi, tu as pensé à moi ?

Ninon essaie d'embrasser Charles-Henri qui la retient.

Ninon. — Qu’est-ce que… ? Mon chéri ?

Charles-Henri, suivi de Ninon, descend l'escalier et rejoint le hall.

Charles-Henri. — Esther ?… Esther ?…

Esther est allongée par terre.

Charles-Henri. — Putain… Elle l’a…

Il se rapproche du rideau blanc. Il le soulève et apparaît le visage d’Esther.

Charles-Henri. — Esther, ça va ?

Il s'accroupit aux côtés de Esther, amochée.

Charles-Henri. — Esther, tu es vivante ?

Ninon. — Je lui avais dit…

Il jette un regard noir à Ninon.

Charles-Henri. — Lâche-moi, toi !

Ninon. — Quoi ?

Il relève la tête d’Esther, qui reprend connaissance.

Charles-Henri. — Esther… Tu as mal ?

Esther. — … Bah…

Ninon. — Mon chéri… Et moi ?

Esther relève le menton et lève les yeux vers Charles-Henri.

Esther. — C'est elle ! Elle m’a… Elle a voulu me tuer ! Elle est folle ! Je t’avais prévenu ! Elle est folle !

Charles-Henri. — Ça va aller ?

Ninon. — Bien sûr parce qu’elle a rien, elle simule.

Ninon pose main sur l'épaule de Charles-Henri.

Ninon. — Chéri. Moi je…

Charles-Henri. — Oh ! Toi, ta…

Ninon. — Hein ?

Charles-Henri. — … S’il te plaît, Ninon.

Ninon. — On ne rentre chez les gens comme ça. Ça ne se fait pas. Elle a eu que ce qu’elle mérite. C’est elle, la folle !

Ninon glisse sa main droite entre Charles-Henri et Esther. Elle met une tape derrière le crâne d’Esther.

Esther. — Oh !

Charles-Henri. — Eh !

Ninon s’adresse à Esther.

Ninon. — Rentre chez toi ! Charles-Henri est à moi… avec moi. On est ensemble et on va se marier. On dirait que tu l’as oublié. Rentre chez toi !

Esther se met à pleurer.

Esther. — Et Charles-Henri Junior. Le pauvre Charles-Henri Junior.

Ninon. — Charles-Henri Junior ?

Esther. — Le bébé !

Ninon. — Quel bébé ?

Esther se lève.

Esther. Notre bébé. À Moi et à Charles-Henri. Notre Charles-Henri Junior.

Ninon. — Mais qu'est-ce qu'elle nous raconte encore, cette folle ?

Esther. — Je suis enceinte de ton chéri et on va garder le bébé. Voilà ce que je raconte.

Ninon croche dans le col de Charles-Henri.

Ninon. — Mais qu'est-ce que c'est que cette connerie ? Ça n'est pas possible, mon chéri. Elle déconne ? Hein qu’elle déconne ?… Elle ment. Hein qu'elle ment ? Mon chéri, dis quelque chose.

Charles-Henri reste muet, craignant de révéler quelque chose de compromettant pour le mariage à venir.

Ninon se tourne vers Esther.

Ninon. — Tu mens !

Esther sourit, en haussant les épaules.

Ninon. — Et le mariage ? Le mariage… Que vais-je dire à ma famille ?

Ninon regarde Charles-Henri dans les yeux.

Ninon. — Mon chéri ? Mais dis quelque chose…

Charles-Henri. — Calme-toi, Ninon. Ça va s'arranger. On va rien leur dire du tout.

Ninon. — Si, il le faudra bien…

Charles-Henri. — Non.

Ninon. — Si.

Charles-Henri. Mais non.

Ninon. — Mais si.

Charles-Henri. Mais non.

Ninon. — Si, si.

Charles-Henri. — Non, non.

Esther se met à ricaner.

Ninon et Charles-Henri se tournent vers Esther.

Ninon. — Qu’est-ce qu’elle a… ?

Esther. — Je plaisantais : Je ne suis pas enceinte. Je voulais juste vérifier quelque chose. Maintenant, je sais : Tu as changé, Charles-Henri. Tu as changé !

Ninon met sa main sur un balai posé contre un mur.

Ninon. — Je vais la faire taire !

Ninon cherche à frapper Esther avec le balai mais celle-ci se baisse et c’est Charles-Henri qui se prend le coup dans la figure. Il pousse un cri et s’étale par terre.

Ninon. — Désolée !

Ninon lâche le balai. Elle n’apprécie pas qu’Esther tende la main à Charles-Henri pour le relever.

Ninon. — Dégage !

Esther sort de la pièce.

Ninon. — Tu as couché avec elle ?

Charles-Henri.

Ninon. — Tu as couché avec elle ?

Charles-Henri. … Mais non. Elle plaisantait. Tu l’as entendu comme moi, elle a dit qu’elle plaisantait. C’est une blagueuse, Pamela, tu la connais.

Ninon. — Si. C’est évident. On ne blague pas avec ces choses-là. Comment on va faire ? C’est quand, déjà, qu’on se marie ?

Charles-Henri. Demain.



LE JOUR DU MARIAGE


Pendant son sommeil, Ninon s'agite, se retourne, met un coup de coude à Charles-Henri. La lumière s'allume dans la chambre. Charles-Henri regarde Ninon dormir à poings fermés. Il éteint la lampe de chevet. Ninon recommence à s'agiter pendant son sommeil. Elle envoie un coup de poing dans sa figure. La lumière s'allume. Charles-Henri s'éloigne un peu dans le lit. Ninon envoie des coups de poings de pieds dans le vide. Elle se retourne, tire la couverture vers elle. Charles-Henri se retrouve sans couverture. Il paraît songeur.

Une rêverie.

Dos nu, une personne masse les épaules de Charles-Henri.

Charles-Henri. — La sportive…

Il s'aperçoit que la personne qui le masse est Ninon.

Ninon. — Dis oui ! Dis oui ! Dis oui !

Lorsqu’il se retourne, Charles-Henri se rend compte que la plage est déserte autour d’eux deux.

Ninon sort une trousse d’un placard et l’ouvre. Elle se tourne vers Jocelyne et Maud, en montrant deux chouchous, un de couleur verte et un de couleur bleue.

Ninon. — Le vert ou le bleu ?

Maud. — …

Jocelyne hausse les épaules.

Ninon remet le chouchou de couleur bleue dans la trousse et montre le chouchou de couleur verte à Jocelyne et à Maud.

Ninon. — Le vert !

Maud. — …

Jocelyne hausse les épaules.

Ninon sort de la salle de bain.

La porte se rouvre.

Ninon rejoint le placard dans lequel se trouve la trousse contenant les chouchous.

Ninon montre le chouchou de couleur bleue à Jocelyne et à Maud.

Ninon. — Le bleu !

Maud. — …

Jocelyne hausse les épaules.

La porte se ferme.

La porte se rouvre une autre fois.

Ninon traverse la pièce. Elle prend la trousse et sort de la salle de bain avec.

Ninon ferme la porte derrière elle.

La porte se rouvre, à nouveau.

Ninon. — Dépêchez-vous ! Je dois me maquiller. Je dois me marier, moi. Il y en a qui ont tendance à l’oublier, ça.

Jocelyne. — La maquilleuse ne vient pas ?

Ninon. — Non, comme je l’ai dit. Non. C’est une connasse !

Maud. — Une jolie connasse !

Ninon. — … On s’en fout ! Dépêchez-vous ! Je vais me débrouiller sans cette connasse !

Maud. — Et sans la coiffeuse qui devait venir, et sans l’habilleuse…

Ninon. — C’est mon mariage. C’est mon mari. On va faire ça en famille. C’est mieux comme ça, je pense. On va pas les laisser foutre le bordel dans mon mariage.

Maud. — Elles sont jolies… Je comprends.

Ninon. — Allez, dépêchez-vous ! Maud ! Maman !…

Maud. — Il y a deux salles de bain dans la villa.

Ninon. — Oui, mais… Dépêchez-vous de vous préparer ! J’aurai peut-être… Non, je vais me débrouiller. Vous me direz ce que vous en pensez.

Ninon et Jocelyne sont avec Maud.

Jocelyne. — Tu nous le prêtes ?

Maud. — C’est à dire que…

Jocelyne. — Il est où ?

Maud. — C’est à dire que…

Ninon. — On va pas te le casser.

Maud. — C’est à dire que…

Ninon regarde Jocelyne qui mâche un chewing-gum.

Ninon. — Laisse tomber. Elle fait son égoïste.

Jocelyne. — Maud, enfin ! Ta sœur se marie. Tu pourrais…

Ninon. — Maud est une égoïste ! Maud est une égoïste ! Maud est une égoïste !…

Jocelyne. — Maud est une égoïste ! Maud est une égoïste !…

Maud. — C’est bon, ça va, il est dans ma chambre. Dans le placard de droite. Premier tiroir en partant du haut. Dessous les paires de chaussettes, et dessous mes strings rouges à dentelles. Dans une grosse boîte en carton, qui contient une petite boîte en carton. Il se trouve dans la petite boîte en carton. Emballé sous… Bon, d’accord, vous avez gagné, je vais le chercher.

Maud déballe un kit de pédicure.

Jocelyne. — Je peux… ?

Maud. — Laisse maman. Je m’en charge.

Maud sort une lime du kit de manucure. Elle lime les ongles de pieds de Ninon qui est assise sur une chaise.

Maud plonge le bout d’un pinceau dans un petit flacon de vernis à ongles.

Jocelyne. — Nous retrouvons Maud en train de réaliser une véritable œuvre d’art sur les pieds de sa sœur. Une fois encore, Maud nous montre son dévouement…

Le vernis s’étale sur un pied de Ninon.

Jocelyne. — … La future mariée va plaire à son futur mari. C’est moi qui vous le dis…

Ninon. — Tu parles à qui, maman ?

Jocelyne. — À vous. Pourquoi ?

Ninon tend son deuxième pied à Maud.

Ninon. — La suite !

Maud. — J’arrive. J’arrive.

Ninon utilise une pince à épiler pour retirer un poil noir situé au-dessus de ses lèvres, un long poil noir, un très long poil noir. Lorsqu’il est entièrement sorti de la peau, il s’enroule sur lui-même et forme une boule. Ninon frappe dedans et la boule poilue sort de la salle de bain, effraie Jocelyne venue aux nouvelles.

Les doigts de Jocelyne pressent, ensuite, une pustule apparente sur le visage de Ninon.

Des larmes coulent des yeux de Ninon.

Un épais liquide blanc finit par sortir de la pustule et gicle sur Jocelyne.

Jocelyne utilise un gant de toilette pour nettoyer le miroir.

Jocelyne, qui mâche un chewing-gum, étale une épaisse couche de fond de teint sur le visage de Ninon.

Jocelyne. — Encore un peu ?

Ninon. — Je sais pas.

Jocelyne. — Sinon…

Ninon. — Sinon ?

Jocelyne. — On fait sans.

Ninon. — Oui. Tu as raison, maman. Restons au naturel. Et si ça lui plaît pas, au marié. Rien à péter. On l’emmerde !

Ninon se passe de l’eau sur le visage.

Ninon. — Bon. Ça, s’est réglé. Maintenant, je vais aller enfiler ma jolie robe de mariée.

En bas de l’escalier, Jocelyne et Maud attendent l’arrivée de Ninon dans la robe de mariée de son choix. Un pied dépasse du mur. Suit une jambe nue de Ninon. Elle apparaît, habillée d’une robe fleurie à corset. Elle descend les marches de l’escalier. Elle s’arrête devant Jocelyne.

Ninon. — Tu veux bien ?

Ninon se tourne pour que Jocelyne lace le corset de la robe fleurie.

Ninon. — Serre bien !

Maud montre quelque chose sur la robe.

Maud. — C’est normal, ça ?

Ninon. — Quoi ?

Maud. — C’est pas normal !

Ninon. — Quoi ?

Maud se met à rire.

Ninon. — Mais quoi ? Qu’est-ce qu’il y a sur ma robe ?

Maud. — Un…

Ninon. — Mais quoi ?

Maud. Un zizi !

Ninon regarde les motifs de la robe de plus près et constate qu’une fleur ressemble étrangement à un zizi.

Ninon. — Merde ! Tu as raison. Comment j’ai pu… Moi qui… Le mariage ! Ça m’a complètement… Merde ! Je ne peux pas… Une robe avec un zizi… Merde, non. Je ne peux pas mettre ça à mon mariage. Et la vendeuse, cette connasse, elle a rien dit. Elle m’a… Putain de connasse !… Une robe zizi. Comment ai-je pu acheter ça ? Vraiment, je ne suis plus moi-même avec ce mariage… Vraiment. Bon, il faut aller en acheter une autre.

Jocelyne. — Il t’attend.

Ninon. — Il m’attend.

Jocelyne. — Oui, normalement.

Ninon. — Il m’attend… Putain, on va pas le rater ce mariage, merde ! Il me faut une autre robe de mariée. Et vite ! Et on y va à ce mariage. Je dois me marier, aujourd’hui, moi, merde !


Ninon et Jocelyne sont debout, face à face. Ninon porte une robe très décolletée, ses seins sont à la limite de déborder du vêtement. Maud se rapproche.

Maud. — Quelque chose qui ne va pas ?

Jocelyne. — Elle veut pas changer de robe.

Ninon. — Pourquoi est-ce je devrais changer de robe ?

Jocelyne. — Elle veut pas changer de robe. Dis-lui, toi. Elle est pas à sa taille.

Maud hausse les épaules, ne sachant quoi dire.

Jocelyne se tourne vers Ninon.

Jocelyne. — Je peux t’en prêter une ?

Ninon. — Elle me va très bien cette robe. C’est décidé : Je mettrai cette robe pour mon mariage.

Jocelyne se tourne vers Maud.

Jocelyne. — Tu l’as entendu, comme moi ? Elle a dit qu’elle allait mettre cette robe pour le mariage. Dis-lui toi. Elle peux pas mettre cette robe pour le mariage. Dis-le lui.

Maud. — C’est une de mes robes. Elle est jolie sur moi. Elle voulait l’essayer.

Jocelyne. — Pas pour son mariage, non.

Ninon. — Et pourquoi pas ? Pour changer de ces robes de mariées trop classiques. Je pense qu’il va l’aimer, mon chéri. Et puis, ça n’est pas la robe le plus important, c’est ce qu’il y a dedans.

Jocelyne. — Autant y aller seins nus à ton mariage. Elle est pas à ta taille, c’est tout.

Ninon. — Je la mets pour mon mariage.


Plusieurs chouchous multicolores se trouvent sur une table. Ninon, qui porte la robe très décolletée, semble hésitante. Maud arrive.

Ninon. — Du coup, on avait dit le bleu ou le vert ? Ou le marron ou le violet ? Ou le rose ou le mauve ? Ou je n’en mets pas ? Tu as déjà vu une mariée portant un chouchou lors de son mariage, toi ?

Maud. — Je…

Ninon. — En même temps, je voulais faire original. Alors, je me disais, pour ma coiffure de mariée, ça aurait pu être bien d’entre mettre un. Mais lequel ?

Un doigt de Maud se rapproche d’un fil qui dépasse en haut de la robe décolletée.

Ninon. — Tu fais quoi ?

Maud. — Ne bouge pas, il y a juste un…

Maud tire sur le fil et ne s’aperçoit pas que le bas de la robe très décolletée se découd.

Ninon. — Ah oui. Exact. Décidément…

Ninon tire à son tour sur le fil qui dépasse de la robe très décolletée. La robe devient de plus en plus courte, très très très courte, à l’extrême limite de disparaître.

Ninon arrête de tirer sur ce fil de couture lorsque son extrémité lui arrive dans la main.

Ninon. — Voilà. C’est bon. Encore plus long que l’autre…

Maud. — L’autre ?

Ninon. — Non, rien, je me comprends… Alors ? Je mets lequel ?

Maud. — Comme tu veux. C’est toi qui te maries. C’est toi qui choisis.

Ninon. — Oui, tu as raison. C’est moi qui me marie.

Ninon se lève de table.

Maud, avant Ninon, s’aperçoit que la robe qu’elle pense mettre pour son mariage est devenue très très courte.

Maud. — Ah.

Ninon. — Ah.

Maud. — Tu vas pas la mettre ?

Ninon regarde sa robe, à taille réduite.

Ninon. — Tu vas pas t’y mettre ?… Après la mère, au tour de la sœur. Mais qu’est-ce qu’elle leur a fait, cette robe ? Elle est très bien cette robe ! Je mettrai cette robe pour mon mariage !

Maud. — Mais on voit ta culotte !

Ninon baisse, comme elle peut, la robe très décolletée.

Ninon. — On voit plus ma culotte.

Maud. — Si.

Jocelyne se pointe.

Jocelyne. — Alors, on en est où ? Ah !…

Alors qu’elle pousse un cri d’horreur, un chewing-gum sort de sa bouche et atterrit dans les cheveux coiffés de Ninon.

Ninon. — Bon d’accord. Je vais en mettre une autre. J’ai compris. C’est un complot. Vous êtes toutes liées contre moi.

Jocelyne. — Attend !

Ninon. — Quoi ?

Jocelyne. — Non. Rien.

Ninon. — Si. Qu’est-ce qu’il y a, maman ? Dis-moi !

Jocelyne. — Un détail.

Ninon. — Un détail ?

Jocelyne. — Mon chewing-gum, je crois bien que…

Ninon. — Que… ?

Jocelyne. — Ah ben si. Merde !

Ninon. — Non, ne me dis pas que… ? Si ?…

Maud. — Si.

Jocelyne. — Attend. Bouge pas.

Jocelyne essaie mais n’arrive pas à enlever le chewing-gum des cheveux de Ninon.

Ninon. — Eh ! Mais arrête ! Tu me tires les cheveux, là !

Jocelyne. — Bouge pas !

Les cheveux de Ninon s’emmêlent et forment de gros nœuds.

Maud. — Il faut couper.

Ninon. — Non ! Je ne veux pas.

Jocelyne. — Pas le choix. Désolée.

Ninon. — Putain !

Ninon regarde dans le miroir de la salle de bain sa nouvelle coupe de cheveux.

Ninon. — Ça va…

Jocelyne. — Ta sœur a de très beaux pantalons. C’est original, ça. Pour une mariée. Un pantalon à la place de la si traditionnelle robe de mariée.

Le regard de Ninon montre que celle-ci semble appréciée l’idée.

Devant une pile de vêtements étalés sur le lit, Ninon essaie de rentrer ses fesses dans un pantalon.

Maud. — De la vaseline ?

Ninon. — …

Maud. — De la vaseline. Pour que ça glisse…

Le bouton du pantalon qu'essaie Ninon saute.

Maud rigole.

Ninon. — On va rester sur une robe !

Jocelyne. — Une des miennes.


Jocelyne fouille dans une armoire, en sort une robe de l’armoire, la montre à Ninon.

Jocelyne. — Elle est sympa.

Ninon. — Elle est trop moche !

Jocelyne sort une deuxième robe de l’armoire.

Jocelyne. — Elle est jolie ?

Ninon. — Hideuse !

Jocelyne sort une troisième robe de l’armoire.

Jocelyne. — Elle est…

Ninon. — Immonde !

Jocelyne sort une quatrième robe de l’armoire.

Ninon. — …

Jocelyne. — Elle te plaît ?

Ninon. — Tu blagues ?

Jocelyne. — Tu vas la mettre ?

Ninon. — …

Jocelyne. — Il t’attend.

Ninon est en train de s’habiller.

Jocelyne. — Nous la retrouvons Ninon en plein habillage.

Ninon enlève un chemisier, retire une jupe.

Jocelyne. — Elle se déshabille…

Ninon enfile une robe.

Jocelyne. — Elle s’habille pour son mariage.

Ninon enlève la robe.

Jocelyne. — Ma fille se déshabille…

Ninon met un t-shirt.

Jocelyne. — Ma fille Ninon s’habille pour son mariage.

Ninon enlève le t-shirt.

Jocelyne. — Ma fille ne sait pas ce qu’elle veut…

Ninon paraît énervée. Elle fait un doigt d’honneur à sa mère.

Jocelyne. — Ma fille nous fait un salut amical…

Ninon regarde les vêtements étendus autour d’elle. L’index de la main gauche de Jocelyne indique une petite horloge posée sur un meuble.


L’HEURE DU MARIAGE


Le bruit d’un verre tombant par terre mais ne se cassant pas.

Maud. — Putain ! Le coup de bol !

Ninon. — Le coup de bol ?

Maud ramasse un verre par terre.

Maud. — Ouais, le coup de bol ! Il est pas cassé. Il a rebondi sur le tapis.

Maud montre le verre à Ninon.

Maud. — Regarde ! Intact.

Ninon paraît furieuse s’aperçoit Maud.

Maud. — Qu’est-ce qu’il y a ? T’en fais une tête pour quelqu’un qui doit se marier aujourd’hui.

Une grande auréole de vin est présente sur la robe de Ninon. L’auréole à la forme d’un zizi.

Ninon. — Regarde ce que tu as fait. Toi, encore.

Maud fait semblant de chercher la tâche.

Maud. — Ah ! Ça !… Ça se voit à peine.

Furieuse, Ninon pousse Maud.

Ninon. — Tu fais vraiment chier…

Maud recule jusqu’à la table.

Maud. — Eh ! Fais attention !

Maud pose sa main sur une marmite, remplie de pâtes à la sauce bolognaise. La marmite bascule. Maud essaie de la rattraper mais, dans le mouvement, renverse son contenu sur la robe de Ninon. L’horloge de la cuisine indique l’heure du mariage. Ninon rougit de rage. Maud paraît confuse.

Maud. — Et voilà, j’avais prévenu.

Ninon. — File-moi ta robe !

Maud. — Quoi ? Et moi, je mets quoi, pour le mariage ?

Ninon. — Rien à foutre ! Tu me files, ta robe. Celle-là, elle va m’aller. C’est autre chose que tes robes de quand tu étais adolescente.

Jocelyne. — File-lui ta robe !

Maud. — Mais c’est elle, aussi. Avec son mariage, elle… Elle… C’est elle qui a renversé…

Jocelyne. — File-lui ta robe !

Maud. — Elle va pas lui aller.

Jocelyne. — On nous attend. File-lui ta robe !



APRÈS L’HEURE DU MARIAGE


Ninon, dans la robe portée par Jocelyne dans la villa le matin même, est debout et attend quelqu’un.

Arrive Anne-Louise, accompagnée de Charles-Henri qui porte un jogging.

Anne-Louise et Jocelyne se rapprochent l’une de l’autre.

Anne-Louise. — Enchantée !

Jocelyne. — Enchantée !

Jocelyne et Anne-Louise se regardent amoureusement.

Charles-Henri se rapproche de Ninon.

Charles-Henri. — Vraiment désolé, Ninon. Je ne peux pas. Je ne peux pas faire semblant de t’aimer. Même pour profiter de ton fric. Je ne peux pas. Désolé.

Ninon éclate en sanglots.

Jocelyne et Maud viennent, de suite, la réconforter, tout comme Anne-Louise. Charles-Henri reste à l’écart et paraît mal à l’aise.

Ninon. — Et qu’est-ce qu’on va leur dire ? Aux invités.

Jocelyne. — On a une solution. Nous !

Ninon lève les yeux, en essuyant ses larmes.

Ninon. — Vous ?

Ninon et des invités suivent un cortège de gardes spécialisés en arts martiaux encadrant un coffret que reçoit Jocelyne.

Anne-Louise en sort le bouquet de la mariée.

Les invités paraissent illuminés par sa beauté et ses vertus.

Ils s’agenouillent comme pour se prosterner devant le bouquet de la mariée.

Ninon reste debout, paraissant trouver un peu grotesque le comportement de ceux l’entourant.

Les invités. — Le bouquet ! Le bouquet ! Le bouquet !…

Ninon fait un tour sur elle-même pour se rendre compte que l’ensemble des invités au mariage prie pour recevoir le bouquet de la mariée.

Elle prend peur lorsque l’une des invités, comme possédé, se met à gesticuler et tourne autour d’elle, en crachotant.

L’invitée possédée. — Le bouquet ! Ah ! Le bouquet ! Arg ! Le putain d’enculé de bouquet ! La pute de putain d’enculé de bouquet ! Arg ! Pute ! Putain ! L’enculé !

Ninon préfère ne rien faire, terrorisée par cette invitée possédée, et injurieuse, dont les yeux deviennent blancs.

Jocelyne s’avance, en levant les bras au ciel.

Jocelyne. — Levez vous !

Les invités se lèvent.

Jocelyne écarte les bras, donnant l’impression de manier des marionnettes.

Jocelyne. — Séparez-vous !

Les invités se divisent en deux groupes, un qui se dirige vers la gauche de la salle et un qui se dirige vers la partie droite de la salle.

Ninon se fait pousser sur le côté droit, bien malgré elle. Elle s’aperçoit qu’une allée centrale prend forme au milieu de la salle des fêtes. Maud est de l’autre côté, face à elle. Elle envoie un signe menaçant à Maud.

En se retournant, Anne-Louise jette le bouquet de la mariée en l’air.

Ninon et les invités regardent le bouquet atteindre et rester accrocher à une lampe de la salle des fêtes.

Jocelyne prend le chapeau fantaisie de Maud et le sépare en plusieurs éléments. Ainsi, elle forme un arc grâce à ces éléments qu’elle utilise pour frapper la lampe et parvenir à décrocher le bouquet.

Jocelyne jette le bouquet de la mariée, derrière elle.

Ninon l’observe se déplacer dans les airs, cette fois-ci dans la bonne direction : celles de l’allée centrale.

Maud surgit et l’attrape, dans une pirouette : un genre de salto arrière.

Maud atterrit au milieu de l’allée centrale.

Les invités ne bougent pas.

Maud reste immobile, elle aussi.

Jocelyne tend une enveloppe à Anne-Louise qui la prend en souriant puis l’ouvre, en sort un papier et le lit.

Anne-Louise.

Anne-Louise. — Trois. Deux. Un…

Elle s’arrête.

Jocelyne, d’un geste, lui suggère de retourner la feuille. Cette dernière lit le verso de la feuille.

Anne-Louise. — Partez !

Les deux groupes d’invités se rejoignent en se ruent les uns contre les autres, en se dirigeant vers le bouquet, et donc, vers Maud, qui ne peut le garder avec elle.

Ninon, au milieu d’un groupe compact d’invités, comme dans une machine à laver, se fait trimballer à gauche et à droite, en essayant d’attraper des fleurs du bouquet aperçues par terre.

Ninon cherche à reculer, lorsqu’elle s’aperçoit que le bouquet est proche d’elle mais ne peut pas car des invités, prêts à en découdre pour l’obtention du précieux talisman, l’empêchent de passer.

Ninon se fait écraser sa main par un pied lorsqu’elle approche des fleurs. Elle hurle sans réussir à dégager sa main de dessous la chaussure pointure cinquante.

Ninon sourit en brandissant trois fleurs tordues.

Elle évite plusieurs invités plongeant sur elle.

Alors que Jocelyne et Anne-Louise s’embrassent, Ninon sort de la salle des fêtes, avec le bouquet de la mariée, qu’elle garde précieusement contre sa poitrine.



UNE SEMAINE APRÈS


De scintillantes décorations illuminent une rue piétonne. Ninon remonte la rue qui est peu éclairée, avec ce qu’il reste du bouquet de la mariée. Elle slalome entre les flaques de boue et les lampadaires.

Ninon suit Théo. Il marche dans les flaques de boue.

Ninon. — Théo !

Continuant de marcher d'un bon pas, Théo jette un coup d'œil furtif vers elle. Il presse le pas. Ninon aussi, ce qui fait tomber des fleurs fanées de son bouquet une à une.

Ninon. — Théo !

Il se retourne par moment, lors de sa course, pour visualiser la distance la séparant de sa poursuivante.

Ninon. — Théo !

Il s’aperçoit qu’elle se rapproche de lui et ne tient pas compte de ses appels, même si celle-ci tient des fleurs et qu’elle cherche à les lui offrir.

Théo saute par dessus plusieurs panneaux de chantiers, comme faisant un cent mètres haies.

Ils se retrouvent au coude à coude, lors de ce cent mètres haies improvisé avec pour ligne d’arrivée une banderole de chantier annonçant un danger.

Théo stoppe sa course avant la banderole et laisse Ninon la franchir en premier puis tomber dans un trou caché derrière.

Ninon. — Théo !

Théo, avant qu'elle sorte du trou et se remette à la courser avec ses fleurs, part se cacher derrière un arbre.

Ninon est surprise de s’apercevoir que Théo se trouve derrière cet arbre.

Ninon. — Tu n’aimes pas les fleurs ?

Il caresse l’épaule droite de Ninon.

Théo. — Tu es gentille, Ninon. Tu es une gentille fille. Je ne peux le nier. Mais j’ai besoin d’autre chose qu’une gentille fille. Tu ne me… Comment te dire ça ? Je ne voudrais pas te blesser. Tu es gentille, Ninon. Pourquoi blesser une si gentille fille que toi ?

Ninon. — Tu attends quoi de moi ?

Théo. — Tu es gentille.

Elle essaie de l’embrasser sur la bouche. Il tourne la tête.

Théo. — Tu es gentille, Ninon. Mais là, non. Qu’est-ce qu’on a dit ?

Ninon. — C’est toi qui l’as dit. Moi j’ai dit : « Je veux qu’on reste ensemble. ».

Théo. — On est plus ensemble. On n’a jamais été ensemble. C’était juste pour la soirée.

Il recule devant Ninon alors qu’elle cherche à le prendre dans ses bras.

Théo. — Ne complique pas les choses. Tu es gentille. Tu es une gentille fille, Ninon.

Ninon sourit.

Théo. — On a passé une soirée ensemble. C’est déjà bien, non ?

Ninon. — J’ai été gentille avec toi. Pourquoi es-tu méchant avec moi ?

Théo. — Tu as été gentille avec moi. J’en suis conscient. C’est pour ça qu’on a passé la nuit ensemble. J’ai aimé ce moment. Tu as aimé ce moment ?

Ninon se remet à sourire. Elle tend ses lèvres. Théo reste immobile.

Théo. — Et ta mère ?

Ninon garde sa position, bouche en avant.

Théo. — Ta mère, elle doit pas venir te chercher, aujourd’hui ?

Ninon. — Ah non. Je suis toute à toi, aujourd’hui. On peut aller dans ton appartement, si tu veux. J’ai acheté des capotes.

Théo se retourne, elle l’attrape par le bras.

Ninon. — Je te causais.

Théo. — Je dois y aller, Ninon. Tu es gentille mais… Je dois y aller. J’ai du boulot, moi. Content de t’avoir revue.

Ninon le suit. Il s’arrête.

Théo. — Tu fais quoi ? Tu me suis ?

Ninon. — Oui, je te suis.

Théo. — …

Ninon. — Je veux savoir où tu travailles. Comme ça je pourrai passer te voir. Lors de tes pauses, bien entendu. Je suis pas du genre à m’incruster chez les gens, moi. C’est comme tu veux ? Je viendrai avec des capotes.

Théo. — On dirait que tu n’as pas compris, Ninon. Ou que tu fais semblant de ne pas comprendre. Peu importe. Ninon, tu ne me plais pas. Ninon, je me suis bien amusée avec toi. Ninon, tu es gentille. Ninon, au revoir.

Il la salue de la main.

Ninon suit Théo. Il traverse la rue. Elle traverse la rue.

Théo pose sa main sur la poignée de la portière d’une décapotable.

Ninon. — Théo !

Il se retourne.

Théo. — Ninon ? Mais qu’est-ce que tu veux encore ? Je dois aller travailler, moi. Je ne peux pas rester avec toi. Tu dois l’accepter. Aujourd’hui. Comme demain. Comme après-demain. Et les autres jours de la semaine, du mois, de l’année.

Ninon. — Et l’année prochaine ?

Il se gratte le menton.

Théo. — Euh…

Ninon. — Tu réfléchis ?

Théo. — …

Ninon. — Tu sais, moi, je suis patiente, quand je veux. Ma mère et Maud me le disent souvent. Je t’assure. Tu pourras leur demander.

Théo. — Non. Pas la peine.

Ninon tend sa capuche pour abriter Théo mais il entre dans sa voiture.

Elle tape au carreau dès que Théo ferme la portière derrière lui, la laissant, piteuse, grincheuse, pleurnicheuse, sous une pluie qui forcit.

Elle se retient, toutefois, de monter la colère qui la gagne. Elle garde son sourire.

Le carreau se baisse, après des insistances de Ninon à taper dessus.

Théo. — Quoi encore ?… Et dépêche ! Mes sièges vont être trempés. Tu abuses vraiment, toi. Quelle chiante ! Tu sais combien que ça coûte des sièges comme ça. Du cuir de vachette.

Ninon. — Je peux monter deux secondes ?

Elle prend un air qui doit persuader Théo de répondre positivement à sa demande.

Il remonte la vitre côté conducteur.

Ninon passe devant la voiture, l’obligeant à retarder son départ.

Théo regarde derrière lui mais un véhicule mal garé autant que ceux qui arrivent dans la rue l’empêchent de partir en marche arrière.

Ninon entre dans la voiture. Elle s’installe.

Théo. — Tu fais vite !

Ninon. — Je voulais juste revenir sur un point. J’y repensais l’autre soir. Je voulais t’en parler. Mais comme tu avais oublié de me laisser ton numéro de téléphone. Heureusement que je suis allée faire mes courses ce matin. Sinon…

Théo. — Tu as le droit d’abréger. Je ne t’en voudrais pas.

Théo tourne la clef dans le démarreur, dans un sens puis dans l’autre, ne manque de lui signifier son impatience. Elle attrape la cuisse droite de Théo et la tire vers elle. La main de Ninon glisse, en remontant jusqu’à la fermeture éclair du pantalon de Théo.

Ninon. — J’ai des capotes, tu sais.

Théo. — J’avais compris, oui.

Théo la regarde avec pitié.

Ninon. — L’autre soir, tu me parlais pas sur ce ton. Tu les cherchais les capotes, en boîte. Maintenant que j’en ai. Ça ne t’intéresse plus. Tu es vraiment un mec bizarre !

Théo. — J’ai du boulot. Tu peux sortir.

Ninon. — Tu m’as même pas laissé parler. C’est dingue, ça. L’autre soir, tu…

Théo. — L’autre soir, c’était l’autre soir. J’aurais pas dû te laisser monter dans ma bagnole. Tu peux…

Théo lui montre la direction de la sortie.

Ninon. — Il pleut !

Théo. — …

Ninon. — Donc les capotes, c’est non ? Tu t’en fous ? Je me suis fais chier à aller les acheter à la pharmacie. Avec les clients qui rigolaient. Le vieux couple qui habitent à côté de chez moi. Tu les connais ?

Théo. — Non mais je m’en fous.

Ninon. — Figure-toi qu’ils y étaient. Je les ai entendus. Leurs réflexions. Mesquines. A croire qu’ils ne baisent plus, ces cons. Ces vieux cons. Quels vieux cons !… Tu les connais ?

Théo. — Non mais je m’en fous. J’attends juste que tu te casses de ma bagnole. Mon boulot m’attend. Quand tu travailleras, tu comprendras. Je n’ai pas hérité, moi. Je dois gagner de l’argent pour payer mon loyer, mes factures.

Ninon absorbe les attaques, les digère. Elle montre un visage rayonnant, déstabilisant, souriant. Inatteignable, sûre d’elle.

Théo. — T’en as rien à foutre de ce que je te dis ?

Ninon. — J’attends que la pluie cesse.

Théo tourne la clef de contact et éteint le moteur de sa voiture.

Théo. — Bon. Tu voulais quoi ?

Une plage ensoleillée. Les pieds dans l'eau. Ninon donne un petit écrin rectangulaire à Théo. Il l’ouvre, il découvre une bague.

Ninon. — Dis oui ! Dis oui ! Dis oui !