1. UNE ÉTRANGETÉ

Trois. Quatre. Cinq jours. Et oui, cinq jours passés à rigoler, à s’embrasser. À beaucoup s’embrasser. Entre deux rigolades. Elle me plaît. Où ça va me mener ? Cinq jours, c’est peu. Cinq jours, c’est beaucoup. Beaucoup de bons moments partagés à deux.

Ça ressemble à quoi ? Appelons-ça un flirt. Un flirt qui évolue vers quoi ? Appelons-ça le début, le début du commencement d’une amourette. Déjà ?

Je m’emballe, moi. Cinq jours de bisous. C’est juste cinq jours de bisous. Les bisous, ça veut rien dire, ça engage à rien. Même si elle me plaît beaucoup. On peut pas parler d’amourette, je la connais pas. Je la connais peu.

Juste un flirt. Avec elle. Nadia. La jolie Nadia. Pas prévue au programme, cette belle rencontre ! Elle me plaît. J’en re-demande.


J’ai pas envie que ça tourne mal cette relation. Comme avec l’autre avant. Je veux plus me souvenir de son prénom. Elle me manque pas. Pas du tout. De sa faute notre séparation. Je ne veux plus m’en souvenir. C’est différent, cette fois. On part sur de bonnes bases. Ça semble du solide, dès le départ.

Je m’emballe, non ? Si, quand même. Nadia, si mystérieuse Nadia. Mais qui es-tu ? Que caches-tu ? Trop d’inconnus autour de toi, Nadia. Et si ça se trouve, ça va faire comme avec celle d’avant celle d’avant. Je ne veux plus me souvenir de son prénom. Pour elle, c’est pareil. Le prénom de ses ex, on n’oublie. On les oublie. C’est comme ça. C’est mieux pour tout le monde, ainsi.

Celle d’avant celle d’avant, pas la meilleure idée de l’année dernière d’accepter de sortir avec elle. On sort avec elle, on sort avec sa famille au grand complet. Niveau intimité, on approche le zéro absolu. Pas à refaire.


Mais là c’est différent. Nadia, elle ne ressemble à aucune autre. Elle est parfaite. Elle est faite pour moi.

Déjà, elle… elle… elle est différente des autres. Ça se voit tout de suite.

Je lui trouve que des qualités. Cinq jours, cinq jours de découvertes positives. Je la pense parfaite.

Le visage de José proche et qui suit un filet de bave descendant.

Il ne peut en être autrement. Maintenant, je sais reconnaître les bonnes rencontres.

Nadia fait partie des bonnes rencontres. Évidemment.


Je décide de parler de Nadia à Baloo, mon chien, mon confident.

Moi. — Oui, tu as le droit de savoir que j’ai rencontré quelqu’un de bien. Nadia qu’elle s’appelle. Je dis qu’elle me plaît. Je dis ça, je dis ça… Il y a rien d’officiel.

Au cours de la semaine suivante, au compte-gouttes, je lui donne des détails sur ma nouvelle conquête. Il m’écoute. Mon chien, mon confident.

Moi. — Elle est… Elle est… Si tu la connaissais, tu comprendrais. Mais tu vas la connaître. Je vais l’inviter. Je vais te la présenter. Sûr que vous allez bien vous entendre. Parce qu’elle est… Elle est… Oui, vraiment. Je te dis ça. Il y a rien d’officiel.


Je pense souvent à elle. Nadia, oui. Je pense à son sourire, à ses dents. Ses yeux rieurs. Sa jolie petite bouille. Son joli petit boule. Toujours bien habillée, Nadia. Bien maquillée, bien coiffée. Comment fait-elle ? Elle est parfaite. La femme parfaite, c’est elle ! Nadia, je pense souvent à elle.

Et elle ? Pense-t-elle à moi aussi souvent que je pense à elle ? Une question à lui poser. Ou non. Non, ça se fait pas. Elle pense à moi, on va dire. Oui, je pense. On est sur la même longueur d’onde. Ça doit aller avec.

J’aime l’imaginer toute nue dans son bain. Si, elle a une baignoire. Non, elle a plus de baignoire. Elle me l’a dit. Qu’est-ce que je raconte, moi ? Elle embrouille mon esprit. Les travaux de rénovation dans son appartement. Une douche à l’italienne en remplacement de sa baignoire. La raison pour laquelle elle ne peut inviter personne chez elle depuis plusieurs semaines. J’aime l’imaginer nue dans sa toute nouvelle douche à l’italienne. Et moi, j’arrive. Je viens la savonner. Et je la savonne, la savonne. Où elle veut. Quand elle veut.


Je revois Nadia. Ça se passe toujours bien entre nous. J’en apprends sur elle. Son enthousiasme s’ajoute à son charme naturel. Elle me transporte, elle m’envoie valser. Nous passons d’une danse à l’autre. Collés, serrés. Je la suis davantage qu’elle me suit. Ma cavalière. Elle me fait me sentir bon danseur. Elle arrive à ça. Sacrément douée, Nadia. Nos corps s’accordent sur la piste. La musique nous entoure. On se croient seuls au monde. Et je veux le tenter ce porté. Oui, je le veux ! Oui, je le regrette. L’ensemble de ma colonne vertébrale le regrette autant que mes genoux et mes hanches. Une longue semaine durant. Je ne lui en veux pas. Je prends mes médicaments. Je l’apprécie toujours. Une bousculade, voilà le pourquoi. Nos corps lamentablement bousculés, ce soir-là. Mais on va se revoir. On va se rappeler. Après ma troisième séance de kiné. Oui, on va se rappeler parce qu’à un moment il va falloir qu’on parle sexualité.


Je m’en aperçois. Et heureusement que je m’en aperçois. Mais ça change quoi ? Je le ressens au plus profond de moi. Mes sentiments pour elle qui vont grandissant.

Elle le mérite. On va dire ça. Du coup, ça reste de l’ordre du raisonnable. Elle ne joue pas avec mes sentiments. Toujours ça. Et une grande première. Étrange !

Je perds en maîtrise. Des fois, quand on se voit, quand je la vois, je ne me contrôle pas. Elle demande, je dis oui. Elle veut, je dis oui.

Heureusement qu’elle ne me demande rien. Heureusement qu’elle ne veut rien obtenir de moi. Simplement du partage. La parité. L’égalité… Quelle étrangeté !


Je dois faire attention. Je sais comment cela peut se terminer. Je m’attache, je m’attache trop. Elle me quitte, elles me quittent. C’est arrivé souvent, finalement. La séparation. Abandon. Remise en question. Remise à niveau. La suivante !

Pas de suivante. Je ne veux pas qu’elle me quitte, celle-là. C’est ma Nadia. Elle veut pas me quitter ? Je m’interroge maintenant. Mais j’en sais rien. Faut que je lui téléphone. Qu’on mette les choses au clair. Je dois savoir… Non, ça risque de lui donner des idées. Une mauvaise idée, celle de vraiment, pour de vrai, sans blaguer, me quitter. Et pour quelle raison ? Sans raison qu’elle va dire.

Elle va dire que c’est moi qui veut la quitter. C’est pour ça que je lui téléphone alors qu’elle regarde sa série préférée avec sa mère, et chez sa mère parce qu’elle doit rester dormir quelques jours chez sa mère le temps des travaux, et que sa mère me passe le bonsoir parce que sa mère reste toujours en bons termes avec les ex de sa fille adorée.


Je le ressens, un peu plus chaque jour passé à ses côtés.

Elle n’ose rien dire. Son regard parle pour elle. Le message clair, ouvert. Des paroles transmises par ses yeux. Clairs, grand ouverts.

Je sais ce qu’elle veut. Que je me décide à l’officialiser notre relation. Notre couple. Afin de passer un palier. Pour qu’elle puisse s’ouvrir à moi encore davantage.

Je repousse l’échéance. Elle ne m’en veut pas. Elle me comprend, ne veut pas me précipiter.

Mais pourquoi est-elle comme ça avec moi ? Pas l’habitude, moi. Vraiment étrange cette femme. Tant de patience. Si délicate. Étrange !

Elle embrasse bien. J’en re-demande.


Officialiser notre couple ? Est-ce si important ? On s’aime. Le divulguer ? Au risque de créer des jalousies, le retour d’un ou d’une ex d’un pays lointain juste pour casser tout ça. Mettre de la pagaille. Prendre le risque d’un conflit familial. Surtout amener cette possibilité que cela change quelque chose. Entre nous. Dans notre relation au quotidien. Des obligations qui arrivent. De l’insouciance qui disparaît. Autant de conséquences vécues.

Il est tout à fait possible que cela se passe différemment avec Nadia. Quelques indices me laissent l’envisager. L’importance de garder une part de liberté, déjà, même en étant en couple. Dans la limite de la fidélité, bien entendu. La confiance règne et permet cela. Elle me rassure sur ses intentions, évite les malentendus. J’en fais de même. Parce que l’on s’aime. Moi et la si, la trop, la parfaitement parfaite. Moi et Nadia. L’étrange Nadia. Tellement différente des autres.


Je commence à bien la connaître. C’est pas suffisant. Sa meilleure amie, elle en sait tellement plus que moi sur Nadia. Mais je ne peux rien en tirer. Déjà essayé.

Moi. — Et Nadia ?…

Inès. — ...

Elle dévie, elle me parle d’aller faire des longueurs à la piscine intercommunale. Là où elle est maîtresse-nageuse. Elle me parle de cours particuliers. Pour m’améliorer. Elle me donne les tarifs des cartes d’abonnement.

De manière générale, elle amène la discussion où ça m’intéresse peu. L’entretien physique. La nutrition. Le diététique.

Moi. — Eh !… On n’a même pas parlé de Nadia…

D’un autre côté, ne rien officialiser peut signifier ne pas assumer. À ne pas l’annoncer, à ne pas afficher ma fierté d’être à ses côtés. Elle va finir pas croire qu’elle me fait honte. Que je la cache volontairement, que je lui invente de faux prétextes, juste pour la garder dans l’ombre. C’est tout le contraire. Je la préserve. Je préserve notre couple. Si récent, si fragile. Nadia, elle a rien d’une bête curieuse ! Elle curieuse, je le suis aussi. Elle n’est pas bête. Je dois l’être. Trop, encore trop de questions sans réponse. La durée de notre relation, ça se compte en semaines. Prématuré de tout annoncer. Partout. À tout le monde. Je crois qu’elle peut mal le prendre, à un moment, quel moment, d’être constamment écartée des conversations traitant de ma vie sentimentale. Je crois, et c’est tant mieux, qu’elle en ignore, la fréquence. Il y a des jours où l’on me parle de la météo. Et de mon célibat. Il y a d’autres jours où l’on me parle de mon célibat, comme ça, directement, on ne sait pas pourquoi. Et de la météo. Il va sûrement pleuvoir. Toujours célibataire ? Il va sûrement faire beau. Toujours célibataire ? Des nuages, tiens donc. Toujours célibataire ?


Accroupi face à Baloo, je tiens sa gueule baveuse entre mes mains.

Moi. — Je fais bien, hein ? Je préfère. On a eu de mauvaises surprises, hein ? Tous les deux. Je pense aussi à toi. C’est normal, tu es mon chien. Il faut qu’elle t’accepte comme tu es. Avec tes qualités et tes défauts. On a tous des défauts. Ne te vexe pas, mon gros Baloo. Le plus important, c’est d’avoir plus de qualités que de défauts.

Je le caresse pour le rassurer.

Moi. — Tu sais, je lui ai parlé de toi. Elle a hâte de faire ta connaissance. Je vais l’inviter. Je vais ranger. Je vais faire du ménage. On va l’inviter. Toi aussi, elle va t’aimer.

Nous marchons côte à côte, rentrons à la maison après cette promenade.

Moi. — Nadia a une chatte. Qu’elle garde chez elle. Sa chatte ne sort pas de chez elle. Nadia viendra sans sa chatte.

Nous sortons de la forêt.

Moi. — J’ai dit à personne que mon gros toutou de Baloo avait peur des chattes. T’inquiète pas. Ça reste entre nous.


Faut pas, ça non, qu’un truc vienne tout compromettre. Rester à l’affût. Un truc, un machin chose bidule qui débarque d’on ne sait où. Le prix de l’engagement à payer.

Rien à déclarer. Jusque là. On reste en surface, l’explication toute trouvée. Quand on va naviguer en zone profonde, on verra à ce moment-là.

Le vice caché, s’il existe, je dois le trouver, je dois le connaître. Tant qu’il est encore temps.

Les fouilles vont commencer. Je ne peux pas passer à côté. Elle est trop parfaite, semble l’être. Creusons. Forons. Analysons. Détectons. Jusqu’à une prise de décision.



2. CONFIDENCES


Une soirée à deux. Écourtée car devenue une soirée à trois. Sa meilleure amie, sa confidente, la maîtresse-nageuse de la piscine intercommunale. Inès.

Une lesbienne en couple. Avec une enfant adopté en début d’année. Élégante, dynamique. Inès.

Athlétique, compétitrice, fougueuse. Inès.

Elle me serre la main.

Inès. — Je joue avec Nadia. Nous deux contre toi.

Entre nous, Inès.

Inès. — Ma meuf préférée. Après ma femme, forcément.

Nadia. — Oui. Hi ! Hi ! Hi !

Moi. — On peut jouer ?

Je ne cherche même plus à en apprendre sur Nadia en sondant sa meilleure amie. Elle lui raconte tout. Elle me raconte rien. Un accord entre elles, je vois que ça. Pourtant, je pense la jouer fine avec elle. La dernière fois, je fais quoi, je lui paye un verre. Rien. Et après, je lui achète sa très chère carte d’abonnement annuel à sa piscine. Rien.

J’hésite, oui, à me l’acheter ce maillot de bain qui moule sérieusement. Et est-ce que je les prends ces fameux cours en particulier, que l’autre m’a tant vanté ? Un pour commencer. Imaginons qu’en retour toujours rien, rien de rien. Pas la moindre miette d’information croustillante ou non à me mettre sous la dent. En plus, il faut un maillot de bain. Une serviette de bain. Un gel de douche. Un grand sac de sport. Des palmes ? Non. Une bouée ? Non. Je ne sais pas bien nager.

Et puis me mettre à moitié à poil devant tant de corps sculptés par le sport. J’hésite. Elle essaie de m’influencer, l’autre. Sa meilleure amie, qu’elle dit. Ça ne fonctionne pas avec moi, ces choses-là. Avec Nadia, oui. Tout le temps, je remarque ça. Elle l’embarque avec elle. Nadia, elle lui refuse rien. La preuve, notre soirée en amoureux qui vire au plan à trois. J’invente rien.

Le billard vide, notre partie terminée.

Moi. — Nadia, ma chérie ?… Je peux… Tu me dis quand je peux ?… Nadia, c’est bon, tu as terminé ? Je peux te parler ? En privé. Juste toi et moi. C’est possible ?

Nadia. — Je suis à toi, tout de suite, mon chéri.

Un tout de suite synonyme, dans sa bouche, d’une espérée brève attente. Vingt-six minutes plus tard…

Je prend un bras de Nadia, lui signifie une conversation à deux.

Nadia. — Tu voulais me dire quoi ?

Moi. — Euh… Ben… C’est que… Juste toi et moi, tu vois ?

Le bras ouverts vers elle, Nadia me montre Inès.

Nadia. — Tu peux tout dire devant elle. Elle est comme ma sœur. On se partage tout. À part les bonhommes. Hi ! Hi ! Hi ! Normal, elle préfère les bonnes femmes. Mais elle aime pas qu’on en parle. Sa vie privée. Ça se respecte, n’est-ce pas ?

Moi. — Oui, d’accord. Elle couche avec qui elle veut. Comme toi… Non, je dis n’importe quoi. Nous, de toute manière, nous on ne…

Nadia. — Tu voulais quoi, mon chéri ?

Moi. — T’inviter chez moi. Pour visiter.

Le temps du trajet, Nadia me répète que la colère de sa meilleure amie est passagère. Son tempérament. La lesbienne ne m’en veut déjà plus, insiste-t-elle quand je lui avoue avoir du mal à y croire. Le dessus de ma hanche droite encore douloureux. Qui retire sa doudoune si brusquement d’une sculpture en métal utilisée comme porte-manteaux par nous trois ce soir-là ? Qui fait ça ? Surtout, qui n’aide à relever quelqu’un, un galant homme retrouvé au sol suite à un élan émotionnel non maîtrisé ? Qui fait ça ?

Mais Nadia est là. Avec moi. La rencontre tant redoutée avec mon animal préféré, elle approche. J’ouvre et, comme à son habitude, il reste affalé sur le canapé du salon. Hormis un léger lever d’oreille, aucune réaction à l’arrivée de Nadia dans son espace de détente. Plutôt satisfait. Nadia tente une caresse sur le haut de son crâne poilu et il bave. Elle lui sourit et il bave. Je propose une visite des autres pièces, maintenant qu’elles sont rangées et nettoyées. Elle dit oui et il bave. Nadia me suit partout où je l’autorise à mettre les pieds. Aucun commentaire désobligeant. J’apprécie. Question de liberté d’aménagement.

La chambre à coucher. Comment je la présente, en espérant qu’elle comprenne le message. Elle me renvoie dans les cordes. Sans le vouloir. La nature qui décide. Un événement mensuel pile le soir où elle s’allonge dans mon lit pour en vérifier le confort et la solidité, la stabilité du sommier.

Elle utilise les mots justes. De quoi garder mon impatience derrière la braguette. Elle me plaît. Physiquement, elle m’attire, elle grossit mon intérêt pour elle, ses formes généreuses à souhait. Quand elle se dévêtit, j’espère l’entendre dire qu’elle vient de changer d’avis. Elle se glisse sous l’épaisse couverture. J’ai ma réponse.

Ses vêtements puis ses sous-vêtements, elle les enlève un à un. Un strip-tease, tout ça cachée dans mon lit. Nue dans mon lit. Moi hors de mon lit. Je pense m’allonger à ses côtés sans y toucher. Elle ne veut pas, répond-elle, elle ne veut pas quand elle les a. Ça ne se négocie pas. Je respecte ça . Je l’oblige à rien. Elle me souhaite une bonne nuit.

Moi. — Ah oui, c’est bien ça. C’est… Bonne nuit !

Évitons la négociation. Dans mon lit, prendre ça comme une première étape. Elle me plaît. Ne pas tout gâcher.

Il ne sort pas ce soir. C’est moi qui sort. De ma chambre. Elle dort déjà, ne ronfle pas. Je l’aime déjà.

Accroupi, un doigt sur la gueule de Baloo.

Moi. — Chut, mon Baloo ! Elle fait dodo.

Je l’amène à cesser de renifler à la porte de sa chambre, m’apprête à le prendre par son collier. Je chuchote à son oreille.

Moi. — On la verra, demain matin. Pour le petit déjeuner.

À situation inhabituelle, de mon chien, mon fidèle, une réaction inhabituelle.

Il grogne et montre les crocs contre la porte de la chambre de son maître occupée mais sans lui.

Moi. — Non, Baloo. Je lui ai donné mon accord. Tout va bien. Demain, je récupère ma chambre.


Faudra que je pense à vider l’autre chambre et y mettre un lit.

Ça peut toujours servir. En cas d’imprévu. L’autre chambre, c’est un grenier.

Ou alors j’envoie tout à dégager. À la déchetterie. Non, quand même pas. Il y a des choses qui peuvent servir là-dedans.

Ça peut servir. À d’autres que moi. J’en fais rien. Je vais les envoyer à une association.

La meilleure idée. En faire profiter ceux qui en ont besoin. Après un tri. Sûrement des choses à dégager, quand même, là-dedans. Ça pue le moisi. Le renfermé et le moisi. Tenir Nadia éloignée de cette pièce. Éviter qu’elle retienne que ça de chez moi. Qu’elle dise, et re-dise, que chez moi, et bien ça pue le moisi. Le renfermé et le moisi.

Au milieu de la nuit… Mais qu’est-ce qu’il me fait encore, celui-ci ? Il en rate pas une. Elle est réveillée, elle va arriver. Je fais quoi ? Sa culotte, non mais vraiment. Elle va quitter. C’est fini. C’est foutu. Baloo, il déconne, là. Pourquoi il fait ça ? Je ne comprends pas. Il ne l’aime pas. Mais pourtant… pourtant… Non, il ne l’aime pas. Pourquoi ? Il a senti un truc qui cloche chez elle. Grâce à son odorat sur-développé. J’ai pu, j’ai dû passer à côté. La culotte. Dans la culotte. Un hasard qu’il m’amène sa culotte ? Ou un message à me faire porter, à sa manière. Quelque chose d’étrange dans la culotte de Nadia ? Un homme, Nadia ? Quand j’y pense, toutes ces mains, les miennes, repoussées, et moi qui met ça, à chaque fois, sur le compte de sa timidité ajoutée à ma demande de prendre le temps dans notre relation de couple respectée. Dans sa culotte, peut-être y reste-t-il un attribut de sa masculinité. Pas eu l’occasion de le vérifier. Elle se retire dès que j’approche la zone. Elle veut discuter. Elle veut me connaître davantage avant de me laisser disposer de son corps dans son entièreté. Je respecte ça. Combien de jours que l’on s’embrasse ? Que notre relation est autre qu’amicale ? J’attends que ça vienne d’elle, qu’elle m’autorise à y aller. Je n’ose pas, de peur de la faire fuir. Qu’elle me prenne pour un obsédé. Ou je ne sais qu’elle genre d’homme dépourvu de galanterie. Maintenant, je retrouve à demander si, dans sa culotte, sous sa jupe, il y a pas un petit quelque chose de dissimuler. Bien caché mais elle peut y arriver. Non, c’est pas possible. Toutes ses soirées passées ensemble sans rien remarquer. Mais Baloo ? La culotte dans sa gueule ? Je suis pas bien réveillé, mon cerveau fonctionne mal. Je vais me rendormir. Demain matin, je vais lui rendre sa culotte et tout va rentrer dans l’ordre.

Une confirmation quand Nadia se pointa avant que mes yeux ne se referment. Une confirmation de mon erreur d’interprétation. Elle, les fesses à l’air.

J’évite toute blague de mauvais goût mentionnant le fait qu’elle ma dit venir chez moi sans sa chatte.

Me mordant les lèvres.

Nadia est une femme. Une belle femme qui réclame sa culotte, celle qu’elle préfère mettre mes jours où elle les a. Je fais semblant de comprendre tout ce qu’elle se raconte sur un si délicat sujet. Me retrouve à approuver, à feindre de la compréhension. Cette culotte, il me la faut.

Penché vers Baloo, je lui ordonne de rendre la culotte de Nadia.

Moi. — Baloo, tu vas être un gentil toutou.

Surtout ne pas la déchirer.

Je tire dessus et mon chien, voulant jouer, ne la relâche pas.

Moi. — Non, Baloo, pas l’heure de jouer. Pas avec ça. C’est à Nadia. Elle en a besoin. Tout de suite.

Retenu de gronder Baloo par Nadia.

Nadia. — José, c’est pas grave. Il a rien fait de mal. Il veut jouer, c’est tout.

Elle complète, me confie faire du bénévolat. Les associations de protection animale, elle les rejoint au moins une fois par mois.

Encore une qualité à mettre à son actif. Nadia aime les animaux. Elle aime Baloo. Le prend comme il est.

Baloo crache la culotte toute baveuse sur mes pieds.

Quand d’autres vont pisser, chier, elle dit aller aux toilettes. La femme parfaite.

Elle me tient les mains, yeux dans mes yeux.

Nadia. — J’avais laissé la porte de la chambre ouverte. Quand je suis allée aux toilettes.

Moi. — Aux toilettes ?

Nadia. — Oui, aux toilettes.

Demain matin, non, c’est dans quelques heures. Je la prends au réveil. Je la prends.

Je consulte ma montre qui indique qu’il est quatre heures du matin.

Nadia. — Je vais me coucher. Je travaille tout à l’heure.

Je la laisse pas en placer une. C’est qui le bonhomme ? Je l’embroche, elle grimpe au rideau.

Je repositionne le rideau dans la tringle. Je la tringle. Je répète l’exercice jusqu’à ce qu’entendre crier mon prénom accompagné de louanges.

Je m’endors dans le canapé sur des pensées sexuelles.

Quelques heures plus tard…

Nadia me secoue pour me réveiller.

Nadia. — José ! José !

J’émerge en même temps que Baloo.

Moi. — C’est réglé ?

Nadia. — ??

Moi. — Déréglée ?

Nadia. — ??

Je me redresse dans le canapé.

Nadia. — Tu me ramènes chez moi ?

Moi. — Déjà ? Mais on n’a même pas...

Nadia me force à me lever du canapé.

Nadia. — Je sais pas de quoi tu parles mais une prochaine fois. Tu me ramènes chez moi. Là, je dois me changer. À cause de tu sais quoi. Allez ! Dépêche-toi ! Je dois aller au travail dans pas longtemps.

Qui remplace une collègue afin d’éviter qu’elle perde son emploi ? Nadia.

Il lui faut son manteau, celui-ci glissé malencontreusement par mon fidèle animal sous un meuble. Là où l’on ne pense pas forcément y trouver un vêtement. Sauf lorsque l’on est au courant des habitudes du chien farceur.

Nuage après tapotage. De quoi le rendre plus présentable. Penser à fermer cette pièce à clef. Penser à acheter le matériel qui permet de fermer cette pièce à clef.

Une main, baladeuse certes, qui tombe sur une carte, involontairement ou non. Apprendre, avec discrétion, le nom et l’adresse du lieu de travail de Nadia. Une épicerie spécialisée en bioproduits locaux.

Je tends son manteau à Nadia.

Nadia. — Ah. Merci.

Nadia, main dans le dos, me dirige vers ma voiture.

Nadia. — Maintenant, on y va. Pas que je veux te presser. Je te connais. Je sais que tu aimes prendre ton temps.

Moi. — On y va. Je te ramène chez toi. Tu seras à l’heure au boulot.

Elle travaille dans une épicerie. Pourquoi elle veut pas m’en parler de son travail ?

Qu’est-ce qu’elle y fabrique ? Qu’est-ce qu’elle trafique ?



3. LA MAIN AU PANIER


L’espionner ? N’importe quoi.

Je dois juste vérifier un truc.

Imaginons que, derrière la façade d’un honnête commerce de quartier, se déroule un imposant et terrifiant trafic de substances forcément illicites.

Pas pour moi que je dois vérifier ça. Pour le bien de ce quartier, et de la ville, et de ses habitants.

Je tombe sur Baloo, ce dernier grogne contre moi, ce qui me surprends.

Moi. — Mais… Quoi ?

Il aboie, semble prêt à m’attaquer.

Moi. — Mais… C’est moi.

Je retire la perruque.

Mon déguisement en moins, Baloo moins menaçant.

Moi. — Tu vois bien que c’est moi.

Au moins, comme ça, je sais que mon chien, mon fidèle, reste toujours prêt à me défendre. Bonne chance à celui qui cherche à s’introduire sous mon toit. Sous notre toit. C’est chez moi, c’est chez nous. C’est aussi un peu chez Baloo, chez moi. Mon chien, mon fidèle, mon colocataire. Un an bientôt, l’animal. Il grandit vite. Je lui passe sa maladresse, il compense par sa loyauté. Il bave, pas grave. Il me protège. Il me tient compagnie. Dans cette maison perdue en pleine campagne, isolée, loin de tout, de toute activité humaine et non humaine.

Je remets mon déguisement, assis à l’arrière de ma voiture.

Oh, elle m’a pas coûté trop chère à l’époque. Et vu le marché actuel, ça reste une affaire. Je la restaure au besoin. Je l’entretiens. On y vit bien. Entourés de la nature, de ses charmes, de son calme. Des champs, des prés pour seuls voisins. Ma voiture, indispensable pour rejoindre la civilisation, elle m’attend. Elle aussi, je l’entretiens. Pas prévu de la remplacer, dans l’immédiat. Elle roule encore.

C’est bon, je suis garé. Plus qu’à y aller. Voiture fermée à clef. Passage pour piétons traversé. L’épicerie, Nadia qui doit être là. Ça y est, je la vois. En caisse. Elle est caissière. Le Zen Marché, petit commerce de quartier. Dans lequel il me faut l’observer. Et sans me faire repérer. Le déguisement est là pour ça. Il intrigue quelques clients. À ce rayon, je ne m’attarde pas. Je me rapproche de Nadia, je prends un panier. Je l’entends discuter. Avec ceux qui l’entourent. Elle semble appréciée. Des sourires me le font penser. Je retourne à faire comme ci je cherche de quoi remplir mon panier. Circulant dans le magasin, prise d’informations régulière, je ne comprends toujours pas pourquoi Nadia ne veut jamais parler de son travail. Prostituée, Dealeuse, voleuse ? Caissière. Elle me plaît toujours autant. Son profil professionnel au caractère moins inquiétant.

Elle parle à qui maintenant ? Un jeune, un beau, un prétendant ?

Simple collègue retournant travailler après intervention de celui qui doit être leur patron.

Le patron ? De là où je me trouve, difficile de détailler la conversation. Une réprimande, une accusation. Ils se sourient. Une promotion ? À quel motif ?

Quel genre, le patron ? Abusif ou compréhensif ? L’enquête me mène à lui.

Un rire derrière moi, éclatant en parlant de moi. Ma couverture, obligé, d’en l’urgence, de la doubler.

Cliente. — José ? Mais pourquoi ?

Moi. — José ? Connais pas.

Je fais semblant de lire l’étiquette d’une conserve que je tiens à hauteur de mon visage.

Cliente. — José ? Tu fais la gueule ?

Moi. — Il y a pas de José, ici. Taisez-vous, Madame. Elle va nous entendre.

Elle me salue alors que je lui tourne le dos.

Cliente. — Bon, on va pas insister. Bonne journée, José !

Reprendre l’observation, la prise d’informations. Guetter. Trouver le possible vice caché.

Elle semble à l’écoute, telle que je la connais, en privé. Elle semble consciencieuse. Elle-même. Travailleuse. Non prétentieuse ?

Ca ché derrière un client à large carrure.

Presque je peux entendre ce qu’elle dit aux clients, le ton apporté aux sollicitations.

Un imprévu…

Une large main levé devant mon visage de José. Effrayé. En tête à tête avec le client à large carrure.

Client. — Vous faites quoi ? Vous vous foutez de moi ? Vous voulez ma main dans la gueule ?

Moi. — Euh… Non.

Une prise de distance. Non décidée. La bagarre, s’en éloignée.

Les interrogations montent à mon sujet. Mon accoutrement commence à devenir lourd à porter.

Pesant sous les regards en coin, les réflexions insistantes d’une clientèle à la tolérance limitée.

Je sens le moment venu de stopper la séance d’observation. D’espionnage ? Non.

Un fruit mûr. Je choisis. Je fais mes courses comme tout le monde.

Le panier à sa place. Remis bien convenablement à sa place, comme tout le monde le fait.

Et voilà. Et comme tout le monde, comme tout bon client, je vais payer mes achats. Passage en caisse. Passage devant Nadia. Elle va me reconnaître ?

Trop tard. Aucune marche arrière envisageable. Caché derrière mes lunettes, indétectable. Si, normalement, si.

Une simple parole. Et patatra, elle m’échappe ! La surprise, une émotion. Trop d’émotions.

La perruque me tombe de la tête.

Nadia. — Bonjour !

De l’improvisation ? Seule réponse à la situation.

Nadia. — José ?

Le public à un futur spectacle organisé au Zen Marché. En nombre. Je dois commencer.

Je constate que les clients sont de plus en plus nombreux en caisse et à attendre l’explication à mon déguisement.

Client 1. — Alors ?

Client 2. — Il dit quoi ?

Client 3. — J’aimerais bien savoir.

Client 4. — Moi aussi.

Nadia me croit lorsque, dans l’empressement, le temps de passer une pomme en caisse, je lui parle de mon déguisement, évite de trop en dire car je ne sais pas quoi en dire.

Une soirée costumée à venir. Et donc, une tenue à essayer, à tester en public. En vrac, j’étale quelques idées susceptibles de calmer sa curiosité. Surtout, éviter un long et pénible interrogatoire, sitôt nous deux en mode confidentialité.

L’heure de sa pause. Elle la décide. Je la suis. Je crois devoir préciser. Rien. Elle ne demande rien. Elle me fait confiance. Je regrette mes mensonges. Je préfère les penser obligatoire à consolidation de notre couple. Mais elle ne demande rien. Décidément, la femme parfaite.

Nadia me prend par la main.

Nadia. — Viens avec moi.

Elle m’amène jusqu’à une arrière salle. Elle m’embrasse sur la bouche. Enlacés, nous deux.

Elle consulte sa montre, je l’interroge.

Moi. — Combien de temps, ta pause ?

Nadia. — On a le temps.

Nouvelles embrassades, nos langues s’enroulent l’une dans l’autre.

Mes mains sur ses fesses. Entre ses cuisses. Elle me retient.

Finalement, on revient à ma soirée costumée, qui se transforme en repas costumé. Je dois argumenter. Détourner.

Je retire ma main d’entre ses cuisses.

Moi. — Oui, c’est bien ça. Un repas costumé. J’avais dit une soirée. On va commencer par un repas. Euh… oui. Et… et la tenue ? Elle me va bien ? Je vais faire sensation ainsi habillé ? N’est-ce pas ?

Nadia. — Tu me plais. Tu es drôle.

Elle veut prolonger ce moment à nous deux. Elle veut pas perdre son travail, celui de sa collègue dans le même temps.

Nadia. — Encore cinq minutes, quatre. Et je dois reprendre. Tu attends quoi ? Embrasse-moi !

Elle sent bon. Fraîche.

Je l’embrasse fougueusement, d’abord dans son cou.

Des formes comme il faut, juste où il faut.

Mes mains sur ses seins et je l’embrasse sur la bouche. Arrêté soudainement.

Ah non ! Ça recommence. Pourtant, pas la première fois que j’y mets les mains. Ça doit être parce qu’on se trouve sur son lieu de travail.

Rien à voir.

Elle consulte sa montre.

Nadia. — Désolée. Mais, là, faut que j’y aille.

Moi. — C’est tout à fait normal. Tu travailles. C’est bien que tu travailles.

Nadia reçoit peu d’invitations à dîner. Étonnant mais vrai. Maintenant que j’y pense. Elle m’en parle régulièrement de ça. Elle veut que je l’invite à dîner ? Va falloir que je me mette à cuisiner.

Je passe commande ? Non, les livreurs ne veulent plus venir jusque chez moi. Pas tant que la route reste dans cet état. Embourbés, eux. Leurs pneus crevés. Repas endommagés avant l’arrivée.

Je reste sur mes acquis. Et ça va le faire. La femme parfaite se doit d’aimer ma cuisine.



4. JUSQU’AUX VENTS DE NUIT


Ce soir, c’est sûr, c’est comme fait. Je couche avec Nadia, ce soir. D’après mes calculs, sa période menstruelle arrive dans deux semaines. Aucun obstacle, cette fois-ci, à la coucherie. Je viens d’acheter trois boîtes de préservatifs. Une dans la poche, prêt à la sortir. À tout moment. Dès que Nadia s’ouvre à moi.

Elle arrive. En avance. Hâte de me voir.

La porte ouverte pour Nadia.

Nadia. — Désolée pour le retard. Tu sais, les femmes, le temps de se faire une beauté.

Moi. — Tu es là, c’est le principal.

Une fois encore, en retard, dit-elle arriver. Un manque de précision, de ma part, dans l’heure des retrouvailles. À améliorer ça, la prochaine fois.

Je l’entoure par la taille.

Moi. — J’aurais pu aller te chercher chez toi.

Nadia. — Pas à chaque fois. Comme ça, ma mère sait où tu habites… Je pensais acheter un scooter. Pour venir te voir. Parce qu’en ville, je préfère me déplacer en bus. Mon côté écolo.

Un bon cassoulet. En hiver, l’idéal. Facile à préparer. Rapide à cuire.

Elle va adorer ça. Ma spécialité. Baloo adore ça. Pourquoi pas elle ? Baloo, je lui laisse lécher la gamelle.

À Nadia, si elle me le demande gentiment, je lui laisse le fond de gamelle. Baloo, avec lui, je m’arrange.

Le cassoulet servi dans son assiette.

Moi. — Le meilleur. Fais moi confiance. On va se régaler !

Elle et moi, on déguste. Nadia ne parle pas la bouche pleine, question d’éducation. La femme parfaite ? Trop parfaite ?

Moi. — Succulent. Tu ne trouves pas ?

Nadia. — ...

Je prends une botte que lui tend Nadia, de la bave de Baloo en coule. Je la nettoie, avec un mouchoir. Je lui remets sa botte.

Nadia. — Merci. Fallait pas.

Moi. — Si.

J’essuie une tâche de bave sur le collant de Nadia, au niveau de sa cuisse droite.

Moi. — Faut pas lui en vouloir.

Nadia. — Je lui en veux pas.

Je lui montre la casserole et son fond de cassoulet.

Moi. — Pour se faire pardonner, Baloo t’autorise, à sa place, à lécher la gamelle.

Nadia. — Non merci. Je lui laisse bien volontiers.

Très polie, Nadia. En toutes circonstances. Pourquoi est-elle si parfaite ? Jamais connu une femme comme ça.


Une sonnerie téléphonique. Nadia décroche son mobile. Sa meilleure amie au bout de fil.

La vaisselle du soir, j’en profite pour m’en charger. Seulement ce qui ne sert pas au dessert à venir. Nadia et Inès toujours en grande conversation. Je sors le torchon. J’essuie les couverts, les assiettes. La casserole, bien que passée au pré-lavage, mérite encore du décrassage.

Toujours Inès et Nadia conversent. De quoi ? Sans intérêt. J’attends de servir le fromage ou, directement, le dessert. Ça y est, elle appuie sur la touche d’arrêt de longue, très longue, interminable discussion. Inès en cause. Rien à reprocher ma femme parfaite.

Elles ont dû se passer le mot. La mère après l’homo. Je reste, fais comprendre que je l’attends. Et il y a un dessert qui attend. Sa mère, sans la connaître, nous interrompt. Si proche de l’accouplement. Tout ça doit arriver après le dessert. Non choisi. Les pâtisseries ? Je dis oui. Tout le monde les aime celles de cette boulangerie. Elle va en re-demander. Là que j’en profite pour la guider, délicatement, vers autre chose. Mon lit, avec moi dedans. Ça surprend, cet appel. De quelqu’un, quelqu’une qui vient de la conduire ici. Mais de quoi parlent-elles ? J’entends que la moitié du dialogue téléphonique, forcément. Le quart même, si l’on considère que la mère de Nadia parle deux fois plus qu’elle. Beaucoup de silences de ce côté, notre côté du haut-parleur. Difficile de me faire une idée sur le sujet évoqué, possiblement mal traité. Je présente la boîte de pâtisseries, l’ouvre en grand, lui laisse humer la bonne odeur qui s’en dégage, espère une réaction. Espère, enfin, passer au dessert. Et, à la suite, autre gourmandise.

Je pose une pâtisserie dans la petite assiette de Nadia.

Nadia. — Pas très diététique tout ça.

Moi. — Tu n’en veux pas ?

Nadia. — Pour te faire plaisir, si.

Je termine ma pâtisserie alors que Nadia l’entame tout juste.

Moi. — Tu n’aimes pas ?

Nadia. — Si, c’est pour ça : je déguste.

Moi. — Moi aussi, j’ai dégusté.

Dix minutes plus tard…

Les deux petites assiettes vides sur la table à manger.

Deux minutes plus tard…

Le téléphone portable de Nadia dans ses mains et elle lit un texto devant moi.

Nadia. — C’est Inès.

Moi. — Encore elle ?

Nadia. — C’est important. Tu m’excuseras.

Je me rapproche et arrive à voir le texto qu’écrit Nadia.

Texto Nadia : « José te passe le bonsoir. »

Nadia sourit.

Nadia. — Des problèmes dans son couple. Oui, encore. C’est mon amie, ma meilleure amie. Je peux pas la laisser tomber, pas maintenant. Elle a besoin de moi.

Je débarrasse les deux petites assiettes quand Nadia lit un autre texto d’Inès.

Moi. — Je vais faire un peu de vaisselle.

Nadia. — Fais. J’en ai pas pour longtemps.

Je remarque que Baloo s’intéresse de près à ce qu’il reste de pâtisserie sur les deux petites assiettes lorsque je les approche de l’évier pour les laver.

Je reviens vers elle. Toujours à tapoter. J’évite les reproches car je n’aime pas que l’on m’en fasse. Je garde patience. Elle ne va pas passer sa soirée à tapoter.

Je l’espère que l’autre, à un moment, elle comprenne qu’elle doit envoyer un texto comprenant les deux mots : À bientôt.

Parce que Nadia, bien là une de ses faiblesses, son amabilité trop sollicitée. Ne pas se laisser abuser, je lui dit. Elle le sait. Elle ne s’en rend pas compte.

Nadia. — J’en ai pas pour longtemps. C’est important.

L’impression d’avoir déjà entendu ça quelque part. Et ça repart.

Se stoppe la salve d’allers-retours de messages. Je pense à la suite, en oublie toutes confidences, rares confidences de Nadia au sujet de son paternel. Je laisse supposer un appel à venir. Sa mère suppliant sa fille de panser ses plaies, encore à elle de régler un problème de couple.

Au début, un cadeau d’anniversaire de mariage offert par leur fille. L’agrandissement d’une photographie, datant des premiers mois de leur union, encadrée. Le cadre à accrocher au mur.

Son père qui rate le clou, le marteau qui lui écrase, lui entaille le petit doigt. Ça traîne comme ça. Une infection. Qui tourne mal. Amputation. Un doigt en moins. Ça se propage. Amputation. Une main en moins puis un bras en moins. L’infection se généralise. On enlève l’épaule, pour rien. Acte de décès signé. Enterrement organisé.

Je console Nadia en la prenant dans mes bras.

Moi. — Désolé, j’avais oublié. Tu m’en avais parlé. Moi et mauvaises blagues. Je suis vraiment idiot, parfois.

Elle pardonne ma maladresse. Arrive l’heure de se coucher.

L’heure de coucher avec Nadia.

On y est.

Ma première fois avec Nadia.

Que le spectacle commence.

Des émanations, appelons-les ainsi.

Surprenant. Qui peut s’attendre à ça ?

Oh, ça va pas être pratique. Avec tout ce que j’ai prévu de lui faire.

Cette puanteur ? Pas de sa faute. Le cassoulet. Quelle idée ? Mais c’est bon le cassoulet. Mais ça la fait prouter. Donc, mauvaise idée.

J’ouvre la fenêtre de la chambre en grand et de la neige entre dans la pièce.

Ses intolérances alimentaires, Nadia me les détaille. À sa liste très personnelle, elle ajoute, dès ce soir, mon cassoulet très personnel. Aussi, dans le doute, mes pâtisseries.

Nadia, honteuse et entourée de quelques prout, restée dans le lit s’adresse à moi.

Nadia. — Je voulais te faire plaisir. Je n’ai pu refuser.

Moi. — Je sais, je sais. Je te connais. C’est tout toi, ça. Je connais ta générosité.

Mon cassoulet la fait prouter.

Je reste près de la fenêtre en parlant à Nadia.

Nadia. — On remettra ça. Je crois que, ce soir, ça ne passera pas.

Moi. — Mais si. Pourquoi tu dis ça?

Nadia. — Non, José, je connais mon corps. J’ai honte, tu sais. Laisse-moi, José.

Récitatif : Mes pâtisseries la font prouter.

Je commence à grelotter à cause de la fenêtre ouverte, du vent glacial s’engouffrant tout comme la neige, dans la pièce. Chacun de mes mots est accompagné d’un prout de Nadia.

Moi. — Mais… mais… il… il… il… ne faut… faut… faut….

Ou les deux. Cassoulet plus pâtisseries. Le combo gagnant. Enfin, perdant. La queue entre les pattes. Je parle pour moi. Baloo, je vais le rejoindre sur le canapé. Pas le choix. Commence à en avoir l’habitude.

Contraint, je ferme la fenêtre. Un prout de Nadia remplace le bruit de fermeture de la fenêtre.



5. SA CHATTE TRÈS POILUE


Affalé dans le canapé et regardant la télévision, mon chien à mes côtés.

Moi. — Elle peut, enfin, se le permettre. Ses travaux de rénovation sont terminés. Forcément, j’ai accepté la proposition. Un dîner voire plus si affinités. Hâte d’y arriver. Tu m’aideras à choisir. Ma tenue, déjà. Il faut que je sois au maximum de l’élégance, ce soir-là. Elle doit chavirer. Tu m’aideras à un choisir un cadeau. Je vais pas arriver les mains vides chez elle, elle va me prendre pour un radin. Déjà qu’elle me paye des verres. Question de parité.

Qu’est-ce qui peut bien m’arriver, cette fois-ci ? Qu’est-ce qui peut, encore, retarder, cette coucherie ? C’est elle qui cuisine. Sa période menstruelle passée. Le couple de sa meilleure amie au beau fixe. Et sa mère n’appelle plus le soir.

Je dîne avec la femme parfaite. Je suis bien habillé, bien coiffé. Les chocolats, je le sais, elle adore ceux-là. De l’essence dans le réservoir. Je vais arriver à l’heure. Il fait froid mais beau. Une belle soirée d’hiver.

On évite la pleine lune. Aucune tempête d’annoncer aux infos, dans les journaux. Pas de possibilité de panne d’électricité. Trois préservatifs sur moi. Une boîte pleine dans la boîte à gants. Rasé comme elle aime. Ongles des mains, des pieds manucurés. Dents brossés.

Sa chatte. Maintenant que je m’en souviens. Nadia a une chatte. Très poilue. Vraiment très poilue. Deux yeux à peine observable au milieu de cette touffe de poils. Ça me ramène, des années en arrière, dans le local d’un allergologue. Lui en train de rendre compte de résultats de tests sanguins. En brève conclusion : Les poils de chatte, plutôt à éviter. Certains, les plus longs.

Comment annoncer ça à Nadia ? Elle va se moquer de moi. Elle veut que je caresse sa chatte. La touffe de poils commence à se frotter à moi. Des picotements. Un éternuement. En pleine face de Nadia. La boulette. L’engueulade non évitable. Une grande première entre nous. Je lui parle de la longueur des poils de sa chatte. Des preuves, je peux en apporter, je veux lui prouver ma sincérité.

Nadia me gronde.

Nadia. — Ça n’est pas drôle, José. Oui, elle est poilue. Mais elle est adorable, ma chatte. Tu peux la caresser, ma chatte. Elle va pas te mordre, ma chatte. Regarde-moi cet amour. Mounette.

Moi. — Très bien.

D’un geste de la main, Nadia m’invite à caresser sa chatte tout en lui parlant.

Nadia. — Mounette, c’est José. Un bon ami à moi. Il vient dîner. Je l’ai invité. Tu vas apprendre à l’apprécier.

Ma main droite finit par atteindre et caresser le bout du museau de Mounette.

Nadia. — Alors, José, tu vois bien que c’était pas si compliqué que ça de caresser ma chatte. Elle va rester avec nous pour le dîner. Ma chatte auras toujours sa place à table.

J’éternue dans mon coude.

Nadia me tend un mouchoir.

Nadia. — Et alors, mon José. On dirait que tu t’es enrhumé. L’hiver, ça.

Moi. — Les poils de ta chatte…

Nadia. — Vivement le printemps. Et l’été. Qu’on se fasse des barbecues, qu’on aille à la plage. Tu sais, José, j’emmène ma chatte à la plage.

Vilaine chatte poilue ! Reste où tu es ! À distance de moi. Pendant que ta maîtresse, elle lui dise, une bonne fois pour toute, que ces problèmes de couples, elle peut se les régler toute seule. Nadia, elle se laisse embobiner, je remarque ça. Dommage, elle se cache la vérité. Sa meilleure amie, Nadia, elle la voit comme sa psy. J’évite, tout de même, de trop la charger, l’homosexuelle. Nadia peut m’en vouloir. La chatte, tu ne bouges pas ! Non, va dans ton coin et reste y ! Pour le restant de la soirée, veux-tu. On n’est pas copains. Elle ronronne, elle est mignonne. Elle est poilue, très poilue. Mon stock de mouchoirs s’épuise à son contact. Elle roule sur elle-même, la chatte. Des poils s’envolent, se déplacent. Je recule, ils me suivent. Nadia me regarde bizarrement, continue pourtant de l’écouter, l’autre, au bout du fil. Elle dit oui, oui, je comprends, je comprends. Une touffe poilu se pose sur mon épaule. Je sursaute, éternue, insulte la chatte, éternue, doit arrêter d’insulter la chatte pour me moucher. La chatte, ses poils, ses très longs poils. J’éternue. Nadia revient vers moi.

Le nez dégoulinant, j’aperçois une touffe de poils de Mounette se poser mon épaule droite.

Sa chatte l’inquiète.

Nadia. — Elle doit manquer de vitamines. Je vais en parler au véto.

Moi. — ...

Moi aussi, je l’inquiète. Mon état physique et psychologique.

Nadia. — Et toi, ça va ? Ton rhume a l’air d’être passé.

Moi. — Oui, je sais pas. Ça dépend. On verra plus tard dans la soirée.

Sa chatte m’inquiète. Les conséquences d’une proximité avec ses longs poils.

Je recule ma chaise, d’un coup, lorsque Mounette saute sur la table.

Moi. — La pute de chatte !

Nadia. — Pardon ?

Je vais devoir reprendre mon traitement. Et penser à inviter Nadia, exclusivement, à la maison, m’assurer qu’elle vienne bien, à chaque fois, sans chatte. Un plan d’adaptation.

À distance de la table et de Mounette qui mange une crevette dans mon assiette.

Nadia se lève de sa chaise et je l’observe gronder Mounette.

Nadia. — Ah non. Là, il ne faut pas. Je vais devoir sévir. Tu m’y obliges.

Je souris de voir Nadia attraper Mounette.

Je repositionne ma chaise près de la table quand Nadia éloigne Mounette, la chatte étant dans ses bras.

Nadia sort Mounette de la pièce et m’amène une autre assiette.

Nadia. — J’ai dû la punir. Quand elle fait des bêtises, il faut savoir agir. Je l’aime, c’est ma boule de poils adorée. Mais il y a des choses qui ne se font pas. Elle comprends, tu sais. Elle ne m’en voudra pas longtemps.

Installés l’un en face de l’autre, Moi et Nadia.

Moi. — Je suis désolé. Mais c’est à cause de ses…

Nadia. — Elle t’en voudra pas longtemps. Elle est pas rancunière.

Elle se lève, semble culpabiliser de laisser Mounette ainsi enfermée alors que nous sommes en train de dîner.

Nadia. — Je vais la laisser enfermée, mais combien de temps ? Elle va pas aimer. En fait, non, je sais pas. Je l’ai jamais laissé enfermée comme ça. Tu crois que je fais bien ?

Moi. — C’est ta chatte.

Un miaulement de Mounette arrive jusqu’aux oreilles de Nadia et je l’entend aussi.

Nadia. — C’est ma chatte ! Ma Mounette.

Moi. — C’est ta chatte. À toi de l’éduquer comme bon te semble.

Nadia. — Oui, c’est ma chatte. Elle miaule, non ?

Moi. — …

Nadia qui se lève de sa chaise et je la vois ne plus savoir comment agir après le miaulement de Mounette.

Nadia. — Dès qu’on a fini de manger, je la libère. Tu as terminé ?

Moi. — Presque.

Nadia. — Tu as bientôt terminé ?

Moi. — Euh… oui. Ben oui.

Nadia retire mon assiette.

Nadia. — Tu veux pas de dessert ?

Moi. — Euh…

Nadia. — Je veux pas de dessert. T’en veux pas ?

Moi. — Euh… Je… Ben non.

On y arrive. Ma première nuit avec Nadia. Tous les deux dans le même lit. À venir les réjouissances. Par quoi est-ce que je commence ? Rester sur ces acquis. Éviter de trop expérimenter. Les bases, ensuite, on approfondit.

Ça commence à dater, ma dernière fois. Ça se compte en semaines, non, en mois. Plus que ça. Il y a deux ans, ma dernière relation sérieuse et intime. Vérification. C’est bon. Toujours là, le préservatif. Prêt à le dégainer. Sa chambre s’ouvre. Bordélique à souhait. Le lit reste à atteignable. Tout ce qui compte.

L’argumentation me manque mais j’arrive à ce que la porte de la chambre se referme derrière nous deux. Un cocon. Seuls, elle et moi. Je commence à la dévêtir.

Elle m’invite José à la rejoindre sous la couette.

Je me faufile, je la rejoint.

Nous nous embrassons sur la bouche.

Je retire son soutien-gorge. Elle m’arrête lorsque son mobile vibre sur la table de chevet.

Nadia. — Attends. Je décroche.

Comment peut-elle penser que ça peut m’intéresser ? À ce moment précis, seul son corps m’intéresse. Je veux l’explorer.

Nadia. — Si, tu vas voir. Ça peut te plaire.

Ce qui peut me plaire ? Elle. Elle à moi, je veux en prendre possession. Elle, son corps.

C’est pour quand ? J’attends. Un texto de sa mère, j’apprends. Un texto arrivé au moment, un autre. Sa spécialité. Nadia n’y peux rien.

Poliment, se sent dans l’obligation d’y répondre. Sans délai. Je t’attends. Mis sur pause.

Nadia. — Je sais que tu vas dire oui mais je te pose, quand même, la question.

Moi. — La question ?

Nadia. — C’est ma ma maman. Elle aime bien y aller. Moi aussi. De temps en temps, on s’en fait un. L’ambiance est sympa. On s’amuse bien. Ça se passe pas toujours au même endroit. Ma maman, ça la dérange pas de faire un peu de route. Même la nuit. C’est elle qui nous amènera. Elle est d’accord. Je suis déjà allée dans ce bar. Les serveurs sont sympas. Il y a un peu de monde mais pas trop, lors de ce genre de soirée. Un animateur, souvent le même, gère comme il faut la sono. On a de bons micros. Une petite scène et de grands écrans avec les paroles. Ma maman, propose, tu l’as compris, que tu nous accompagnes au prochain karaoké. Tu dis oui ?

Piégé. Parce que si je dis non, il se passe quoi ? La rupture. Nette, sans bavure. Je n’ose y songer. Tout faire pour l’éviter. Déjà, ne pas la contrarier. Nous deux, tant à partager. Nous deux, prêts à coucher.

Le mieux à faire : je lui dis oui. Et le jours même, genre une heure ou demi-heure ou, mieux, un quart d’heure avant, je suis sors le coup de l’empêchement.

Nadia. — Dis. À quoi tu penses, chéri ?

Étrange ça ! Un fantôme ?

Du lit, j’aperçois la porte de la chambre entrouverte, étrangement entrouverte. Nadia, à mes côtés, me parle.

Nadia. — José, je te parle.

Sa chatte !

Mounette se blottit contre ma joue en s’installant sur mon oreiller.

Debout près du lit, j’éternue dans mon coude, une flaque de morve couvre mon torse.

Nadia, debout aussi, me propose un mouchoir en papier.

Un paquet de mouchoirs vide jeté à la poubelle.

Dans un miroir, je me regarde le visage, ma joue rougie couverte de pustules suite à une réaction allergique aux poils de la chatte. Nadia s’inquiétant.

Nadia. — Ça va aller ?

Moi. — Je vais devoir y aller.

Je me rhabille. Encore une soirée sans coucherie. (éternuement) Les poils de la chatte et mon allergie, au moins, maintenant, elle me croit. Elle voit le résultat. Lorsque ceux-ci viennent au contact. À contre-cœur, elle propose de la garder enfermée dans une pièce à l’écart toute la nuit. (éternuement) Le mal est fait. Elle me dit qu’elle va, quand même, pas raser les poils de sa chatte. Seule solution, selon moi, adéquate. Mais irréaliste car irréalisable. Farfelue, d’accord. Raser les poils de sa chatte, cela au risque de la blesser. Mieux vaut éviter. La saison ne s’y prête pas, en plus. Elle va prendre froid. D’accord avec ce que Nadia exprime pour la défense de l’animal à longs poils. On va se revoir, on se revoir chez moi. (éternuement) On va chercher un autre paquet de mouchoirs en papier. J’en utilise quelques uns avant d’en arriver aux tristes au revoir. Prématurés. Quand nous revoir ? Hésitations. Confrontation de dates, d’agendas. Créneaux limités. Finalement, on se donne rendez-vous au karaoké.



6. PREMIER KARAOKÉ (LES DENTS DE LA MÈRE)


Je le regrette, déjà. Ce bar, un taudis, un trou à rats.

On entre par où là-dedans ?

Il fait sombre là-dedans. Glauque.

Le demi-tour encore possible ?

Plus possible. Elles sont là. Elles me voient. Elles voient que je suis là. Trop tard. Je reste dans le bar. Elles me rejoignent au comptoir.

Nadia, accompagnée de sa mère Charline, m’indique une petite scène, située au fond du bar.

Nadia. — C’est là-bas que ça se passe.

La bise à la mère. Nadia qui ne m’embrasse pas. La soirée commence mal. La présence maternelle change sa fille. Jusqu’à quel point ?

Je me retrouve à devoir suivre Nadia et Charline jusqu’à une table près de la scène.

Curieux de savoir ça. Rien que pour ça, ça vaut le coup que j’y reste un peu à ce karaoké. Je reste, je les écoute, de quoi dire que je suis passé.

Après, je rentre chez moi. Et je trouve une bonne excuse au cas où, dans les semaines à venir, elle me re-propose ce genre de soirée. Un karaoké. Non mais franchement, un karaoké.

Une carte de chansons posée sur la table.

Moi. — La carte des menus ? Non merci, j’ai mangé avant de venir.

Nadia. — La carte des chansons. Regarde-ça. Il y a du choix. Tu préfères chanter en français ou en anglais ? En solo ou en duo ?

Elles m’imposent un morceau. Dès que je dis en connaître trois paroles. La mère censée combler mes manques. Un duo donc. Charline et José affichés sur l’écran géant.

En dessous des prénoms, le titre de la chanson. Je dois quitter mon siège. Je dois rejoindre la scène. On m’y encourage, on m’y oblige. Les rires de Nadia accompagnent mes petits pas.

La mère m’attrape par le bras, me tire, casse ma résistance. Je plie, je romps. Je foule la scène, petite mais exposée aux regards et critiques, et moqueries de la totalité des client du troquet mal famé.

Leur complice, je ne sais pas ce qui me retient de le lui fourrer dans le bec, au maître chanteur. Son micro. Comment on le tient ? À quelle distance de la bouche ? Je dois le placer contre mes lèvres ? On ne me dit rien. Le micro, je lui tient doit devant moi ? À l’horizontal ? À la verticale ?

La prochaine fois, tout simplement, je refuse l’invitation. Une fois n’est pas coutume. J’essaie, elle est contente. Juste pour lui faire plaisir. La mère, elle a son micro. Les deux fonctionnent. La musique débute.

Les premières notes avant les premières paroles. Le texte lisible apparaît sur l’écran géant derrière nous. Également, sur un moniteur devant nous. La possibilité de chanter face au public ne m’enchante guère. J’ai envie de me cacher. Mais il va falloir chanter.

Chanter ou trouver quelqu’un pour me remplacer.

Elle ?

Lui ?

Elle ?

Lui ?

Je suis ramené jusqu’à la scène par un type costaud qui me porte.

Charline et… José. Obligé.

Je souris bêtement à Charline, l’introduction de la chanson se termine et arrivent les premières paroles à chanter.

Étrange choix de chanson !

Les paroles de la chanson « Besoin de rien, envie de toi « commencent à défiler sur le moniteur.

Le seul duo qui lui est venu.

Charline commence à chanter, je me cache derrière elle.

C’est ma future belle-mère que je dois chanter ça.

J’attends mon tour, fébrilement, pendant que Charline, bouche grande ouverte, chante avec entrain.

Vraiment je le sens pas. Oh mais quoi ?

Charline crache trois dents et, étonnée, je les observe sortir de sa bouche.

Faut que je récupère ça. Faut-il vraiment que je récupère ça ? Les dents de la mère.

Les trois dents de Charline, je les ramasse et les lui donne. Elle les replace.

Les paroles de la partie que je dois chanter arrivent sur le moniteur.

Je m’y mets. Laborieusement. En fait, comme un débutant.

Puis de mieux en mieux, au fur et à mesure que la chanson avance.

Je progresse, je le crois. La répétition des paroles, celles des refrains, favorise cela.

Je commence à apprécier ce moment de communion. Le public acquis à ma cause. Je me mets à danser en chantant. J’attrape la main de Charline, l’invite à danser.

C’est là que je m’en rends compte que je suis en train de danser un slow avec ma future belle-maman. L’effet karaoké. Je me laisse prendre au jeu. M’imagine dans la peau d’un chanteur de bal ou d’un chanteur à minettes. En l’espace d’une moitié de chanson, me voilà dans les bras de Charline. On va calmer tout ça. On va reprendre ses esprits. Restons poli, courtois, un gentleman. Je la repousse mais gentiment.

Bras dessus bras dessous, ça me convient mieux. Une forme d’amitié démontrée. Et fortement appréciée. Nadia, elle nous applaudit, la chanson quasi finie. Une dernière ligne droite. La bouche de ma partenaire de scène garde ses dents. Ça tient bon. On termine la chanson. Une acclamation. Les micros remis, nous reprenons place à table, y rejoignons Nadia. Elle me fait un gros bisou, me félicite, autant que sa mère, pour ma prestation.


Je m’assois aux côtés de Nadia.

Nadia. — Alors ? Tu en as pensé quoi ? Tu as aimé ?… Chanter avec ma maman ?

Moi. — Ben, en fait, plutôt oui. J’ai bien apprécié chanter.

Nadia. — Avec ma maman.

Moi. — Chanter sur scène, c’était sympa. C’était marrant.

Nadia. — Avec ma maman ?

Moi. — La prochaine, on la fait tous les deux. Tu veux ?

Nadia. — Tous les deux ? Sans ma maman ? C’est elle qui a proposé le karaoké.

Moi. — Ah oui. Mais il y a que deux micros, je crois.

Charline. — Oui Nadia, il a raison.

Nadia. — Dans ce cas, on fera un duo. Tous les deux. Mais avant ça, je vais chanter avec ma maman.


Je feuillette le carnet de chansons pendant que Nadia et Charline chantent sur scène.

Il y a du choix. Peut-être trop, même. Une chanson, c’est aussi un message à adresser. Une chanson d’amour, à trouver. Il y a moins de choix.

Une chanson d’amour en français. Un duo autre que celui déjà chanté. C’est classé par ordre alphabétique. Titres français et anglais, tout ça mélangé.

Elles terminent leur duo. Elles reviennent à table. Je les applaudis.

Moi. — Bravo, bravo, c’était super, j’ai adoré ! Vraiment douées dans la famille.

Ensemble, nous écoutons d’autres clients s’essayer au karaoké. Il y a de tout. Du très bon au pas bon. Le principal reste de s’amuser. Faire en fonction de ses capacités. C’est pas un concours de chant, c’est un karaoké.

Je me bouche les oreilles et m’adresse à Nadia.

Moi. — Tu me dis quand elle a fini ?

Je chante mon duo avec Nadia. La soirée avançant, les clients et, donc, les futurs chantants se font plus rares. À l’animateur, une fois bien remplie, je donne quelques papiers.

Nom de l’artiste, nom de la chanson, nom de l’interprète du soir. Voilà ce que l’on doit noter sur ces papiers. J’en envoie deux en une fois. Motivé, le gars.

À partir de là, j’enchaîne les chansons, les prestations scéniques, en prenant, parfois, la place de l’animateur que je trouve un peu mollasson. J’amène le public avec moi, j’arrive à lui faire chanter les refrains, en même temps que moi. Tout ceci alors que Charline crache des dents en voulant m’accompagner vocalement et que Nadia s’empresse de venir les ramasser.

Le 21 mars. Le printemps. Une rigolade.

Moi et Nadia rigolant.

Nadia. — Et quand tu as…

Moi. — Non, quand toi tu as ...

On se remémore quelques moments passés sur la scène du bar lors de la soirée karaoké.

Joue contre joue, allongés dans l’herbe.

Moi. — Faudra que l’on se refasse ça.

Nadia. — Avec ma maman, oui. Je lui en parlerai.

J’y songe mais évite d’en parler, de m’en moquer. Les dents de la mère.

Les dents de ma future belle-mère.

Nadia. — Avec ma maman ?

On y songe. On n’en parle pas. On rigole.

Nadia. — Et toi, quand tu es…

Moi. — Toi, quand tu es...

Nadia. — On refera ?

Moi. — On refera.



7. ÉPILOGUE


Le 25 mars. La veille de son anniversaire. La veille du jour où je décide d’officialiser notre union. L’impression d’avoir passé en revue tout ce qui peut remettre en cause notre couple. Mon couple avec la femme parfaite.

Sa meilleure amie l’appelle moins depuis que son couple va mieux. Nadia aime Baloo et il ne lui grogne plus dessus. Il continue de jouer avec sa lingerie mais elle trouve ça drôle. Ses périodes menstruelles, je les note sur mon calendrier.

Son emploi, toujours cette incompréhension chez moi. Pourquoi elle ne veut pas m’en parler. Elle dit que ce n’est pas le moment de parler boulot lorsque nous sommes ensemble. Tout simplement ça. De temps en temps, on se fait des soirées déguisées. On s’amuse bien. Que je l’invite à dîner à la maison ou que c’est elle qui m’invite à dîner dans son appartement, C’est elle qui cuisine. Elle aime cuisiner, j’aime sa cuisine. La nuit, elle met son mobile en mode avion, tout comme moi. Elle accepte de tenir sa chatte à l’écart lorsque l’on se voit chez elle. En contrepartie, si l’on peut appeler ça ainsi, j’accepte que sa mère nous accompagne lors de régulières soirées karaoké. Jusque sur la scène, même.

La gueule de Baloo entre mes mains.

Moi. — Pourquoi attendre demain ? Pour ça. Le jour de son anniversaire, on a autre chose à faire. J’ai un beau cadeau pour elle. Ça ne peut pas être son cadeau d’anniversaire. Encore que… Non, j’en ai déjà un. Il me faut régler ça avant. Ce soir, maintenant.

J’ouvre mon ordinateur portable qui est posé sur le bureau de ma chambre.

Moi. — Je change ça. Je lui montre ce soir. Et demain, on passe ensemble une bonne journée.

Je sors mon mobile.

Moi. — Un truc à te montrer.

Je positionne l’écran en face des yeux de Nadia.

Nadia. — C’est pour ça que tu m’as fait venir ? On se voit demain. Ça pouvait pas attendre demain ?

« En couple » est inscrit sur mon compte d’un réseau social.

Nadia. — Ça y est. Tu as franchi le pas.

Moi. — On dirait bien que oui.

Nadia m’embrasse sur la bouche.

Nadia. — Je t’aime José.

Moi. — Je t’aime Nadia.

« Anniversaire Nadia » écrit au feutre à la date du 26 mars sur un calendrier.

J’ajoute « La femme parfaite » à cette même date.

Un dîner aux chandelles.

Ce soir-là, je couche, pour la première fois, avec Nadia.