Le soir. Une rue d’un patelin. Des rires suivent Hervé habillé d’une tenue rose lorsqu’il marche dans la rue. Il se retourne. Il fait face à un groupe de villageois aux vêtements sombres et ternes, tous sont à l’arrêt dans des postures étonnantes et rigolotes. Hervé fait de grands gestes comme s’il les invite à rentrer chez eux. Aucune réaction de leur part. Il les regarde dans les yeux, eux aussi le regardent dans les yeux.
Hervé se retourne, recommence à marcher en direction de son vélo rose qui est enchaîné à un poteau. Et les rires de moqueries reprennent, semblent l’agacer. Mais il poursuit sa route, bien décidé à retrouver son fidèle compagnon à deux roues.
Sur les côtés, derrière lui, s’aperçoivent quelques uns des villageois moqueurs en train de le montrer du doigt dans son dos. Celui-ci semble le ressentir. Malgré tout, il les laisse dire des choses sur lui.
Hervé arrive à sa bicyclette. Il s’accroupit à ses côtés, toujours entouré de moqueries rieuses. En utilisant une petite clef, il ouvre un cadenas puis il le retire d’entre les mailles d’une chaîne en métal.
Il se met à jouer avec la chaîne en métal, s’enroule de mouvements circulaires et ondulatoires, donne l’impression de charmer un serpent, tout ceci sous l’attention des villageois redevenus immobiles et scrutateurs. Dans une chorégraphie, ils agissent, en même temps, leurs corps ondulent en suivant les mouvements de la chaîne actionné par Hervé.
Il voit son pote William le rejoindre. Il stoppe la représentation improvisée.
Hervé. — Apollon ne sait plus quoi faire d’eux. Trop de fans, Apollon !
Avec virilité, la main droite de William se pose sur son épaule droite, le surprenant. L’autre l’amène vers lui en le dirigeant vers l’autre côté de la rue, là où il y a un café.
William. — Viens avec moi, mon gars ! Laisse-les, ceux-là. Ils ont dû voir ton dernier exploit sur le net. Mais on s’en fout d’eux. Des tapettes !… On va aller discuter. Entre bonhommes.
Celui-ci claque les fesses d’Hervé et Hervé pousse un petit cri peu masculin. William montre un visage d’étonnement et des rires des villageois retentissent. Hervé se reprend et pousse un cri bien masculin.
Il arrête William lorsque celui-ci l’invite à l’accompagner jusqu’au café situé à quelques dizaines de mètres de là.
Hervé. — Eh ! Mon vélo, j’peux pas le laisser comme ça. On va le voler. J’dois l’attacher.
Il s’éloigne de William qui surveille les agissements du groupe de villageois moqueurs. Il vient chuchoter quelque chose à une partie du vélo qui ressemble à une oreille.
Hervé. — J’en ai pas pour longtemps.
L’après-midi. Au parc. Les yeux grands ouverts de Fanny, des yeux pleins de colère et sa bouche s’ouvrant en grand, de plus en plus grand, en très grand. Avant qu’une suite d’injures sorte de là et elle sort de là en étant bipée à chaque mots prononcés.
Les doigts d’Hervé actionnent les freins de sa bicyclette rose. Une trace de freinage dans l’allée et le vélo stoppé, ce dernier regardant derrière lui.
Fanny, furieuse, vient l’enguirlander. Il voit ça arriver et ça le rend penaud. Il voit cette femme charmante se pointer, à quand même tendance à la reluquer quand elle se vide d’un trop plein d’insultes.
Hervé montre de l’attirance pour elle, cela se perçoit dans son attitude étrangement maladroite. Il manque de lui mettre un coup de vélo quand il en descend. Et il reçoit une nouvelles salves d’insultes.
Il sourit bêtement. Il la laisse parler. Il en apprend des choses sur elle.
Fanny. — Divorcée, oui. Et comment que j’ai divorcé. Qu’il a divorcé. Enfin, c’est compliqué. Mais j’ai gardé la maison. Une grande maison avec une grande piscine. Je l’ai gardée. Rien que pour moi. Pour y baigner mes pieds, les beaux pieds de Fanny. J’ai été, je suis encore un peu, mannequin. En tant que mannequin, j’ai fait, je fais des photos de pieds. De mes beaux pieds que tu as failli écraser.
Le soleil commence à se coucher. Ils sont toujours l’un en face de l’autre. Quelques villageois aux habits ternes passent par là, affichent un sourire moqueur quand ils viennent à reconnaître Hervé. Ce dernier, bombant le torse, s’indique en parlant d’Apollon.
Hervé. — Les fans d’Apollon. Ils suivent ses exploits. Les suivent avec jalousie.
Fanny. — Avec qui ?
Un air songeur sur le visage d’Hervé. Elle pouffe de rire.
Fanny. — Je plaisante, idiot ! J’avais compris, j’avais compris. La jalousie, je connais ça. Que trop ça.
Il prend une posture montrant sa vexation. Il attend un moment comme cela puis il finit par lui répondre.
Hervé. — Apollon avait compris que Fanny avait compris. On se demande vraiment pour qui Fanny prend Apollon ? Fanny ? C’est qui Fanny ? Fanny ? Fanny ? Connaît pas de Fanny ? Personne connaît Fanny. Personne.
Elle fait mine de partir en étant mécontente contre Hervé. Il cherche à la retenir, ne semble pas vouloir qu’elle s’en aille en ayant une mauvaise opinion de lui. Il cherche à lui attraper la main, semble vouloir lui présenter ses excuses. Elle se dérobe. Il renverse son vélo. Il voit Fanny, le visage fermé, s’éloigner. Il l’interpelle.
Hervé. — Eh ! Attend ! Fanny ? Pars pas comme ça. C’était pour déconner. Fanny, tu es sympa, tu es jolie. Apollon, pour toi, il… Il pourrait…
Elle s’arrête. À grandes enjambées, Hervé réduit la distance la séparant de lui. Presque il s’agenouille en se rapprochant d’elle. Il est tout près d’elle. Fanny semble prête à l’écouter. Quelques villageois curieux tendent l’oreille.
Fanny. — Apollon pourrait faire quoi pour moi ?
Les villageois curieux les entourent, ils ne les regardent pas et ils font comme s’il étaient occupés à quelque chose. Mais il est évident qu’ils sont en train d’écouter leur conversation. Hervé et Fanny n’en paraissent pas dérangés. Fanny les prend même à témoin de sa demande à Hervé.
Fanny. — J’aimerais bien savoir ce qu’il pourrait faire pour moi, Apollon. Le célèbre Apollon. Celui qui réalise tant exploits. Et bien, je veux qu’il en réalise un rien que pour moi. Et pour mes abonnés. Je ne les oublie pas. Sur mon compte InstaBook, ils sont, tous les jours, un peu plus nombreux à venir voir mes photos de pieds, mes vidéos de pieds. Je sais ce que je veux, moi. Une vidéo, une nouvelle vidéo. Je filme mes pieds et Apollon, pour faire joli à côtés, pour le paysage, j’aimerais qu’il réalise, pour moi, son plus bel exploit. Pour cette vidéo, 100 000 vues, je veux. Voilà. Décidé. Alors ? Apollon, le célèbre Apollon, il peut faire ça pour moi, n’est-ce pas ?
Le soir. Dans un magasin de bricolage. Hervé en train de parler à sa bicyclette rose pendant qu’il déplie, du bout du pied droit, la béquille.
Hervé. — … et c’est là que j’ai dit oui. 100 000 vues, tous les jours Apollon il fait ça. Bon, tu attends là.
Il montre quelques difficultés à quitter son vélo sans antivol. Il sort une chaîne en métal d’une sacoche rose. Il l’enroule autour d’une roue du vélo et d’une machine placée dans l’entrée du magasin. Il ferme un cadenas sur la chaîne.
Il remonte un rayon du magasin de bricolage, descend un autre rayon, consulte des pancartes. Perplexe, Hervé. Il semble hésiter à demander conseil. Il marche dans un rayon, dans un deuxième, un troisième. Il finit par s’arrêter devant du matériel semblant l’intéresser. Il se sert. Il ouvre un emballage, sans que l’on sache ce qu’il contient. Ses yeux pointés vers ce qu’il déplie devant lui, les bras tendus. Sur ses habits roses, il enfile une tenue dont on ignore tout.
Le visage d’Hervé, avec ses contours recouverts d’une matière plastifiée, alors que celui-ci rejoint le rayon consacré à la salle de bain et ses grands miroirs.
Comme se trouvant dans une boutique de fringues à la mode, il s’admire dans un miroir. Il porte une combinaison de protection grise.
Hervé. — Cette horrible couleur. Et en plus, ça me fait des grosses fesses. Pourquoi je lui ai dit oui ?
Flash-back
Un chemin. Les yeux d’Hervé grands ouverts, la peur se lisant sur son regard. Ses membres semblent être désarticulés lorsqu’il est en train de chuter et sa chute dure, dure, dure un certains temps avant qu’il finisse par rencontrer le sol de ce chemin de terre. Une roulade et il atterrit dans un fossé. Sa tête terreuse. Il crache de la terre en cherchant du regard quelque chose, un animal, un cheval arrêté là, à proximité.
Hervé se relève, déterminé. Il avance vers le cheval. L’équidé hennit d’une manière qui donne l’impression qu’il se moque de lui. Vite fait, il nettoie ses habits roses. Il marche vers le cheval et celui-ci avance de quelques pas, l’empêche de mettre la main dessus.
Hervé se masse un genou douloureux, fait semblant de le masser. Le cheval l’attend, lui sourit. D’un coup, il court vers lui mais celui-ci se met aussi à courir. Il court, le cheval s’éloigne.
Flash-back
Une ruelle. Hervé continue de courir, ses habits roses sont déchirés. Une horde de chiens féroces le course et il slalome entre des poubelles, essaie d’éviter d’autres morsures.
Le soir. Chez lui. Dans la pièce principale. Hervé porte la combinaison de protection grise. Il est debout devant William assis sur le canapé-lit déplié en lit non fait. En provenance de la fenêtre ouverte, quelques rires de moqueries de villageois stationnés sur le trottoir jaillissent. Hervé ferme la fenêtre, ferme les volets, allume la lumière. Il s’assoit aux côtés de William qui lui passe la main dans le dos, le rapproche de son torse.
William. — Tu vas négocier ça. Tu vas pas te laisser avoir par cette gonzesse ? Tu lui dis d’accord mais pas avec des animaux. Les animaux ne t’aiment pas.
Il retire la combinaison de protection.
Hervé. — Ça fait de grosses fesses. Tu as raison.
Au parc. S’entend un chant d’oiseau quand Hervé parle à Fanny. Son attitude montre qu’il cherche à la persuader de quelque chose. Face à lui, la femme fait la moue. Dans de grands gestes, il reprend son discours, un autre chant d’oiseau survole ses paroles. À son tour, Fanny parle à Hervé, également sa voix est cachée par un chant d’oiseau.
Ils s’échangent des gestes et attitudes de provocation, de négociation, semblent convenir d’un accord à un moment, s’apprêtent à se serrer la main mais ils se retirent en même temps.
Ils sont dos à dos. Quelques mètres entre eux, l’allée du parc. L’ambiance et leurs positions donnent l’impression qu’ils vont s’adonner à un duel. Leurs mains forment des pistolets qu’ils semblent prêts à dégainer.
Ensemble, ils se retournent, bras tendus, leurs mains en forme de pistolets braqués l’un sur l’autre. Ils font mine de tirer. Et deux villageois aux tenues sombres passant par là, se dirigent l’un vers l’autre, l’un contre l’autre se fracassent, agissant comme des munitions se rencontrant.
Les deux villageois se roulent par terre, en rigolant. Fanny les dégage, de coups de bottes, et elle vient finaliser un accord avec Hervé. Elle lui tend la main.
Fanny. — J’ai réfléchi. Voilà ce que je te propose. Pour cette vidéo. Rien que pour moi. Je veux 1000 likes. Tu te débrouilles. Je filme mes pieds. Tu gères le décor. Ton plus bel exploit rien que pour moi.
Dans le magasin de bricolage. Songeur, Hervé arrêté devant une draperie posée sur un ensemble d’outillage ressemblant à un corps humain.
Rêvasserie Hervé
Hervé, dans sa tenue rose habituelle, avec Fanny à son bras. La femme remplace l’ensemble d’outillage et la draperie forme une robe de mariée qu’elle porte.
Hervé sort de sa rêvasserie. Il brandit une tronçonneuse, en faisant une tête de psychopathe énervé, effraie quelques clients. Il repose l’outil jugé trop dangereux à manipuler. Il consulte sa montre. Il constate, sur un panneau, que l’heure de fermeture du magasin de bricolage est proche. Pris de panique, il court dans les rayons. Il parcourt un rayon qui lui semble interminable, donne l’impression de s’allonger, lui rappelle la fois où il coursait un cheval.
Les lumières s’éteignent une à une. Hervé se dépêche de choisir un outil. Il s’agit d’une meuleuse.
Le soir. Confiant, Hervé entre dans le café et entraîne avec lui quelques clients. Ces derniers se servent d’ustensiles présents sur place pour l’accompagner musicalement quand il se met à chanter. Hervé danse et chante, d’autres clients forment une chorale autour de lui. William veut lui parler, ça se voit dans son attitude. Il veut lui parler mais il n’ose pas l’interrompre en pleine représentation.
William se rapproche lentement, attend qu’Hervé termine de chanter le refrain de la chanson. Mais son pote double le refrain, le triple même. William lui met un coup de coude viril et Hervé semble commencer à comprendre qu’il veut lui dire quelque chose, une chose d’importance certainement.
Hervé termine le refrain de la chanson chanté pour la quatrième fois de suite. Puis il salue son public. Il est chaleureusement applaudi, une rareté pour lui. Il en redemande. Il reçoit quelques autres applaudissements, ceux de William.
William. — Voilà, c’est bon. C’était super. Tu as terminé cette fois ?
Hervé. — Apollon doit contenter ses fans. C’est pourquoi ?
William. — Fanny, tu la connais ?
La mine circonspecte d’Hervé.
William. — Oui, bien sûr que tu la connais cette gonzesse. Pas ça que je voulais dire. Juste que je te connais aussi. Je sais que tu es un sensible. Je voudrais pas te faire de mal. Tu es mon pote.
De l’inquiétude chez Hervé.
William. — J’ai mené ma petite enquête sur elle. J’en ai tiré des conclusions. Je connais ce genre de gonzesses. J’ai fréquenté. Avant de rencontrer l’amour de ma vie, la mère de mes enfants. Tu les connais. Il t’aime bien. Leur mère aussi. Elle s’est barrée, pas compris. La pute, elle s’est barrée. Avec mes quatre gosses, la pute. La pute, je l’aimais bordel de merde ! Pourquoi elle s’est barrée ?
Il s’effondre en pleurs dans les bras d’Hervé.
William. — La pute, je l’aime, tu entends, mon poto, je l’aime. Putain, en train de chialer comme une gonzesse, moi, maintenant. Alors ? Tu m’écoutes, toi. Ta gonzesse. La Fanny, elle se moque de toi, je le sais, j’ai des preuves, je connais. Elle se moque de toi, et quand elle aura eu ce qu’elle veut, elle se barrera, avec les mômes, ou sans les mômes, elle a pas de mômes, elle, je crois pas.
En terrasse d’un café. Attablés l’un à côté de l’autre, Hervé et William. Un verre pour chacun. Hervé semble dépité et William sèche ses larmes avec un mouchoir. Hervé semble dépité et William se mouche dans le mouchoir. Hervé semble dépité et William range son mouchoir dans sa poche.
Hervé. — J’arrête. J’arrête tout. C’est toi qui as raison. J’avais préparé un truc trop génial. Mais ça sert à rien. Tu as raison, je te crois, je me suis laissé berner. Apollon, il arrête sa carrière. Il arrête tout. Il n’y a plus d’Apollon. Hervé, moi c’est Hervé. Ton pote Hervé. On s’est connus à l’école tous les deux. Hervé et William, les deux potes d’enfance.
N’appréciant pas l’attitude défaitiste d’Hervé, William frappe du poing sur la table. Un pied se brise. La table se déboîte. La table n’est plus qu’une planche de bois par terre, aux pieds d’Hervé et de William. Leurs verres également par terre.
William. — Arrête !
Hervé. — Oui, j’arrête.
William. — Non, arrête ! Arrête tes conneries. Apollon, il renonce jamais. C’est un guerrier. C’est pas une mauviette. T’es pas une mauviette. Tu le fais pour toi. Tu vas au bout de ton exploit.
Un local infirmière. En haut du bras gauche, Hervé se fait poser des points de suture. Il est assis, on ne voit que la main de l’infirmière qui s’active à le soigner.
Hervé tient son téléphone portable de sa main droite. Il se trouve sur le site du réseau InstaBook. Il compare son compte à celui de « Fanny Les Beaux Pieds ». Il s’aperçoit que celui de sa nouvelle rivale détient largement plus d’abonnés que le sien alors que tous les deux ont posté un nombre quasi identique de photos et de vidéos.
Alors que la pose des points de suture se poursuit, en utilisant son index droit, Hervé fait défiler les photos du fil d’actualité du compte « Fanny Les Beaux Pieds ». Il grimace, il regarde méchamment celle qui le soigne, semble prêt à lâcher quelques insultes mais se retient.
Les lèvres d’Hervé qu’il se mord afin d’éviter d’insulter.
Il continue de faire défiler les photos. S’arrête sur une. Commence à lire les commentaires.
L’écran de son téléphone portable. Prenant les 3/4 de l’écran à partir de la gauche, une photo des pieds de Fanny. Dans le 1/4 droit en haut, apparaît un grand nombre de likes et de commentaires. En dessous, il y a une réponse de Fanny à un commentaire laissé par un de ses abonnés.
Réponse commentaire instabook de Fanny. — Oh merci ! C’est très gentil. Je suis touchée. Vous savez que vos avis comptent beaucoup pour moi. Bisous. Bisous.
Au parc. Hervé pose un lourd sac rose aux pieds de Fanny qui affiche un visage incrédule mais réjouit.
Hervé. — Tout est là-dedans. Apollon a réussi, reste plus qu’à le refaire. En mieux. Pour ta vidéo. J’ai tout ce qu’il faut là-dedans. J’ai tout planifié. Sors ton mobile. On va filmer ça en live. Il faut du live. Si tu veux atteindre minimum le million de likes, il faut du live. Tu es prête ?
Suivant les recommandations d’Hervé, Fanny retire ses bottes, lui fait admirer ses pieds. Elle dégaine son mobile et commence à filmer ses pieds tandis qu’il fait semblant de trifouiller dans le gros sac rose. Il s’agit, en réalité, d’une manière de faire diversion. Elle est occupée à filmer ses pieds, sans se douter de ce qui va arriver.
Hervé attend le bon moment, celui où il est certain que Fanny est concentrée sur sa tâche, se filmer lors d’un live pour les abonnés de son compte InstaBook « Fanny Les Beaux Pieds ».
Il choisit le bon moment pour dérober le téléphone portable des mains de Fanny qui reste sans réaction. Elle semble croire que cela a un rapport avec la mise en scène de la vidéo aux futur 1 million de likes. Elle commence à changer d’attitude quand elle voit Hervé s’éloigner d’elle et de ses pieds à filmer, son mobile en sa possession.
Suivie de Fanny, il part se cacher dans un fourré. Il fait en sorte que le mobile reste bien connecté à la fonction live du compte InstaBook « Fanny Les Beaux Pieds ».
Le visage d’Hervé adossé à un arbre.
Hervé, en mode vidéo selfie. — Les confidences d’Apollon. Le sujet du jour : Fanny Les Beaux Pieds. Qui est-elle vraiment ? Fanny la prétentieuse, Fanny la vénale. Fanny la divorcée. Son mari a demandé le divorce, j’ai compris pourquoi en la fréquentant. Elle ne pense qu’à elle, qu’à ses pieds. Elle laisse croire que… Mais non, elle ment. C’est une menteuse, une allumeuse. Au début, je l’aimais bien. Apollon l’aimait bien, je veux dire. Jusqu’au jour où, la vilaine, elle s’est jouée de lui. Heureusement qu’Apollon il a des amis. Ils l’ont prévenu, l’ont mis garde. Ne pas se fier à cette Fanny, qu’ils ont dit.
William débarque et il baisse le téléphone portable.
William. — C’est bon, c’est réglé avec l’autre gonzesse ? Parce que je vais pas rester attendre toute la journée, moi. T’oublieras pas de faire réparer ton vélo. Je suis ton pote. Je suis pas ton chauffeur.
Hervé. — C’est bon. Apollon a juste eu un léger, tout léger souci avec son vélo. Il faut dire qu’il a mis la barre haut cette fois encore. Tu aurais vu les étincelles, c’était impressionnant. Et quand ça a explosé le pneu, encore plus impressionnant. Bon, ça, c’était pas forcément prévu mais le vélo, il en a vu d’autres. Il s’en remettra.
Une main récupère le mobile de Fanny. Une main gifle Apollon une fois, deux fois. Cette main est celle de Fanny très en colère. Hervé prêt à protester. Fanny, qui a remis ses hautes bottes, envoyant une nouvelle claque, évitée par Hervé mais non par William.
William recule de quelques mètres et les laisse en tête à tête.
Fanny débute la lecture des commentaires liés à la vidéo enregistrée précédemment par Hervé. Les larmes lui montent aux yeux, les larmes coulent sur ses joues. Elle se met à pleurer. Comme pris par la contagion, des villageois passant par là, pleurent à leur tour. William aussi. Hervé aussi.
Hervé. — Je regrette, je regrette, pardonne-moi. J’aurai pas dû faire ça. Je regrette, je regrette.
Il se tourne vers William.
Hervé. — J’aurais pas dû t’écouter. J’aurais pas dû lui faire ça.
William. — Te laisse pas avoir. Crois-moi.
Fanny croche William par le col de sa chemise. Nez à nez avec lui, elle lui postillonne au visage en s’exprimant avec véhémence.
Fanny. — Parce que c’est toi qui es derrière ça. À cause de toi, je suis la risée de tout le net. J’ose même plus regarde mon mobile. Ils se foutent de ma gueule. Sur mon InstaBook, ils se foutent de ma gueule.
Hervé. — Apollon va faire un tour.
Énervée, Fanny, agrippée au col de William, cherche à le secouer, alors qu’Hervé entreprend une courte balade dans le parc.
Fanny. — Ils se foutent de ma gueule sur mon InstaBook, tu entends ça ? Ils se foutent de ma gueule ! Tout ça à cause de toi.
Hervé revient vers Fanny et William qui a la chemise déchirée et des griffures au visage.
Hervé. — Ça y est. Ça s’est arrangé ?
Il se prend un coup de botte entre les cuisses. Il s’écroule par terre. À genoux, Hervé bouche bée.
Cauchemar Hervé
Coiffé classiquement, Hervé porte une tenue inhabituelle pour lui, un costard cravate sombre et terne. Ses chaussures sont des chaussures de ville. Il monte un escalier, une marche après l’autre.
Il arrive à un palier. Face à lui, une porte sur laquelle une affiche indique un entretien d’embauche. Il l’ouvre.
Hervé referme la porte derrière lui. Il se retrouve dans une salle d’attente. Sur des chaises, attendent leur tour quelques uns des villageois qu’il croise régulièrement dans son patelin. Ceux-ci portent exactement le même costume que lui sans que cela semble l’étonner. Il prend place au milieu d’eux, s’installe sur la seule chaise restée vide. Il commence à agir comme eux lorsqu’ils croisent, décroisent leurs jambes, se servent de magazines, tournent les pages de leurs magazines. Il continue d’agir comme les autres personnes présentes dans cette salle d’attente lorsque celles-ci reposent leurs magazines, en choisissent d’autres, les échangent avec leurs voisins de gauche. Les magazines passent de main en main jusqu’à ce qu’Hervé se retrouve avec le même magazine qu’au départ. Ils lisent tous, en attendant leur tour. Une autre porte que celle de l’entrée entrouverte et, comme un seul homme, ils se lèvent tous en même temps. Tel un troupeau de moutons, se ruent vers l’ouverture. Hervé suit le mouvement sans sembler pouvoir faire autrement.
Dans son lit aux draps roses, vêtu d’un pyjama rose, Hervé se réveille de ce cauchemar en criant. Son front dégoulinant de sueur. Progressivement, il semble se rassurer en constatant que son univers coloré est toujours là.
Derrière un rideau rose, Hervé prend une douche.
Hervé se coiffe avec une brosse rose, en s’admirant dans un miroir aux contours roses, en chantonnant une autre partie du refrain de la chanson « Au bout de mes rêves ».
Hervé attrape son vélo rose par le guidon et le sort de sa cave personnelle.
À bicyclette, Hervé descend une allée du parc sans croiser Fanny.
Le titre d’un reportage TV consacré à Hervé est : « Hervé et ses lubies ». Suivi par une équipe réduite de tournage d’un reportage, alors qu’il marche sur le trottoir en poussant son vélo rose à la roue arrière crevée, il parle à une caméra braquée sur lui.
Hervé. — De nouveaux défis ? Apollon y songe, bien entendu. Apollon a toujours plein de bonne idées pour ces choses-là. Alors, voyons voir. Déjà, il y aura…
Des passants curieux s’intéressent au tournage du reportage TV et ne semblent plus moqueurs envers Hervé.
Hervé. — Apollon se verrait bien aussi faire ça. Ou sinon…
Entouré de davantage de villageois, Hervé parle à la caméra.
Hervé. — … Oui c’est bien, ça aussi. Apollon vous tiendra au courant. Vous viendrez filmer. On fera plein de vues sur InstaBook.
Bureau d’un producteur. Un contrat d’une proposition de long métrage, qui est un biopic d’Apollon, posé sur une table devant Hervé qui paraît hésiter à le signer et posant ses conditions.
Hervé. — Bon. Maintenant qu’on s’est mis d’accord sur ce qu’Apollon veut, on va pouvoir discuter de ce qu’Apollon ne veut pas. Apollon c’est Apollon. Vous comprenez ?